L’insurrection et la démocratie communale

article publié dans la Lettre des élus socialistes et du mouvement des républicains du Conseil Général du Var et dans 36000 communes, le journal de la Fédération Nationale des Maires Ruraux, septembre 2002

L’insurrection de 1851 et la démocratie communale

par René Merle

 

L’association 1851 – 2001 s’est créée en 1997 avec un double objectif :

  • commémorer dignement un événement grandement occulté, la puissante résistance populaire au coup d’état de décembre 1851,

  • lier cette commémoration à la réflexion nécessaire sur ce qu’il faut bien appeler la crise actuelle de la démocratie.

 

Le 2 décembre, le président de la République Louis Napoléon Bonaparte violentait une Constitution dont il devait être le garant ; il justifiait son coup d’état par la menace de l’anarchie et se posait en défenseur de la démocratie : il rétablissait le suffrage universel masculin que l’assemblée conservatrice avait amputé au détriment des milieux populaires. 

Alors que l’appareil d’état basculait du côté de l’usurpateur, et que l’armée noyait la résistance parisienne dans le sang, la résistance gagna la province. Elle se transforma même en insurrection armée dans de nombreuses communes d’une vingtaine de départements (Ain, Allier, Ardèche, Aveyron, Basses-Alpes, Cher, Drôme, Gard, Gers, Hautes-Alpes, Hérault, Jura, Loiret, Lot, Lot-et-Garonne, Nièvre, Pyrénées orientales, Saône-et-Loire, Sarthe, Tarn-et-Garonne, Var, Vaucluse, Haute-Vienne, Yonne…). Elle fut particulièrement massive dans nombre d’entre eux (Drôme, Var..) et fut même victorieuse dans les Basses-Alpes.

Cette insurrection fut le fait des campagnes et des petites villes : pour ce peuple paysan, artisan, ouvrier, la levée en masse pour la défense de la Loi s’accompagnait d’une grande espérance de démocratie et de progrès social. Ce n’était pas la République en place, celle du Parti de l’Ordre conservateur, qu’ils défendaient : ils voulaient “la Bonne”, “la Sainte”, la République qui garantirait par le crédit agricole et artisanal la fin des usuriers, qui assurerait le droit à la propriété, au travail, à la santé, à la retraite, à l’instruction.

Très majoritairement rurale donc, cette insurrection fut aussi, de façon remarquable, une insurrection départementale, et dans ce cadre départemental, ce fut une insurrection communale.

C’est dans chaque commune que les résistants maintinrent la municipalité si elle condamnait le coup d’état, la remplacèrent par une municipalité insurrectionnelle si elle hésitait ou acceptait le coup de force.

Mais la Commune n’était pas seulement un commode “espace de base” du mouvement insurrectionnel. Le pouvoir central étant usurpé, c’est dans et par le cadre le plus immédiat, le plus concret et le plus affectif de la vie administrative et politique que s’affirmait la défense de la République. La Commune devenait véritablement “unité de base” de la démocratie en s’affirmant détentrice de la souveraineté républicaine. Cette initiative inouïe mettait à bas la conception traditionnelle (royaliste, impériale ou républicaine) qui inscrivait la souveraineté dans le seul pouvoir central.

Ainsi, dans la crise et dans l’urgence, s’affirmait une tendance communaliste depuis longtemps déjà à l’œuvre, tendance qui se refusait à voir dans la Commune une simple unité de base administrative, cantonnée dans un rôle utilitaire, et subordonnée au pouvoir central.

Cette tendance n’avait pourtant pas été encouragée par les dirigeants de la Seconde République.

Certes, l’instauration de la République en 1848 avait apporté un vrai bouleversement démocratique à la vie communale : le conseil municipal était dorénavant élu au suffrage universel masculin et non plus au suffrage censitaire réduit, la plupart des maires étaient élus par le conseil municipal et non plus désignés par le pouvoir. Mais aucune indemnité n’était accordée au maire, ce qui fermait de fait l’accès du poste aux plus modestes. Et surtout la Constitution de 1848, remettant à plus tard l’examen du statut et des attributions des communes, opérait avec l’apparition d’un Président de la République (élu au suffrage universel et tout puissant chef de l’exécutif) un renforcement décisif du pouvoir central.

Cependant, avec le suffrage universel masculin, les communes entraient pleinement dans la vie politique nationale. Mais cette entrée se fit d’abord et essentiellement par la politisation de la vie communale : l’élection municipale, transcendant les traditionnelles luttes d’influences et de clans, devenait la pierre de touche des conscientisations politiques.

Ainsi nombre de villages et de petites villes (socialement homogènes ou sans grandes tensions sociologiques) furent majoritairement gagnés à l’idéal démocratique, quand cet idéal n’apparaissait pas seulement comme une conscience éclairée “descendant” de Paris et des grandes villes, mais se fondait aussi sur les traditions, les pratiques et les idéaux des communautés rurales. Ainsi s’opérait un passage décisif de la conscience protestataire rurale traditionnelle à la conscience politique. Ne vivons-nous pas aujourd’hui un mouvement inverse, qui de la désaffection pour le politique mène aux seules actions “corporatistes” ?

La sanglante répression de l’insurrection se prolongera de milliers d’arrestations, condamnations, déportations, mais le nouveau pouvoir se justifiera de l’approbation, résignée ou convaincue, du corps électoral.

Ce pouvoir avait pris la mesure de la “révolution communale” avortée. Les 19 années du Second Empire assureront dans les faits et dans les esprits un renforcement décisif du pouvoir central. Et si le conseil municipal demeure élu au suffrage universel, dorénavant le maire, nommé par le pouvoir, est le représentant de l’Etat dans la Commune.

À la chute de l’Empire, l’aspiration communaliste se manifestera à nouveau, mais à partir de la capitale cette fois. Et l’écho relatif obtenu en province par la Commune parisienne de 1871 montre que l’aspiration communaliste perdure, mais que dorénavant la suprématie du centre a été intériorisée.

Ce regard sur une période déjà lointaine de notre histoire, et pourtant si proche, nous amène donc à réfléchir encore plus sur le rôle que la démocratie locale peut (et doit) jouer dans la République, sur le fait que la souveraineté du peuple ne s’exprime pas seulement par la voie de l’élection législative et du référendum national, mais qu’elle peut aussi se manifester autrement, au premier chef par la démocratie locale.

On ne peut que regretter que cette réflexion, grandement avancée dans nos commémorations “provinciales”, n’ait pas été relayée ou prise en compte au plan national, notamment par les grands médias nationaux et par nos “élites”, si prodigues de conscientisation “citoyenne”.  

René Merle