Gustave Jourdan : un soldat du Droit

bulletin numéro 9, avril-mai 2000

Gustave Jourdan : Un soldat du droit

 par Charles Galfré

Bien que né à Paris le 17 avril 1820, Gustave Jourdan a des racines provençales. Plus exactement dans les Alpes-de-Haute-Provence, à Gréoux. Il aurait pu suivre l’exemple de son père, médecin à l’hôpital royal des Invalides. Gustave Jourdan choisira le droit. Inscrit au barreau de la capitale, il plaide avec quelques succès devant la Cour d’assises, laissant percer des opinions qui ne sont pas celles du moment.

Un drame a marqué son adolescence la disparition de sa mère, morte noyée à Belle-Isle-en-Mer. Est-ce d’elle qu’il tenait ce sens de la justice ? Celle qu’on rend sous Louis-Philippe a peu de rapport avec l’équité.

C’est pourtant la magistrature qu’il vise. Avec le secret désir de s’y singulariser. Gouverneur des Invalides, le maréchal Oudinot, que Napoléon 1er fit duc de Reggio, recommande en 1844 le jeune Jourdan auprès du garde des Sceaux. Gustave Jourdan a 24 ans ; il vise un poste de substitut en Algérie où son frère aîné est tombé sous l’uniforme de l’armée d’Afrique. Lettre restée sans réponse bien que renouvelée. Quatre ans après, le voilà mêlé à une obscure affaire de mœurs sanctionnée par une peine de prison.

Gustave Jourdan clame son innocence, et il sera d’ailleurs réhabilité. Mais cette cruelle épreuve le conduit à s’expatrier. Et c’est à Bourbon, lointaine terre de la couronne, qu’il revêt de nouveau sa robe d’avocat. Gustave Jourdan découvre l’île et ses soixante mille esclaves employés dans les champs de cannes à sucre.

Fixé à Saint-Paul, Gustave Jourdan va prendre le parti des Noirs soumis aux châtiments corporels selon la volonté des maîtres. L’administration des colonies a maintenu jusqu’au 30 avril 1833 la marque à la fleur de lis. Mais la peine des fers, celles de la chaîne, du poteau et du fouet sont toujours infligées dans l’île.

Le 29 juin 1847, Gustave Jourdan a épousé une jeune créole, Uranie Auber, fille d’un notable de l’île qui exerce d’une manière plutôt espacée la présidence de la Cour royale de Pondichéry. Le beau-père, Jacques Auber, a confié au procureur général Barbaroux que son gendre projetait d’entrer dans la magistrature. Or, la lecture de L‘Almanach Royal en témoigne, les parquets de Saint-Denis et de Saint-Paul sont fort incomplets. Peu de candidatures se manifestant dans la métropole.

En 1847, le capitaine de vaisseau Graeb, gouverneur de Bourbon, écrit au ministre de la Marine et des Colonies, pour l’informer de la nomination de Gustave Jourdan aux fonctions de juge-auditeur près du tribunal de grande instance de Saint-Paul. Affectation qu’il quittera bientôt pour celle de second substitut du procureur général. Gustave Jourdan va user de cette autorité nouvelle pour améliorer le sort des esclaves. Mais les planteurs ont dans leur ligne de mire ce substitut du procureur trop enclin à prendre la défense de la main d’œuvre noire.

Leur voix, semble-t-il, sera entendue à Paris. Le 18 février 1848, le Ministre intime au capitaine de vaisseau Graeb l’ordre de mettre fin aux fonctions de Jourdan «dès réception de la présente dépêche ». La raison invoquée étant la condamnation figurant au dossier de l’intéressé… Six jours après c’est l’avènement de la Seconde République.

Le gouverneur de Bourbon oublie la lettre d’un Pair de France qui a, d’ailleurs, cessé d’être Ministre. Graèb a d’autres soucis ; il doit céder la place à Sarda Garriga, le délégué du gouvernement provisoire. Ce Basque, qui, avant la révolution, était le receveur des finances, donnera lecture à la population de l’île des décrets du 27 avril 1848 : «dans toutes les colonies et possessions françaises, le servage devra être entièrement aboli deux mois après leur promulgation ».

A bord de la gabare l’Oise, le 17 novembre 1849, Gustave Jourdan quitte Bourbon, redevenue la Réunion. Sa jeune épouse est morte en couches, la cause des esclaves a triomphé, rien ne le retient plus dans l’île. Il va se battre pour sa réhabilitation, et pour cette République dont il mesure la vulnérabilité. Et c’est en Provence qu’il se fixe, sur cette terre de Gréoux où ont vécu les siens.

Le barreau de Digne l’accueille. Gustave Jourdan se lie avec Charles Cotte, avocat militant lui aussi. Tous deux adhéreront à cette association de la Jeune Montagne dont l’influence s’étend à tout le Sud-Est. Organe de la gauche provençale, La Voix du Peuple a publié les 5 et 6 juillet 1851 une déclaration de l’ex-magistrat. Elle situe sa pensée politique. A l’Etat-gendarme, Jourdan veut substituer un Etat fraternel, où règne l’égalité complète «Il ne doit plus y avoir en France des départements favorisés et d’autres qui, comme les Basses-Alpes, sont de véritables pays étrangers à la civilisation qui les entoure, que tout semble avoir oublié, industrie, commerce, fortune, presse, tout excepté le fisc. »

Rédacteur au Siècle, Eugène Ténot évoquera le rôle joué par Jourdan dans la résistance au coup d’Etat : «Sur la rive gauche de la Durance, deux républicains influents, M. Aristide Guilbert, avocat, et M. Gustave Jourdan, ancien magistrat, partirent de Gréoulx, petit établissement thermal sur la limite des Bouches-du-Rhône, à la tête d’une centaine d’insurgés. Ils entrèrent. à Valensole, chef-lieu de canton, et s’y recrutèrent des contingents des villages voisins.

De là, sans perdre de temps, ils remontèrent la grande route de Marseille à Digne. Quand ils traversèrent Oraison, le bourg était endormi, et leurs tambours, réveillant la population, firent accourir en armes une foule d’hommes à demi-vêtus. A la pointe du jour, ils arrivèrent aux Mées, autre chef-lieu de canton. A chaque embranchement de chemin, de nouvelles bandes venaient grossir la colonne. Lorsqu’ils atteignirent Malijay, elle comptait dix-huit cents hommes… »

Le 7 décembre, sur les presses de l’imprimerie Repos à Digne, le comité insurrectionnel adressait une proclamation à la population des Basses­-Alpes. On y annonçait la dissolution des conseils municipaux remplacés par des comités locaux de résistance «investis de tous les pouvoirs », la suspension des juges de paix, l’abolition des contributions indirectes. Et il était recommandé à tous les Comités de Résistance, comme un de leurs premiers devoirs, «de s’occuper entièrement des familles dont les soutiens sont en ce moment les soldats de la Liberté ».

Gustave Jourdan figure parmi les sept signataires de cet appel. Le mardi 9 au matin, il est au défilé des Mées. Avec Ailhaud de Volx qui a pour mission de tenir la route de Digne. Et ils repousseront une première attaque du 14ème de ligne commandé par le colonel Parson. Jourdan a tenté de parlementer avec l’officier supérieur pour éviter un affrontement qui sera meurtrier.

 

Sur la liste de la commission mixte, au numéro 619, on trouve Jourdan, Gustave, Jules, Honoré, avec cette décision: Cayenne. A l’heure de l’amnistie, revenant du territoire sarde avec d’autres exilés, il se fixe dans la capitale.

Gustave Jourdan publie en 1861 une brochure «De la justice criminelle en France », qui stigmatise les méthodes répressives sous le règne de Napoléon III. Rue des Fossés-Saint-Jacques, dans l’atelier du peintre Delestre fréquenté par les opposants à l’Empire, il rencontre l’étudiant en médecine Georges Clémenceau et exerce par la suite une grande influence sur la pensée politique du Vendéen.

Remarié avec Louise Vallet, Jourdan meurt le 26 février 1866 à son domicile parisien, 11, rue de Savoie (6ème  arrondissement), à l’âge de 46 ans. La déclaration de décès sera faite par Auguste Pisson et Arthur Hubbard, tous deux avocats à la Cour d’Appel. Et tous deux connus pour leurs opinions républicaines.

 

Charles Galfré