St Etienne les Orgues et le pays de Forcalquier face au coup d’Etat

publié dans le bulletin numéro 1, novembre 1997

St Etienne-les-Orgues et le pays de Forcalquier face au coup d’Etat du 2 décembre 1851

 par Gisèle Roche-Galopini

 

Lorsque j’ai découvert la Haute-Provence, le pays de Forcalquier et Saint-Etienne-les-Orgues, je me suis forcément intéressée à l’histoire des Basses-Alpes, et plus précisément au passé du village et de ses habitants. J’ai été très vite amenée à fréquenter les archives, municipales et départementales, qui m’ont appris la part importante qu’avait prise ce modeste chef-lieu de canton dans la résistance au coup d’Etat de Louis-Napoléon Bonaparte.

Pour mieux comprendre ces événements, j’ai jugé nécessaire de connaître la vie des habitants au cours des années qui avaient précédé. Pour la plupart, c’était la pauvreté, l’exploitation à laquelle ils étaient soumis de la part des notaires et des collecteurs d’impôts de toutes sortes, le fait d’être considérés comme quantité négligeable, «la lie de la terre », puisqu’ils n’avaient pas le droit de vote réservé aux seuls notables qui pouvaient le payer. Ainsi exploités et méprisés, les gens du peuple : paysans, artisans, cabaretiers, etc. rejoignent ceux qui mènent une lutte plus politique afin d’instaurer une république où tous les hommes seront égaux. Tous se retrouvent dans des cercles hérités des chambrettes et souvent devenus des sociétés secrètes que le Pouvoir traque et cherche à interdire. Des notables éclairés animent ces réunions, présentent et expliquent les idées nouvelles, font la lecture des journaux et mettent au point les mesures à prendre le moment venu.

L’espoir soulevé par l’avènement de la Deuxième République en 1848, avec l’instauration du suffrage universel, est vite déçu après le mois de juin. Au cours des trois années qui suivent, Louis-Napoléon Bonaparte, président de la République, désirant conserver le pouvoir après 1852 alors que la constitution ne lui permet pas de briguer un second mandat, envisage un coup d’Etat qu’il prépare avec soin à l’aide de l’armée et du Parti de l’Ordre : ce sera le 2 décembre 1851.

Les Basses-Alpes se soulèvent : de Saint-Etienne-les-Orgues, une colonne forte de trente-quatre hommes et deux femmes, armés de vieux fusils et parfois de fourches, part le 5 au matin rejoindre celles des autres villages pour marcher sur Forcalquier et de là, rejoindre Digne. Diverses péripéties jalonnent leur parcours, dans les dix jours que dure cette résistance active. Après leur passage triomphant à Forcalquier, c’est l’arrivée à Digne d’où les mots d’ordre républicains sont envoyés à toutes les communes, la rencontre des Mées où la troupe gouvernementale abandonne le terrain. C’est le repli sur Saint-Etienne-les-Orgues pour le plus prestigieux des chefs insurgés, Ailhaud dit de Volx, les autres ayant donné l’ordre de dispersion. Saint-Etienne-les-Orgues a alors le triste privilège d’être le dernier bastion de la résistance : Ailhaud et ses hommes au nombre de trois cents affrontent un second détachement de l’armée gouvernementale. Des insurgés sont tués, d’autres, nombreux, faits prisonniers, mais il n’y a pas de morts dans l’armée régulière. Ailhaud défait, se réfugie avec quelques fidèles dans la montagne enneigée. Il y reste quelque temps avant de gagner Marseille où, arrêté et jugé, il est condamné à la déportation au bagne de Cayenne. Dans le département, la répression est très sévère : on peut lire les noms des trente- quatre insurgés de Saint-Etienne dans la liste des condamnés à des peines diverses.

La commune, quant à elle, subit le rude contrecoup de cette répression le maire-notaire-usurier dont la maison avait été pillée par des insurgés du village (ce qui montre bien qu’il existe un lien entre lutte sociale et lutte politique), intente un procès à la commune à la tête de laquelle il se trouvait et le gagne en appel. Celle-ci est donc contrainte de lui payer une somme considérable, dette dont elle portera le poids pendant quarante ans. Une autre conséquence de la répression, c’est la soumission totale des édiles au nouveau pouvoir et la peur qui règne dans tous les foyers : à Saint-Etienne-les-Orgues, on construit une fontaine dédiée à Napoléon III sur une place qui portera son nom pendant une vingtaine d’années.

Ces événements, s’ils étaient bien connus des historiens, étaient très souvent ignorés de la majorité des Français, même et surtout dans les lieux où ils s’étaient produits. C’est pourquoi j’ai souhaité, dans la région où j’ai choisi de vivre, les faire connaître en écrivant « Saint-Etienne-les-Orgues et la gloire de la Montagne. Notables et gens du peuple face au coup d’Etat de 1851 », paru aux éditions Alpes de Lumière en 1994.

 

Gisèle ROCHE-GALOPINI