L’insurrection de 1851 vue de Sorgues et de Bédarrides (Vaucluse)

article mis en ligne le 15 février 2017

L’insurrection de 1851 vue de Sorgues et de Bédarrides (Vaucluse)

 

D’après Les Études Sorguaises, Découvertes & Événements, 20e publication, 2009, p. 71-86.

 

synthèse de Jean-Marie Guillon

 

L’association Études Sorguaises a publié, sous la signature d’Alain Sicard, il y a quelques années un ensemble de documents qui concernent l’insurrection de 1851 dont il est intéressant de donner quelques extraits (en italiques, les citations tirées de l’article ; entre guillemets, le texte des documents d’époque)

 

1 – L’arrestation du facteur de Sorgues, le 5 décembre 1851

La commune de Sorgues qui présentait une concentration ouvrière naissante resta à l’écart de l’insurrection. En revanche, l’insurrection tenait les villages de Caderousse, Courthezon, Bédarrides et Monteux. Les insurgés de Bédarrides passèrent la nuit du 4 au 5 décembre dans la mairie où, d’après l’auteur de l’article, ils tinrent un véritable conseil de guerre. Les insurgés étaient inquiets, les nouvelles du département faisant défaut ainsi que les directives des chefs républicains. Vers 9 heures, au matin du 5 décembre, le comité républicain dépêcha César et un autre personnage afin d’attendre l’arrivée du facteur de Sorgues, Abadie.

Celui-ci fit une déposition à la gendarmerie le 9 décembre :

« Je me nomme François ABADIE, âgé de 32 ans, facteur rural attaché au bureau de poste de SORGUES, domicilié à SORGUES.

Le vendredi 5 décembre 1851, vers 9 heures du matin, j’arrivai au pont neuf sur la SORGUE de BÉDARRIDES, je fus arrêté par deux hommes dont l’un était armé d’un fusil et d’un sabre, l’autre avait une fourche. Celui qui était armé du fusil était un nommé CÉSAR Michel, l’autre je ne le connaissais pas, c’était un homme d’une quarantaine d’années.

Ils me dirent : ‘’Nous avons ordre de vous conduire à la mairie’’. Je les suivis jusqu’à la porte du POUSTARLON[1] où je voulais m’arrêter pour distribuer quelques lettres et savoir ce qu’il se passait dans le pays mais on ne me le permit pas. Contraint, je me rendis à la mairie. En arrivant, je trouvai la grande table des séances jonchée de bouteilles, de pain et d’assiettes.

A ce moment, une douzaine d’individus sortirent du cabinet du Maire et me demandèrent si j’avais les dépêches. Je leur répondis que cela ne me regardait pas ; alors un des assistants me dit : ‘’Vous n’avez rien à craindre, les autorités municipales ont été dissoutes hier soir. Je vous invite à me donner les dépêches, je suis le Président du comité Républicain, démocratique et social’’.

Malgré leurs paroles, je m’apprêtais à résister et à partir quand on cria : ‘’Fermez la porte, arrêtez le’’. Une trentaine d’individus me sautèrent dessus, me saisirent par le bras, par le corps et allaient m’enlever les dépêches quand une voix provenant du cabinet du Maire ordonna : ‘’Ne lui faites pas de mal, qu’il donne les dépêches et nous lui donnerons un reçu’’. Voyant que la résistance était inutile, je leur remis les dépêches destinées à la mairie de BÉDARRIDES. D’autre part, deux fonctionnaires montaient la garde en armes, l’un à la porte de la mairie, l’autre à l’entrée de la salle du Conseil qui était remplie de fusils ».

Le facteur Abadie repartit pour SORGUES avec un reçu pour deux dépêches télégraphiques datées du 2 décembre 1851, l’une avec trois proclamations à l’armée de Louis Napoléon BONAPARTE, Président de la République, l’autre avec trois appels au peuple.

 

Le reçu manuscrit est ainsi libellé :

« Le Comité provisoire de la Commune de Bédarrides déclare avoir reçu aujourd’hui cinq décembre mil huit cent cinquante un les pièces suivantes : deux dépêches télégraphiques imprimées datées toutes deux du 2 décembre 1851, toutes deux étant absolument les mêmes ; de trois proclamations du président de la République à l’armée, imprimées et datées du 2 décembre 1851 ; de trois appels au peuple, imprimés.

En foi de quoi nous avons donné au citoyen Abadie, facteur rural de Bédarrides, reçu des pièces ci-dessus citées.

Bédarrides le cinq décembre mil huit cent cinquante-un.

Pour le comité provisoire

Le secrétaire

Bin Daruty »

 

Le reçu est signé par Benjamin DARUTY. Celui-ci, né Colin le 1er juillet 1827 à BÉDARRIDES, ancien secrétaire de mairie, est le fondateur de la société secrète et le chef du parti républicain local. Il fut condamné à cinq ans de transportation en Algérie.

 

Commentaire Jean-Marie Guillon

L’intérêt de cet épisode que l’on pourrait considérer à juste titre comme très mineur est cependant réel. Il renseigne d’abord sur l’information que l’on pouvait avoir à l’époque en province, la lenteur des communications et le flou dans lequel était les insurgés. La courte description de la mairie de Bédarrides est elle aussi très significative de la façon dont la prise de pouvoir a été réalisée dans les communes. La forme du reçu donné au facteur est révélatrice du respect des formes de la part des insurgés. On remarquera enfin le souci d’éviter toute violence et la courtoisie (le vouvoiement) qui règne dans les rapports entre hommes du peuple. Le facteur, qui masque sans doute son attitude pour se justifier, aurait pu vouloir insister sur la brutalité et la vulgarité des comportements. Or c’est le contraire qui ressort.

 

2 – L’espérance brisée

L’auteur rappelle que 1 032 Vauclusiens furent inculpés dont 353 rapidement mis hors de cause et 682 traduits devant la commission mixte du département (composée de COSTA, préfet, MEYRAND, général, commandant la subdivision de l’état de siège permanent et REYNE, procureur de la République). Cette commission siégea en février-mars 1852 et décida :

19 déportations à Cayenne

107 Algérie +

158 Algérie –

7 expulsions

5 éloignements du territoire

302 internements

24 assignations à surveillance

18 renvois (17 devant un tribunal correctionnel, 1 devant une autre commission)

42 mises en liberté

 

Parmi les victimes de la répression, deux Sorguais furent incarcérés un moment : Jean Sébastien JOURDAN et Léon BARBOT. Plusieurs documents qui leur permirent d’avoir une pension en 1881 sont reproduits dans la revue. Ils proviennent de la Bibliothèque nationale :

Léon BARBOT est né à Sorgues en 1828. Il a été arrêté le 19 janvier 1852, incarcéré à la prison de la caserne, au Palais des papes à Avignon et libéré le 9 février suivant. Le bulletin individuel de secours qui est signé par le maire de Gadagne le 1er septembre 1881 indique qu’il est ouvrier papetier à Gadagne, père de six enfants, que sa moralité et sa « conduite politique actuelle » sont « bonnes ». La revue publie aussi la requête de Barbot – qui est illettré – pour bénéficier d’une pension. Il recevra une pension annuelle de 200 F.

 

Jean Sébastien JOURDAN remplit lui aussi un bulletin individuel, daté du 12 avril 1881, pour bénéficier d’un secours. Il est né à Sorgues en janvier 1832. Il déclare avoir été arrêté « pour participation à une réunion politique » et détenu quatre mois. En 1881, il « ne possède rien, il n’a pour vivre que le produit de ses journées d’ouvrier boulanger », mais il a une hernie « qui l’empêche souvent de pouvoir travailler ». Il n’a pas de charges de famille. Lui aussi jouit d’une « bonne » moralité et est un « républicain ». L’administration pénitentiaire confirme qu’il a été écroué à la prison d’Avignon le 9 décembre 1851 et libéré le 10 mars 1852. Il va recevoir une pension annuelle de 300 F.

[1] La poterne.