Carnet de route de septembre

éditorial du bulletin numéro 18, octobre/novembre 2001

 

Carnet de route de septembre

 par René Merle

Chacun des responsables de notre Association a son carnet de route, et c’est de leur entrecroisement que vient la richesse de ce que nous faisons : pour ne parler que du Var, J.M.Guillon et F .Negrel en ont un copieusement chargé…

Le mien m’a beaucoup appris ce mois-ci. Sans narcissisme, j’en fais part, en témoignage sur une réalité qui n’est guère médiatisée : celle “des gens”, des simples gens, qui se décarcassent dans leur localité pour un peu plus de convivialité, de savoir, et de démocratie….

Le 5, j’étais à Trans (aux portes de Draguignan), invité par le Collectif citoyen, né des élections municipales de cette année. 18 heures, petite salle de l’ancienne mairie. Dans la salle du dessus, double exposition, celle des Archives départementales, et celle, remarquable, réalisée par le Collectif (autour de Mme Barret) sur les insurgés de Trans. La salle est comble, une soixantaine de personnes. Un auditoire averti qui s’inscrit dans la réalité locale, relie les luttes d’hier pour la démocratie à celles d’aujourd’hui. Et toujours le bénévolat, l’activité et l’efficacité de ces volontaires qui savent accueillir leurs concitoyens (et le conférencier !). Salut de provençalistes locaux et d’occitanistes voisins. Contact avec des collègues enseignants du secteur. Contacts avec des républicains venus de communes voisines, qui aimeraient bien faire quelque chose si la mairie ne bouge pas.

Un saut à Paris (rassurez-vous, pas aux frais de l’association) : le 15, rencontre avec l’ami P.Cresp, dans son atelier Graffito : sa ténacité a enfin abouti. Il sollicitait depuis longtemps et en vain la mairie de Paris (ex. et nouvelle) pour une initiative sur la résistance parisienne : un retour inattendu nous propose de réaliser en partenariat une brochure, très rapidement. Au travail donc. Le 16, fête de L’Huma, rencontre au stand des Cahiers d’Histoire avec S.Aprile, secrétaire de la société d’histoire de la Révolution de 1848, pour avancer en commun le projet.

Le 20, à 18 h., j’étais à Brignoles, dans la superbe médiathèque neuve, pour une conférence en provençal, à la demande de la municipalité et de l’école félibréenne locale. En fait, pas de représentants de la municipalité, un journaliste pointe son appareil, et on commence : une soixantaine de personnes, qui vont doubler mon propos de leurs interventions en provençal : non seulement les questions, mais du Victor Hugo traduit en provençal, des lectures de textes sur 1851 à Brignoles, et Reinié Reybaud, vigneron à Seillons, est venu en voisin déclamer son poème brûlant en l’honneur de Martin Bidouré. On chante l’hymne de la Montagne “La ferigoulo”…

Je suis reparti assez remué. Je me dis qu’en 1851 si tous les Français qui ne parlaient que le français avaient fait comme les Bas-Alpins et les Varois, peut-être…

Le 25, à la demande de A.Neyton, j’interviens à Toulon, au Théâtre de la Méditerranée, où l’on présente les spectacles et activités du trimestre : c’est l’occasion de dire tout le bien que je pense de “La Farandole de la Liberté”, que Neyton donnera du 4 au 8 décembre ; c’est aussi l’occasion de parler de l’activité de l’Association 1851-2001 et de son initiative du 8 décembre en ce même lieu (voir encadré ci-dessus). Un public en partie différent du public habituel de l’association, parfois méfiant devant ce qui est “régional”, et qui découvre l’existence et le sens de l’événement. On discute… Retrouvailles d’anciens combattants aussi. Pour les non-Varois, faut-il rappeler le combat exemplaire de Neyton sous la municipalité F.N ?

Le 26 septembre, à la librairie Charlemagne (Toulon), c’est la présentation des ouvrages des Varois sur 1851, dont le remarquable et novateur travail de F.Negrel, sur les sociétés secrètes dans le Haut-Var, que notre association a publié, la pièce de A.Neyton avec sa belle couverture rappelant sa première entreprise avec G.Beltrame (bientôt 30 ans !), l’étude fournie et novatrice de D.Sampieri sur Hyères, le beau roman du toujours jeune J.Rambaud, qui le premier revisita l’insurrection, la création romanesque de J.Siccardi sur un Martin Bidouré revu et corrigé d’après un feuilletoniste toulonnais de jadis. Un salut à P.Chuyen, dont je n’ai pas encore pu voir le spectacle, un autre à Mme Charragna, la petite fille (eh oui) de l’insurgé aupsois Maurel dit Lou Gaillard (voir notre site internet), et des tas de bonjours. Des bibliothécaires qui vont à la pêche aux conférences, mais ça sera dur, nos calendriers sont saturés. L’ami Estragon m’apprend qu’il va représenter la Ligue des Droits de l’Homme au colloque du C.G à Digne (“Résistances, rencontres autour de 1851”). Il pensait que je présidais. Je n’ai pas accepté, non seulement pour des raisons de calendrier et de préparation trop rapide, mais je ne me sentais pas de présider une célébration ouverte aux “résistances dans le monde”.  Non que je m’en désintéresse ! Mais je ne m’y engagerai pas en tant que président de l’association. Et en tant que citoyen, je pense à tant de résistances absentes du colloque, au Chiapas, à l’Algérie, au Tiers-Monde broyé, au monde musulman en tempête, et je ne sais quel sens donner à l’hommage au Dalaï Lama. Je me félicite rétrospectivement de n’avoir jamais participé à des initiatives de soutien aux Talibans, vaillants combattants de la liberté. J’encourage G.Estragon à laisser parler son cœur.

Le 27 septembre, je suis au cœur du vieux Roquebrune-sur-Argens, (à deux pas de cette Californie ni faite ni à faire qu’est devenu le pays raphaëlois), pour une conférence : cette fois, c’est à l’invitation du Coumitat d’estùdi prouvençau, avec l’ami Abbe (de FR3) et ses collègues. Une cinquantaine de personnes, et tout se passe en provençal, conférence et discussion. Contacts avec des provençalistes de Lorgues, de Trans, pour des initiatives ultérieures. Rencontre avec les amis Chabaud, venus de Tourrettes, qui continuent leur recherche et annoncent leur soirée de novembre à Montauroux, avec Mme Benjamin qui achève la sienne sur Saint Raphaël, avec un livre que nous attendons impatiemment. J.C.Budelacci, responsable du groupe numismatique, nous a amené des jetons ou médailles satiriques de Napoléon III, stigmatisant le coup d’État. Émotion personnelle de la rencontre avec le vieux lutteur rouge Cappa, des Adrets. On parle des anciens, et du monde qui a changé. On se dit qu’il faut continuer, quand même…

28 septembre, évêché de Toulon, très bastide de maître, une oasis de calme et de Provence aux marges de Toulon, enregistrement pour RCF (Radios chrétiennes en France) des deux émissions (en provençal) consacrées à 1851. Je ne suis pas hypocrite en parlant de la religiosité messianique qui animait beaucoup de démocrates : le Christ, premier messager de l’égalité, premier socialiste. Ce n’était pas le propos du haut clergé varois de l’époque ! Je pense à l’abbé Chastan, qui mena la colonne rouge de Sainte-Croix…

Le 29, Taradeau, centre Var, entre Les Arcs et Draguignan : les amis de Taradeau sont incroyablement efficaces. En avril, j’étais des leurs avec le Foyer rural pour la marche des insurgés autour de la commune et le repas républicain sous les ombrages de la nougaterie de l’ami Teissèire. Ce soir, à l’invitation d’Accueil et Amitié, conférence sous tente devant quelque 150 personnes, avec au premier rang les maires de Lorgues (ville blanche en 1851, rose aujourd’hui) et de Vidauban (ville rouge en 1851, et à droite aujourd’hui). C’est l’occasion de parler clair : sans le soutien médiatique et financier du conseil général, toutes tendances confondues sauf quelques élus de la droite extrême, la commémoration varoise n’aurait pas connu ce bouillonnement magnifique. À la différence des Basses-Alpes voisines, où le C.G a choisi de bloquer sur le dernier trimestre les initiatives 1851 et de focaliser sur une “commande” de spectacle itinérant, le Var a financé tous azimuts des initiatives venant de la “base”. D’où la possibilité pour les associations ), de commander le film de C.Philibert, d’inviter des troupes de théâtre, comme ce soir celle de P.Chuyen (Art scénicum), de recevoir le tour de chant de Gens et Pays du Vardon. D’ailleurs l’ami Einaudi est là pour placer quelques affiches de cette “Flor de Libertat” . On blague en provençal. On attend longtemps une sono défaillante. Patience générale, et on démarre. Je suis toujours ému de faire passer l’histoire à des gens dont l’école n’est peut-être pas toujours le meilleur souvenir. Je vois les expressions quand je parle de l’homme providentiel, le sauveur de la France au dessus des partis… Après, questions nombreuses, le voisin Vidauban en 51 ? Le jeune Gayol martyrisé ? les femmes dans l’insurrection ? Le personnage fictif du roman de Siccardi et l’héroïne vraie… J.Reynier, qui fut instituteur et maire de Taradeau m’explique qu’en 1951 il n’avait pas pu organiser une célébration : opprobre encore jeté sur les rouges insurgés du village… Justement rencontre avec un descendant de Castellanet, le chef des rouges de Taradeau… Les temps ont changé. Au banquet, un bonnet phrygien sur la tête, il évoquera la répression, en mêlant nos deux langues…

J’ai ensuite eu un immense plaisir à participer à la soirée du Banquet républicain. Difficile d’évoquer une ambiance inattendue. On prête le serment montagnard à l’entrée, en français ou en provençal, les yeux bandés de rouge : “Va juri, va juri, va juri… / Siès batejat fraire / sorre montagnard/a”). Le chien qui circule a aussi son foulard rouge autour du cou. Les acteurs sont au milieu des tables, sur des estrades roulantes. On mange, bien entendu, et on boit… A côté, G.Rocchia plein d’enthousiasme, de compte-rendus et de projets sur son intense activité commémorative à La Garde-Freinet et dans le golfe de Saint-Tropez. Et durant deux heures de dires, de chants et de gestes des jeunes comédiens, leur claire et vivante leçon d’histoire, l’émotion envahit un public très divers, jusqu’à lui faire entonner a capella “Le Chant du Départ”, sans fausse emphase ni ringardise. La République nous appelle…

 

René Merle