Marseille et le coup d’Etat. Documents.

article publié dans le Bulletin n°22, janvier 2003

Marseille et le coup d’État du 2 décembre 1851. Documents.

 

Il est généralement admis qu’en décembre 1851, alors qu’une grande partie de la Provence s’embrasait contre le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte, Marseille et les Bouches-du-Rhône n’ont pas bronché.

Essayons de décrypter ce qui s’est passé, en feuilletant Le Sémaphore, journal que l’on ne peut pas accuser de sympathie pour les Rouges.

 

La nouvelle est arrivée à Marseille le 3.

 

Jeudi 4 décembre :

“ De nombreuses patrouilles de cavalerie et d’infanterie ont circulé dans nos principales rues, pendant toute la soirée d’hier. Un fort piquet de la ligne avait été placé dans le Bourse et sur divers autres points. La population s’est portée sur la voie publique en plus grand nombre que de coutume ”.

Le préfet, en présence des autorités et de toute la troupe, donne lecture des dépêches provenant de Paris : « La foule était assez compacte sur la place de la République et sur la Canebière. Des cris nombreux de “Vive la République ! » ont suivi la lecture de ces proclamations ”.

 

Vendredi 5 décembre :

“ La ville a été occupée militairement sur les principaux points. Des canons étaient braqués sur la place Saint-Ferréol et au cours Saint-Louis. On remarquait partout que les mesures les plus sévères avaient été prises par l’autorité militaire pour le maintien de la tranquillité ”.

Par arrêté du maire du 4 décembre, “ Impératives défenses sont faites […] de parcourir les rues, places et autres voies publiques, soit par groupes, soit tumultueusement, de former des rassemblements, de proférer des cris ou des chants. Tous contrevenants aux dispositions ci-dessus seront immédiatement arrêtés et mis à la disposition du procureur de la République ”.

“ Nous apprenons que dans la journée diverses arrestations ont eu lieu et que les journaux “Le Peuple” et “Le Progrès Social” ont été suspendus ”.

 

Samedi 6 décembre

“ La ville a été comme la veille occupée militairement. […] Pendant la nuit précédente et dans la journée, d’assez nombreuses arrestations ont été opérées ”.

On parle “ d’un rassemblement assez considérable qui s’était formé au village de Saint-Pierre et qui a été dispersé par une patrouille de cavalerie et un bataillon d’infanterie. Cet événement s’est produit dans la nuit précédente et a donné lieu à l’arrestation d’une quinzaine de personnes ”.

“ Plusieurs établissements publics, parmi lesquels divers cafés, ont été fermés hier par ordre de l’autorité ”.

“ L’artillerie a continué à occuper les divers points stratégiques où elle avait pris position. […] La corvette-école des Mousses […] a été embossée en face de la Canebière. Une compagnie de la ligne a été installée à bord de ce navire ”.

Sur une proclamation du préfet, affichée, on peut lire “ Que tous les ouvriers […], que tous les pères de familles honnêtes et laborieux […] se hâtent de rentrer dans leurs ateliers. Le travail les attend ”.

“ Les théâtres ont été fermés hier et avant-hier ”.

 

La répression.

À partir du 8 décembre, plus trace d’effervescence. Marseille, la seule ville de province à avoir connu l’émeute en juin 1848, ne se soulèvera pas. Les débrayages ont été nombreux et chacun attendait, désemparé, une consigne qui ne viendra jamais. Les chefs espérant un ordre de Paris…

Désormais, Le Sémaphore se fait l’écho de la répression.

“ Nadal Pierre aurait crié à Marseille : “Vive la rouge !”. Il est condamné à un mois de prison ” (9-12).

“ Caillat a été trouvé porteur d’une ceinture rouge, d’une cravate rouge, d’un bonnet rouge. Poursuivi pour port d’emblèmes séditieux, il a été condamné à trois mois de prison et 100 francs d’amende ” (11-12).

À partir du 13, on lit régulièrement ce type d’information : “ Un nouveau convoi de 154 prisonniers, faits parmi les insurgés des Basses-Alpes, est arrivé à Marseille. Les prisonniers vont être dirigés sur le château d’If ” (16-12).

“ Les arbres dits de la liberté seront coupés ou arrachés ” (arrêté préfectoral du 27-12).

Le conseil de guerre se réunira à Marseille à partir du 14 janvier 1852. En prévision, la période de carnaval est strictement limitée du 10 janvier au mardi-gras. “ Nul ne pourra prendre des déguisements de nature à troubler l’ordre public, notamment des costumes militaires. […] Il est expressément défendu à toutes les personnes de se montrer dans les rues et place publiques le visage couvert d’un masque ”.

Si les événements à Marseille ont été modestes, les peines prononcées seront sévères : 17 condamnations au bagne de Cayenne (7 à perpétuité et 10 de 20 ans), 93 déportations en Algérie, 196 internements, 188 mises sous surveillance de la police et 25 expulsions du territoire.

 

Raymond BIZOT