Edgar Quinet

article publié dans le Bulletin de l’Association 1851, n°24, juillet 2003

Edgar Quinet (1803-1875)

 

 

On a célébré il y a peu à Bourg-en-Bresse le bi-centenaire de la naissance d’Edgar Quinet. Son nom est en effet lié à cette ville où il naquit le 17 février 1803.

 

Qui est donc Edgar Quinet ?

 

Un historien français, professeur au Collège de France aux côtés de Michelet, d’où ils furent tous deux exclus par Guizot en 1846 pour anticléricalisme.

 

Un Républicain engagé, élu député de l’Ain en 1848, réélu en 1849, proscrit après le coup d’Etat, comme Victor Hugo, et comme lui ne rentrant en France qu’une fois la République retrouvée.

 

Voilà pour les grandes lignes de son parcours. Mais il est souhaitable d’aller plus avant pour essayer de mieux connaître ce personnage.

 

Edgar Quinet est né à Bourg dans une famille de notables. Son grand-père, Philibert Quinet, avocat au Parlement, avait été maire de Bourg jusqu’à sa mort en 1792. Sa grand-mère était une maîtresse femme qui élevait ses enfants à la dure et n’hésitait pas à faire venir chez elle deux fois par semaine un garde-ville pour les fouetter, et s’ils ne méritaient aucun châtiment, cela était “pris en compte pour les fautes à venir” !

 

Son père, Jérôme Quinet, ainsi élevé, était un homme froid, mais intègre. Commissaire des guerres, c’est-à-dire intendant militaire, sous l’Empire, il est ensuite secrétaire d’ambassade, et se livre à de nombreux travaux scientifiques qui vont des questions agricoles : irrigation, assainissement, à des théories sur le magnétisme terrestre.

 

C’est de lui qu’Edgar tient son ardeur au travail et son immense curiosité intellectuelle.

 

Quant à sa mère, à qui il voue amour et admiration, elle était fille à la fois du XVIlle siècle par sa gaieté et son enthousiasme sans bornes, et du rigorisme genevois de par son éducation protestante. Elle nourrit beaucoup d’ambition pour son fils et se montre omniprésente dans l’éducation qu’elle entend lui donner. Admiratrice de Rousseau, elle développe en lui le goût de la nature, le respect du travail, l’aspiration vers la liberté.

 

La famille est établie en Bresse depuis trois siècles et possède une propriété à Certines, village tout proche au sud de Bourg. C’est là qu’Edgar passe de nombreuses années de son enfance, c’est là qu’il reviendra toujours, même après la vente de la maison en 1836, et c’est à cette province de Bresse qu’il ne cessera de penser, dans ses années d’éloignement et d’exil.

 

Quand il a douze ans, la famille s’installe à Bourg à l’hôtel de Meillonnas, un hôtel particulier construit au siècle précédent. Il entre au collège, l’actuel lycée Lalande. Il y est interne et souffre de cette situation : “Je fis mes adieux non seulement à mes compagnons, mais à toutes les choses que j’aimais”[1]. La nature lui manque et une seule pensée l’anime : s’évader dans les bois de Certines. Pour lui, la Bresse, ce n’est pas la ville de Bourg, mais la campagne, les bois et les étangs.

 

En 1817, il entre au Collège de Lyon en classe de Philosophie. Il lit beaucoup : Ovide, Tacite surtout, et c’est ainsi qu’il prend goût à l’histoire. Il découvre les mathématiques en classe préparatoire. “J’étais frappé de l’art avec lequel les mathématiques éloignent, rejettent, éliminent peu à peu tout ce qui est inutile pour arriver à exprimer l’absolu…” Et une autre citation paraît ici importante : “Je dois en partie aux mathématiques mon aversion pour les paradoxes, tout en sachant qu’ils sont le moyen le plus sûr, le plus facile de se faire écouter d’une société usée ou corrompue”.

 

Admissible à Polytechnique en 1820, il renonce à se présenter à l’oral et se sent libre de ce choix : “il n’y a d’irrévocable que le destin que nous nous faisons nous-mêmes”. Il s’adonne alors entièrement à l’étude, fréquente la faculté de droit, mais surtout les musées et les bibliothèques, et écrit de nombreux ouvrages. Il assiste aux séances de la Chambre des Députés, et lorsqu’en 1830, il se trouve en Allemagne auprès de sa fiancée, il écrit à sa mère son regret de n’avoir pas pris part aux Trois Glorieuses. “Quelle désolation d’avoir été absent de Paris à la fin de juillet. Je ne me consolerai jamais de n’avoir pas marché avec les faubourgs…”

 

Son républicanisme retarde jusqu’en 1839 une nomination de professeur de l’enseignement supérieur, date à laquelle il est nommé à l’Université de Lyon, malgré les réticences de Louis-Philippe qui s’écrie : “Vous faites là une belle nomination, vous venez de nommer un républicain”. Cependant en 1841, il est nommé au Collège de France où est créée pour lui une chaire des langues et littératures de l’Europe méridionale. Il n’y restera que quatre ans, ayant provoqué l’ire du clergé et du ministère par son cours sur les Jésuites et leur rôle néfaste en Europe du Sud. Il est révoqué, en même temps que Michelet et pour les mêmes raisons, et ne retrouvera sa chaire qu’en 1848.

 

Dès cette date, il fait partie de l’opposition et, malgré ses réticences, il se laisse convaincre par Ledru-Rollin de se présenter aux élections de 1846. Il ne sera pas élu cette année-là, mais sa profession de foi serait à lire tout entière. “Qui suis-je ? Un homme nouveau, qui toujours associé à la défense du progrès, ne l’a jamais cherché que par le travail régulier de l’intelligence, de l’éducation… Je n’apporte pas des promesses, mais des actes, des écrits, un enseignement public… Je suis enchaîné par ma vie entière à la cause que soutient aujourd’hui l’opposition”.

 

Il participe à la campagne des banquets et se réjouit de la proclamation de la République. Il est réintégré dans sa chaire au collège de France le 8 mars 1848, ainsi que Michelet.

 

Il se présente aux élections d’avril 1848 à la Constituante et il est élu député de l’Ain. Il dit : “Ma profession de foi est dans ma vie passée. Si pour représenter la République il faut des hommes qui l’ont préparée, je crois pouvoir dire que je suis au nombre de ces hommes. Le gouvernement déchu en a jugé ainsi puisqu’il m’a fermé la bouche… J’ai combattu par la parole et par la plume tant que cette lutte a été la seule possible ; quand le tocsin a sonné, j’ai pris les armes… Que l’éducation nécessaire à chaque peuple soit gratuite ! Notre révolution ne doit pas seulement à tous le pain du corps, il faut aussi qu’elle assure le pain nécessaire à toute intelligence. J’ai accepté d’avance la tâche de contribuer à répandre l’esprit républicain dans l’enseignement national”. Plus tard à la Chambre, il présente des arguments en faveur de l’école laïque : “Je voudrais que dès son entrée dans la société laïque qui est marquée par son entrée dans l’école, l’enfant fût frappé par un spectacle de paix… Dans l’école laïque, affranchie de la différence des dogmes, tout doit parier d’union…” On voit, dès ce moment-là, toute l’importance qu’Edgar Quinet attache à l’éducation. On le retrouvera plus tard aux côtés de Jules Ferry.

 

Mais pour l’heure, il siège à la Chambre : il est intéressant de noter qu’il est parmi les rares députés à voter contre l’élection du Président au suffrage universel. Il se présente aux élections de mai 1849, aux côtés d’Alphonse Baudin. Tous deux sont élus.

 

Hostile à l’expédition de Rome en juin 1849, et à l’état de siège proclamé dans la 6e division militaire dont dépendait le département de l’Ain, il publie en février 1850 L’état de siège, violent pamphlet où il s’élève avec force contre l’action du gouvernement. Il parle “de perquisitions, inquisitions domiciliaires, enlèvements d’hommes pendant la nuit, les mains liées derrière le dos ou avec les menottes ou la chaîne au cou, emprisonnements préventifs, cachots, mises au secret, garnisaires, conseils de guerre, menaces, injures, espions, comparutions, délations, destitutions, ruine, détresse, terreur, voilà l’état du pays”. “Les violences stupides de l’état de siège indignent nos paysans. Notre département n’était que rouge, les persécutions l’exaltent”. Et il termine par ces paroles : “Si l’élection est le crime, nous sommes les criminels”[2].

 

Puis c’est le coup d’État, et avec lui l’exil pour Quinet et nombre d’autres républicains. Il part pour Bruxelles. Ses Lettres d’exil, au nombre de 4 volumes, décrivent ce que fut sa vie pendant toutes ces années. En 1859 il refuse l’amnistie accordée par Napoléon III aux proscrits et proteste avec véhémence : “Je ne reconnais à personne le droit de me proscrire, de me rappeler à son gré… Voilà pourquoi, moi proscrit, je proteste pour aujourd’hui et pour demain, et pour les temps à venir, contre ce droit de proscrire qui est le contraire du droit et ne peut rien fonder”.

 

En 1868, Quinet avec sa seconde femme[3], d’origine roumaine, quitte Bruxelles et se fixe sur les bords du lac de Genève où il reste jusqu’au 6 septembre 1870. C’est une période d’intense activité intellectuelle : il suit de près la politique de la France, dénonce les attentats contre la liberté, la politique étrangère de Napoléon 111. Il est en relations constantes avec plusieurs de ses amis républicains en exil ou en France. Le 10 septembre, il pose sa candidature aux élections dans le département de l’Ain, mais n’est pas élu. En revanche, à Paris, il est élu quatrième avec 199000 voix, derrière Louis Blanc, Victor Hugo et Garibaldi. À l’Assemblée Nationale siégeant à Bordeaux, il vote contre le traité qui livre l’Alsace et la Lorraine à l’Allemagne, et ne cesse de s’exprimer par des discours mais plus encore par ses écrits.

 

Il retrouve ses amis républicains avec qui il n’avait d’ailleurs pas cessé de correspondre, et parmi eux Jules Ferry et Ferdinand Buisson[4]. Ces derniers connaissaient bien l’ouvrage de Quinet, paru dès 1850, L’enseignement du peuple. Buisson dira même en 1909 que “c’est de cet admirable petit livre que Jules Ferry s’est inspiré” pour établir son programme de l’enseignement laïque. Les idées concernant l’enseignement gratuit, laïque et obligatoire y sont exprimées par Quinet dès le milieu du XIXe siècle.

 

Dans un ouvrage paru en 1874, L’esprit nouveau, il demande que les femmes ne soient plus victimes de la législation du mariage et de l’ignorance, que soit rendue leur dignité aux paysans et aux ouvriers, que cessent les guerres sociales de classes.

 

Mais Quinet ne verra pas l’établissement définitif de la République : il meurt à Versailles le 27 février 1875. Ses funérailles eurent lieu à Paris le 29, suivies par une foule énorme, parmi laquelle se trouvaient Victor Hugo et Gambetta. Victor Hugo prit la parole : “Je viens parier devant cette fosse ouverte pour faire l’éloge d’une grande âme… Je le salue parce qu’il fut un grand citoyen et un grand patriote, et parce qu’il a pratiqué cette fraternité qui s’étend de la famille à la patrie et de la patrie à l’univers”.

 

Le cinquantenaire de sa mort fut célébré le 22 mars 1925 à Bourg où une statue avait été dressée à sa mémoire en 1883[5] et un lycée qui porte son nom inauguré en 1888.

 

Et en cette année 2003, c’est le bicentenaire de sa naissance qui fut l’objet de nombreuses manifestations dans la capitale bressane : expositions, conférences, colloque universitaire le 14 février, et pose d’une plaque commémorative dans l’enceinte du lycée ainsi que sur la maison qu’il habitait.

 

Plusieurs universitaires prirent la parole le 14 février et je ne saurais mieux terminer cet article qu’en empruntant à Maurice Agulhon qui présidait ce colloque les paroles par lesquelles il concluait son intervention : “Après avoir été napoléonien, Quinet est devenu un monarchiste libéral, puis un républicain quand la monarchie a cessé d’être libérale. On le qualifierait aujourd’hui d’homme de centre gauche”.

 

 

Gisèle ROCHE-GALOPINI

 

 

Plusieurs ouvrages ont vu le jour en ce début d’année. Je citerai simplement un ouvrage collectif édité à Bourg : De la modernité d’Edgar Quinet. Collection La documentation républicaine, Ed. EDIMAF.

 

On peut aussi consulter avec intérêt un ouvrage paru à Bourg en 1880, Le coup d’Etat dans le département de l’Ain, par F. Dagalier, avocat. On peut le commander à la Médiathèque Roger Vailland, 1, rue du moulin de Brou, 01000 Bourg-en-Bresse.

 

Tel. 04 74 45 06 07.

 

 


[1] Histoire de mes idées

 

[2] Revue Visages de l’Ain, 83, janvier – février 1966, et aussi in Œuvres complètes, T.XI. Édition Daguerre, p.350.

 

[3] Elle sera sa collaboratrice et après sa mort publiera plusieurs ouvrages le concernant : Mémoires d’exil. 1868.1870. Avant l’exil 1887 et Après l’exil 1889.

 

[4] ) F. Buisson (1841-1932) directeur de l’enseignement primaire en 1879, principal collaborateur de Jules Ferry dans la préparation du statut de l’enseignement primaire. En 1897, est chargé d’une chaire de science de l’éducation à la Sorbonne. Député radical-socialiste de 1902 à 1924. Est l’un des fondateurs de la Ligue des droits de l’homme. Prix Nobel de la Paix en 1927.

 

[5] Statue disparue pendant la seconde guerre mondiale.