Seillans

Seillans 

Les années tumultueuses : 1848-1852

par Jean Salomone

troisième partie

 

Les rivalités politiques s’estompent un temps car une nouvelle menace de choléra se précise comme cela s’était déjà manifesté en 1835 au moment où Toulon et Marseille en avaient été les foyers. Cette menace avait débuté en août 1849 pour se préciser en notre région vers 1850 et 1851. Mais, en définitive, Seillans n’a pas eu à en souffrir.

Le 2 décembre 1851, jour anniversaire d’Austerlitz, a lieu le coup d’Etat du Prince-Président Louis Napoléon Bonaparte.

Contrairement à ce qui s’était toujours produit jusque là, la province ne fut pas passive. Dans une quinzaine de départements les Républicains prennent les armes.

Le 2 décembre il neige abondamment sur Seillans et toute la région.

Le coup d’Etat n’est pas connu immédiatement. Dès le 3 décembre les détachements de troupes ne peuvent agir à Draguignan, étant trop faibles. Ils se bornent à protéger la Préfecture. A Fayence où les forces de l’ordre consistent seulement en une brigade de gendarmerie, rien ne peut empêcher les Républicains de se dresser contre le Prince-Président. Tout le canton s’embrase. Mais, entre le 4 et le 6 décembre, à Seillans comme dans les autres communes du canton, les hommes prennent les armes pour uniquement contrôler la vie locale. Aucun de ces Républicains ne cherche à rejoindre les colonnes qui se sont formées dans le département autour du Luc et de la Garde-Freinet puis à Vidauban.

Les Républicains de Bargemon, au contraire, rejoignent la colonne à Lorgues.

Quoi qu’il en soit le canton de Fayence est le seul, dans tout l’Est varois, à s’être dressé en totalité contre le Coup d’Etat du 2 décembre et à manifester clairement son attachement à la République.

Dans la liste des communes insurgées dans le Var à la suite du coup d’Etat de décembre 1851, on relève : Bargemon, Bagnols, Claviers, Callas, Callian, Draguignan, Fayence, Figanières, Montauroux, Tourrettes et Seillans.

Bargemon a eu un tué : Antoine Philip, cordonnier, fusillé à Lorgues.

123 communes ont été touchées par la répression qui décime douze cantons ruraux dont celui de Fayence. « Quand on parcourt la liste des varois déférés devant la commission mixte, une constatation s’impose : des villages entiers se sont soulevés en décembre. Avec leurs maçons, leurs cordonniers, leurs maréchaux-ferrants, leurs menuisiers, leurs potiers ».

Dans la liste des varois voués à la prison, à l’éloignement, à l’exil :

Canton de Fayence :

Ø      Callian : Chautard Antoine, cultivateur – Guillon Joseph, cordonnier – Paron Hippolyte, menuisier – Pascal Hippolyte, secrétaire de mairie – Second Jean, cultivateur – Chautard, cabaretier.

Ø      Fayence : Lambert Henri, cultivateur – Laugier, instituteur – Luquet Pascal, cultivateur – Martel François, cultivateur – Rebuffat Benoît, notaire – Rossi Thomas, chapelier – Rugias Ferdinand, propriétaire.

Ø      Mons : Castel Jean Joseph, cultivateur – Sauvaire Paul, propriétaire – Pélassy Pierre, aubergiste.

Ø      Montauroux : Béraud Jean-Baptiste, cultivateur – Blanc Pons-Paulin, menuisier – Giraud Victor, marchand – Jean Marius, tailleur – Moriesson dit Maurin, charretier – Mories Jean, maréchal-ferrant – Trabaud Jean, cultivateur – Truc Louis, cultivateur.

Ø      Saint Paul en Forêt : Hébréard Pierre, maréchal-ferrant – Hébréard Christophe, aubergiste.

Ø      Tourrettes : Lambert Jean-Baptiste, cabaretier.

Ø      Seillans : Blanc Jean-Baptiste, cultivateur – Bœuf Henri, tisserand – Brémond Charles, cultivateur – Bérenguier Jean Eugène, cultivateur – Equi Casimir, scieur de long – Fassy Jean-Baptiste, cultivateur – Gassier François, cultivateur – Goulin Joseph, berger – Lambert Honoré, boulanger – Louche Joseph, cultivateur – Petit Louis-Mathieu, cultivateur – Reboul François, cultivateur – Reboul Louis, cultivateur.

 

(d’après Noël Blache – L’insurrection du Var de 1851 – La Table rase éditeur)

 

A la suite de ces arrestations il faut régler les dépenses occasionnées par ces journées d’insurrection.

Ainsi Madame Blanc, née Bœuf, aubergiste, reçoit 63,75F. pour la nourriture des hussards, des gendarmes et du commissaire de police de Draguignan qui ont séjourné chez elle.

Virgil Jacques, également aubergiste, se voit attribuer 110F. pour avoir nourri les détachements de troupe de ligne et les insurgés prisonniers.

Marin Joseph touche 24F. pour le transport des prisonniers jusqu’à Fayence.

Eugène Giraud a fourni à la gendarmerie pour 8,85F. de poudre de guerre et 16 pots de vin, et Antoine Pastoret trois kilo et demi de balles, sept hecto de plombs, une demi coupe de vin et … un vase de nuit.

Virgil, le même aubergiste que ci-dessus, a donné en plus des hébergements, 6 kg de pain, 12 kg de morue puis 27 kg de pain pour l’armée ainsi que 2 kg de fromage.

La commune a procuré des bougies et de l’huile, de la poudre, du vin, des cartouches aux hommes rassemblés pour la défense de l’ordre. Et aussi des repas aux officiers et aux personnalités, à 1,25F. pièce, dont 24 le 7 décembre… ainsi que 23 pots de vin blanc, 40 livres d’eau  de vie, 32 livres de ratafia pour le poste de garde de la mairie.

Toutes ces dépenses ne seront réglées, d’ailleurs, qu’en 1854 au plus tôt, devant être établies par l’Intendant militaire de Marseille conformément à un état récapitulatif du préfet… et le 9 août 1859 il en est encore question puisque « Monsieur le préfet prévient que M. le Ministre de la Guerre lui fait connaître que par suite de la liquidation des dépenses occasionnées par l’insurrection du Var, le crédit nécessaire pour désintéresser les créanciers, vient d’être mis à la disposition et que son Excellence procédera sans retard à l’ordonnancement de cette créance »… ainsi « cette affaire recevra une prompte solution ».

Cependant, courant décembre, de nouvelles arrestations ont lieu à Seillans dont celles d’une femme Marianne Berthou, de Lambert Marius, de Pastoret Léger César et de Virgil Félix.

Il faut reconnaître que l’alerte a été très chaude et que Draguignan a craint pendant de nombreux jours la formation d’une colonne qui, partant de Fayence, de Seillans et de Bargemon aurait pu facilement s’emparer de la Préfecture. En effet comme nous l’avons signalé, en décembre 1851 à Draguignan, le Préfet Romand était pratiquement assiégé, ne disposant que de 800 recrues peu sûres et facilement gagnées aux idées de « rouges ». En fait il ne pouvait compter que sur 80 gendarmes et sur les royalistes dracénois groupés dans la Société de Saint-Antoine. Comme la menace pouvait également venir de l’Ouest, à partir de Lorgues et de Brignoles, il est facile de comprendre que la situation du Préfet était des plus précaire.

Les colonnes parties du Luc et de La Garde Freinet ayant finalement évité de marcher sur Draguignan pour avancer jusqu’à Aups, et la bourgeoisie dracénoise dont l’avocat Pastoret décidant de ne pas agir, le Préfet réussit à reprendre la situation en main dès le 6 décembre. Il écrit alors au Maire de Seillans :

 

«                                                                                 Draguignan le 6 décembre 1851.

 

 

Monsieur le Maire,

 

 

Je vous remercie de la lettre que vous m’avez envoyée aujourd’huy. Je ne puis qu’approuver et louer votre conduite et celle de votre Conseil municipal. Vous faites bien de ne pas abandonner vos fonctions que le Gouvernement est loin de vouloir vous enlever.

Je vous remercie des détails que vous voulez bien me donner, je vous prie de faire connaître à vos administrés les dangers auxquels ils s’exposaient en s’écartant des voies de l’ordre et en venant dans un mauvais but à Draguignan, toutes les mesures y sont prêtes pour repousser et réprimer promptement et sévèrement toute tentative coupable. Les nouvelles politiques sont d’ailleurs excellentes, la tranquillité règne partout et surtout à Paris, Lyon, Marseille et Toulon. De tous côtés on applaudit aux dispositions prises par Mr le Président de la République, les journaux font foi de tout cela et si vos administrés les lisent ils renonceront certainement à leurs projets et resteront paisiblement dans votre commune : c’est ce qu’ils ont de mieux à faire.

 

Recevez, Monsieur le Maire, l’assurance de mes sentiments distingués.

 

Pour le Préfet en tournée, le Conseiller de Préfecture, secrétaire général délégué.

 

Henri Anglès.

 

Je vous prie de m’envoyer les lettres que vous avez saisies, et d’en faire de même pour toutes celles que vous arrêterez et qui servent de pièces de conviction devant la justice. Il n’est pas même nécessaire de les lire aux parties. Envoyez-les moi par un porteur sûr ».

 

Telle est la lettre reçue par le Maire de Seillans à qui le Préfet avait demandé de lui remettre les clefs de la Mairie, jugeant son attitude peu énergique face à l’insurrection. Le Maire avait donc menacé de démissionner. Le Préfet l’en dissuade et, au contraire, le félicite pour son attitude énergique. Mais comme le Maire avait signalé qu’on avait procédé à Seillans à l’arrestation d’un individu porteur de lettres destinées à rassembler des républicains pour aller attaquer la préfecture, le Préfet répond en encourageant celui-ci à poursuivre son enquête. Mais les choses ne sont pas aussi simples qu’on l’imagine car les communications entre Seillans et Fayence d’une part et entre Seillans et Draguignan sont souvent interrompues par les insurgés et leurs sympathisants :

«                                                                                             Fayence, le 10 décembre 1851

 

Le Maire de Fayence à Monsieur le Maire de Seillans,

 

 

Monsieur le Maire,

 

 

Nous venons d’être informés à l’instant même par Monsieur le juge de paix de ce canton, qu’il a été convenu entre vous et lui qu’il serait prudent que la Commune de Seillans pût correspondre avec celle Fayence en cas d’invasion. C’est pourquoi nous avons l’honneur de vous adresser u homme afin qu’il soit à votre disposition, par lequel vous pourrez promptement nous transmettre les renseignements qui seront à votre connaissance à ce sujet.

 

Agréer Monsieur le Maire, l’assurance de ma parfaite considération.

 

 

Le Conseiller Municipal faisant fonction de Maire.

 

F. Martel ».

 

En effet, Fayence craint toujours une attaque de Seillans par une colonne insurrectionnelle. D’autant que des fusils ont été trouvés chez de nombreux Seillanais, en particulier chez « les Sieurs Gaudret et Lambert » :

 

 

 

« 7ème Division militaire

      50ème de Ligne

    Etat de siège du Var

 

Fayence, le 22 décembre 1851

 

Monsieur le Maire,

 

Veuillez je vous prie au reçu de la présente, faire prendre dans votre commune, telle mesure qu’il vous paraîtra nécessaire pour opérer le désarmement complet de tous les Malveillants, et même de toutes les personnes sur lesquelles on ne peut pas compter dans les moments de crise comme ceux que nous venons de traverser.

Je compte pouvoir aller d’ici trois ou quatre jours au plus tard avec mon détachement pour faire enlever ces armes et les faire parvenir à l’autorité supérieure qui les fera déposer dans les arsenaux de l’Etat, jusqu’à ce que les circonstances permettent de les rendre ; chaque arme devra porter une étiquette sur laquelle sera inscrit très lisiblement le nom et l’adresse de son propriétaire. En attendant cette mesure veuillez avoir la bonté de faire remettre au porteur de la présente les deux fusils trouvés au domicile des individus arrêtés dernièrement dans votre commune, ces deux armes me sont réclamées comme pièces de conviction et ont été laissées l’autre jour par erreur.

Recevez Monsieur le Maire, l’assurance de ma plus parfaite considération.

 

Le Capitaine Commandant le détachement du 50ème à Fayence »…

 

Les arrestations se multiplient à Seillans, dont celle de François Xavier :

 

« 7ème Division militaire

      50ème de Ligne

    Etat de siège du Var

 

Fayence, le 23 décembre 1851

 

Monsieur le Maire,

 

 

J’ai l’honneur de vous informer qu’ayant acquis à peu près la certitude que l’individu arrêté hier par mon détachement dans votre commune n’avait d’autre tort que celui d’être trouvé possesseur de plusieurs armes chargées, dans son domicile, je le fais mettre en liberté. Quant aux armes trouvées chez lui, versées dans les arsenaux de l’Etat, comme toutes celles du désarmement, et lorsque les circonstances le permettront, ces armes seront rendues à leurs propriétaires. Je vous renouvelle Mr le Maire, la prière de faire activer autant que possible, dans votre commune, le désarmement de toutes les personnes malintentionnées, et même de toutes celles sur lesquelles on ne peut pas compter, ces armes doivent être étiquetées, et la liste en être dressée, j’espère pouvoir aller au premier jour pour les réclamer.

 

Recevez, Monsieur le Maire, l’assurance de ma plus profonde considération.

Le capitaine commandant le détachement du 50ème à Fayence »…

 

Mais l’armée n’est pas la seule à intervenir à Seillans. La gendarmerie seconde son action répressive. Aussi :

 

« les gendarmes Gautier et Hubin qui ont escorté pendant deux fois le détachement de troupes stationnées à Fayence pour aller faire des arrestations à Seillans désirent que vous leur délivriez un certificat constatant qu’ils ont fait leur devoir avec zèle et dévouement.

Ils m’ont chargé de vous demander ce certificat que je transmettrai ensuite directement à leur capitaine. Veuillez me l’adresser au plus tôt possible et recevez, Monsieur le Maire, l’assurance de ma parfaite considération.

 

Le juge de paix : Allongue ».

 

Il faut noter que l’armée et la gendarmerie sont intervenues très activement à Seillans et ont fait de nombreux prisonniers. Certains ont d’ailleurs été remis en liberté dès la fin décembre. Les arrestations ont été effectuées sans aucun discernement et lors des visites domiciliaires tout individu possédant une arme était aussitôt considéré comme suspect. Or, à cette époque, de très nombreux cultivateurs possédaient des fusils puisque la chasse était non seulement pour eux un passe temps mais un moyen de se procurer un complément de nourriture.

D’autre part de nombreux Seillanais ont été partisans de l’Ordre :

Liste des Citoyens qui se sont présentés dans la nuit du 6 au 7 décembre pour la défense de l’Ordre :

 

Seillanais partisans de L’Ordre

 

Nom

Activité

 

 

 

 

GUES Louis Esprit

Maire

 

GIRAUD Esprit François

Adjoint au maire

 

PERRUCHE Etienne

Commandant de la Garde nationale

 

MOURRE

Recteur

 

BLANCARD Adolphe

Vicaire

 

PELLICOT André Martin

Médecin

 

LATOUR Antoine

Officier en retraite

 

GIRAUD Eugène

CABASSE Honoré

GAL Joseph

AUDIBERT Marius

 

Lieutenants de la Garde nationale

 

 

MARIN Joseph

Sous-lieutenant

 

MILLET Antoine

Gendarme en retraite

 

BLOND Jacques

Secrétaire de Mairie

 

LAMBERT Pierre

BLANC Antoine

Tambours

 

ARAGON Antoine

 

 

ARAGON Jean-Baptiste

 

 

ARNOUX Antoine

 

 

ARNOUX dit Cadet

 

 

ARTAUD Joseph

 

 

AUDIBERT Joseph

 

 

BARON Charles Guillaume

 

 

BLANC Dominique

 

 

BONNEFOY Adolphe

 

 

BONNEFOY André

Cantonnier

 

BONVAU Sauveur

 

 

CHRISTINE dit Belon

 

 

CHRISTINE Donat

 

 

CHRISTINE Paulin

 

 

DALMAS Antoine

 

 

DALMAS Clément

 

 

DALMAS Paul

Sergent de ville

 

GAGNARD Grégoire

 

 

GAL Antoine

 

 

GAL André d’Antoine

 

 

GAL André de Sylvestre

 

 

GAL Antoine dit Mousseon

 

 

GAL Antoine dit Passero

 

 

GAL Joseph

 

 

GAL Joseph dit Cler

 

 

GAYNARD Julien

 

 

GAYTTE Esprit

 

 

GIRAUD Barthélemy

 

 

GIRAUD Jean

 

 

GUIOL Barthélemy

Ancien gendarme

 

JORDANY Eugène

 

 

JUBELIN André

 

 

JUBELIN Jean

 

 

LAUGIER Jean

 

 

MAURIER Chrisologue

 

 

MAURIN Etienne

 

 

PASTORET André

 

 

PASTORET Antoine

Garde champêtre

 

PASTORET Antoine Denis

 

 

PASTORET Esprit dit Rey

 

 

PASTORET François dit Rey

 

 

PASTORET Honoré

 

 

PASTORET Hypolite

 

 

PASTORET Philippe

 

 

PASTORET Vincent

 

 

PELLICOT Charles Esprit

 

 

PELLICOT Jean-Baptiste

 

 

PELLICOT Xavier

Percepteur

 

PERRUCHE Lucien

 

 

PERRUCHE Sauveur

 

 

REBUFFEL Roman

 

 

SAURIN Joseph

 

 

TRESTOURNEL Antoine

Instituteur

 

VIOLIER André

 

 

VIOLIER Léger

 

 

VIOLIER Vincent

 

 

VIRGIL Joseph

 

 

 

Soit, en tout, 76 personnes.