Auguste Pleindoux, cafetier de Châteaurenard

article mis en ligne le 14 janvier 2017

Auguste Pleindoux,

victime du coup d’État de 1851

 

Auguste Pleindoux, né à Châteaurenard en 1812, est déclaré, lors de son mariage, en 1830, apprenti horloger. Mais la matrice générale des contributions foncières lui a toujours attribué la profession de batteur d’or.

Quelques années plus tard, le couple s’installe place de la Victoire à Châteaurenard, comme cafetiers, Auguste ayant à côté du café sa boutique d’horloger-bijoutier.

Deux fils sont nés de cette union : Hector en 1838 et Hubert en 1842 ; ils seront l’un et l’autre élèves de l’École Impériale d’Arts et Métiers d’Aix-en-Provence.

Cette vie calme va basculer après le coup d’état du 2 décembre 1851.

 

Par la lettre du 16 décembre 1851, adressée par le Maire de Châteaurenard au Sous-Préfet d’Arles, nous avons des détails sur les événements qui se situent autour du 2 décembre. Bien entendu nous avons le point de vue d’un camp, mais pas de l’autre…

Le maire écrit qu’avant le 2 « une certaine agitation régnait parmi les rouges », puis à l’annonce du Coup d’État « près de cent citoyens se rendirent en armes à la mairie. Toute la nuit [du 4 au 5] des patrouilles furent faites dans la ville. Les démagogues furent atterrés par cet appareil de guerre : ils se rendirent dans leurs cafés dont ils sortirent cependant à l’heure prescrite par les arrêtés municipaux ».

Le lendemain soir, voyant que « des réunions nombreuses et tumultueuses avaient lieu dans les cafés rouges » le maire entreprend de fermer immédiatement tous les lieux publics de la commune.

Les journées du 8 au 12 décembre sont fort agitées par la venue d’insurgés originaires de l’Isles et d’Avignon. « Les rouges » tentent vainement de prendre la mairie le 9 décembre.

Voici la conclusion de la délibération du Conseil Municipal remerciant le maire Sicard lors de la réunion du 22 février 1852 : « M. le Maire par sa prudence rare et par sa courageuse fermeté, fit avorter l’exécution de ces sinistres pensées [il s’agit « des criminels projets des anarchistes »]. Toujours à la tête des hommes d’ordre qui vinrent lui prêter leurs concours si empressés, veillant sans cesse de nuit et de jour, au milieu de nos braves pompiers, dont le dévouement fut sans exemple sur sa bonne commune, il a été assez heureux pour nous préserver de bien grands malheurs dont nous avions été si souvent menacés ».

Ce que ne dit pas la délibération, c’est la répression qui a lieu après les évènements de décembre. Voici ce qui arrive à Auguste Pleindoux tel qu’il le relate dans sa lettre du 16 août 1881 adressée au Préfet des Bouches du Rhône pour bénéficier de l’indemnité au titre de victime du Coup d’État.

« En 1852 j’exerçais la profession de cafetier. Le 24 janvier de la susdite année, sans motif aucun, ma maison fut cernée par plusieurs brigades de gendarmerie, les gardes champêtres de la commune et le commissaire de police cantonal (pour le pire des bandits, il n’y aurait pas eu plus de forces de l’ordre !), je fus arrêté, transféré à Tarascon et écroué dans la prison dite du Château. Pendant mon incarcération, le sous-préfet d’Arles vint nous visiter et il m’apprit que j’étais détenu parce que dans maintes circonstances, notamment dans les élections et au moment du Coup d’État, mes clients et moi avaient (sic) fait actes d’hostilité envers le gouvernement de l’époque ».

Pendant qu’Auguste croupit dans sa cellule au château du Roi René, ses amis châteaurenardais s’activent pour le faire libérer. Le 11 février, Justin Rousseau, notaire à Tarascon adresse au Préfet des Bouches du Rhône une lettre qui vaut la peine d’être reproduite :

« Monsieur le Préfet,

J’ai l’honneur de vous adresser deux certificats en faveur de Messieurs Pleindoux et Morizot de Châteaurenard, détenus en ce moment en prison pour cause politique. Vous êtes leur juge ; c’est à ce titre que je sollicite de vos bontés quelques instants d’audience.

Pleindoux et Morizot ne m’ont pas chargé de discuter auprès de vous les motifs vrais ou faux, patents ou cachés de leur incarcération, ils m’ont chargé seulement de faire un appel, Monsieur le Préfet, à votre intelligence si élevée et à votre cœur si généreux.

Les certificats ci-joints dont je confie la lecture à votre bienveillante attention, ne sont pas de ceux qu’on arrache à la faiblesse ou qu’on obtient en mendiant de la commisération. Les signataires honorables de ces pièces connaissent depuis trente et quarante ans les protégés qu’ils couvrent auprès de vous de la considération légitime due à leur caractère privé aussi bien qu’à leur position.

Tous ensemble ils implorent, Monsieur le Préfet, votre clémence et votre justice. Pour moi qui me fais le messager de ces prières, je n’ai pour cette mission d’autres droits que ceux que me donnent ma sympathie pour les prévenus et ma confiance profonde dans ce Magistrat qui aura à les juger et les absoudre.

Je suis, Monsieur le Préfet, avec la considération la plus élevée, votre obéissant et très respectueux serviteur ».

 

Bien entendu, le plus important, ce sont les certificats. Le premier est rédigé par trois anciens maires, le percepteur, le receveur de l’Enregistrement et un notaire. Voici sa rédaction intégrale.

« Nous soussignés Mascle Jean Joseph, Maire de Châteaurenard de 1821 à 1830, Pauleau Jean André, Maire de 1832 à 1838, Rollande-Duplan, Maire de 1838 à 1844, Vieux, percepteur, Roze, receveur de l’Enregistrement et de Villèle, notaire,

Déclarons que les sieurs Morizot Jean Henri, négociant, et Pleindoux Auguste, cafetier, sont des hommes probes, amis de l’ordre et jouissant à Châteaurenard d’une excellente réputation ; qu’ils appartiennent à des familles haut placées depuis très longtemps dans l’estime publique ; qu’ils n’ont jamais été considérés comme des hommes de parti et encore moins comme des hommes dangereux pour la société.

Certifions en outre que leurs honorables antécédents nous donnent l’entière conviction qu’ils n’ont jamais fait partie d’une société secrète.

Châteaurenard le 8 février 1852. »

 

Mais le plus surprenant est le second certificat :

« Le Curé et les Vicaires de Châteaurenard vivement émus de l’état où se trouvent deux familles honorables du pays par suite de la détention de leurs chefs, désirent ardemment que les sieurs Morizot Henri Jean, négociant, et Pleindoux Auguste, cafetier, soient mis en liberté. Ils ne connaissent rien dans leur vie ou dans leurs mœurs qui s’oppose à ce qu’ils soient rendus à la société. Ils ne les ont jamais crus capables de devenir des agents du désordre, des provocateurs de troubles. Ils ne craignent nullement que leur présence dans Châteaurenard puisse nuire à la tranquillité publique, ils pensent au contraire que leur retour pourrait y calmer les esprits, y ramener la paix.

Châteaurenard le 9 février 1852 »

 

Puis juste en dessous des signatures du curé et des deux vicaires, nous lisons :

« Je soussigné partage en faveur de Messieurs Morizot et Pleindoux les sentiments qui ont inspiré Messieurs les Curé et Vicaires de Châteaurenard.

signé : Le Marquis de Valori »

 

Cette intervention de la part de personnalités châteaurenardaises influentes a-t-elle permis une libération rapide d’Auguste ? Il semblerait, car le bulletin individuel joint à sa demande de pension mentionne : « Ecroué au château de Tarascon le 24 janvier 1852, il fut mis en liberté par décision de la commission mixte en date du 23 février 1852 ».

Nous constatons qu’Auguste a fait un mois de prison mais qu’il n’a pas été présenté devant le Tribunal et n’a donc eu aucune condamnation pour les faits qui lui étaient reprochés.

 

Au titre de la loi du 30 juillet 1881, instituant « les indemnités viagères aux victimes du Coup d’Etat du 2 décembre 1851 », Auguste Pleindoux recevra, chaque année, 100 francs. Les héritiers directs pouvaient bénéficier de la moitié de cette pension. A son décès, en 1895, chacun de ses fils reçut, sa vie durant, la somme annuelle de 25 francs.

La presse avait relaté la disparition de ce vieux républicain en ces termes : « Avant-hier, ont eu lieu les obsèques d’un vétéran pensionné du Coup d’Etat, Auguste Pleindoux, âgé de 84 ans. »

Ses fils, surtout Hector, seront à l’origine du Cercle Républicain de Châteaurenard fondé en 1900.

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Grâce à votre association à laquelle j’adhère depuis avril 2004, j’ai pu consulter votre site qui contient la « Maîtrise d’Histoire de Hugues Breuze ». Deux pages sont consacrées à Châteaurenard.  A l’aide de vos bulletins/livres, j’ai appris que Denise Devos, conservateur en chef aux A.N., avait écrit un livre « La Troisième République et la mémoire du Coup d’Etat de Louis Napoléon Bonaparte. La loi de réparation nationale du 30 juillet 1881 en faveur des victimes du      2 décembre 1851 ».

 

            Seuls 3 451 dossiers de réversion ont été conservés ; 7 500 ont disparu. Dans la liste qui figure à l’intérieur de l’ouvrage cité ci-dessus, j’ai retrouvé Pleindoux Auguste sous la référence    F15 4176A.

 

            Une cousine parisienne, descendante comme moi d’Auguste Pleindoux, a pu, aux A.N., avoir accès au dossier et faire photocopier les pièces principales.

 

Émile Gerbe

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Notes de l’éditeur du site :

 

Quatre Châteaurenardais ont été arrêtés lors de la répression antirépublicaine : Auguste Pleindoux, Jean Désiré Reydellet, cordonnier, Jean Henri Morizot, épicier, et Jean Abeille, maitre maçon. Seul ce dernier a été condamné par la commission mixte des Bouches-du-Rhône, à la surveillance de la police. Les trois autres ont été remis en liberté.

La liste générale des poursuivis indique en observation pour Auguste Pleindoux (Châteaurenard 23 mars 1812 – Châteaurenard 3 août 1895) : « Son établissement était le lieu de réunion des chefs les mieux posés du parti avancé. »

Pour Jean Henri Morizot, dont il est question dans cet article : « Opinions exaltées. Dissimulé. Vindicatif. »

Pour Jean Abeille (Châteaurenard 17 août 1805 – Châteaurenard 11 février 1862) : « Chef des démagogues, des plus exaltés, complot. »

Source : Poursuivis à la suite du coup d’Etat, base de données réalisée par Jean-Claude Farcy.