La Presse dans la Drôme

La Presse dans la Drôme : Mars 1852 : La centralisation décentralisée.

par Gaston Fugier

Un conflit entre ministres

Le coup d’état du 2 décembre 1851 fut vite suivi par deux décrets intéressant la presse, celui du 17 février 1852 relatif à son régime juridique et celui du 25 mars 1852 sur la décentralisation. L’application du premier de ces décrets à la presse d’arrondissement est soumise à de curieuses divergences. Un conflit se devine dans la Circulaire de Maupas (ministre de la Police Générale) du mardi 30 mars 1852, provoquée par la parution du décret de Persigny (ministre de l’Intérieur) le jeudi d’avant. Les préfets ont-ils ou non le droit d’attribuer à une sorte de Journal officiel du département la totalité des recettes des Annonces judiciaires et légales (en abrégé AJL) ? S’ils le font ils asphyxieront, par calcul politique ou économique, les journaux de chefs-lieux d’arrondissement et autres capitales locales.

Quels sont ces journaux ? La publication des AJL sur des Feuilles d’Affiches, qu’elle ait répondu à des nécessités pratiques ou à des décisions administratives locales, a eu un rapport chronologique et probablement politique avec la Restauration. Ensuite, l’une après l’autre, les Feuilles d’affiches se transforment en hebdomadaires dont la trésorerie est partiellement alimentée par les AJL. Ce mouvement amorcé sous Louis-Philippe, amplifié par la Seconde République, est soudain freiné en mars 1852.

Février 1852 : décret favorable

« Le décret du 17 février 1852 relatif au régime juridique de la presse énonça dans son article 23 : ‘Les annonces judiciaires exigées par les lois pour la validité ou la publicité des procédures ou des contrats seront insérées, à peine de nullité de l’insertion, dans le journal ou les journaux de l’arrondissement qui seront désignés, chaque année, par le préfet. A défaut de journal dans l’arrondissement, le préfet désignera un ou plusieurs journaux du département. Le préfet réglera en même temps le tarif de l’impression de ces annonces’.

Dans ce dispositif, deux éléments apparaissent essentiels : d’une part, les annonces, pour être juridiquement valables, doivent être publiées dans un journal habilité, publié au plus près du public intéressé (l’arrondissement, à défaut le département), et d’autre part, l’habilitation est donnée par le préfet, qui fixe également le tarif. Aucun critère n’est fixé qui puisse déterminer les choix de l’autorité administrative (Note : ni périodicité, ni niveau de diffusion), ceci laissant la place à l’arbitraire, tel journal « bien pensant » pouvant être retenu plutôt qu’un autre »

Dans cette période instable, ces journaux choisissent la modération. Le Journal de Die (abrégé ici en JdD) est le magazine d’une élite, les articles viennent de tous les horizons politiques, leur contenu est strictement culturel, il n’y a ni informations locales ni départementales. Pour son feuilleton, il s’est abonné à la Correspondance du Congrès de Tours. A la date présente, je n’ai malheureusement trouvé aucune trace de cette Revue scientifique, littéraire agricole et commerciale dirigée par A. Leymarie.

[Cette revue introuvable a pu également fournir au JdD les nouvelles de France et d’ailleurs. Détail important, en avril 1852, elle a tenté d’organiser une action de défense des Journaux d’arrondissement. Le JdD s’y associe. Elle s’appuie sur l’art. 23 du Décret sur la Presse et sur la circulaire Maupas : « un journal ne peut obtenir le droit de publier les annonces judiciaires de tout un département que lorsqu’il n’existe point de Journaux dans les arrondissements ; la loi, en ce qui concerne les annonces judiciaires, comprend, sans distinction aucune, les Journaux politiques et non politiques. » Maupas est ici dans la ligne orléaniste libérale]

Mars 1852 : décret défavorable

L’attaque contre les journaux s’appuyait sur le décret du 25 mars 1852 sur la décentralisation. Il donnait aux préfets l’initiative de nommer 26 catégories de fonctionnaires ou personnel assimilé (chef de l’octroi des villes, facteur, membres des jurys médicaux…). L’attribution des AJL est-elle couverte par leur droit de « statuer sur les affaires commerciales » ? Cet argument n’est cité nulle part, Persigny a pu faire circuler des instructions confidentielles. Les préfets du Vaucluse et d’Isère profitent du décret pour attribuer à leur journal départemental le monopole des revenus des AJL. Des études sur les Vosges ou la Normandie font état de la même politique. Quand à Ferlay, préfet de la Drôme, il concentre sur le Courrier de la Drôme et de l’Ardèche la totalité des revenus, c’est à dire : 8219,70 F. L’arrondissement de Valence y entre pour 35% l’Ardèche et Die respectivement pour 38,5% et 8 %, etc. Ces mesures sont réactionnaires : déjà le Premier Empire ne tolérait qu’un journal par département.

Le 23 mars 1852, sans attendre le décret Persigny, le préfet de la Drôme avait arrêté « Considérant que les journaux d’annonces existant dans les divers arrondissements ne remplissent à aucun point de vue les conditions exigées par la loi dans un intérêt public.[…] aucune insertion ne pourra être faite dans un journal autre que le Courrier de la Drôme et de l’Ardèche, à peine de nullité.« 

Une décentralisation truquée

En expliquant le 28 mars les limites de la décentralisation, ce quotidien de Valence expose aussi la manipulation du suffrage universel et sa justification : « Pour ce qui concerne la formation des assemblées locales, des conseil municipaux et des conseils généraux, on ne pouvait exiger du gouvernement qu’il abandonnât les localités à leur liberté complète. Nous ne sommes pas dans une situation ordinaire ; la société est encore trop chancelante, et l’esprit public trop ébranlé par suite des dernières secousses, pour que l’autorité puisse faire le sacrifice de ce droit et laisser à des populations à peine revenues de leur égarement la faculté de choisir sans aucune espèce de contrôle les hommes qui doivent les représenter dans les assemblées locales.« 

Les thuriféraires du régime

Les abonnés à la bonne presse conservatrice départementale sont chargés « de la faire lire partout, et particulièrement dans les lieux où se réunit habituellement la classe ouvrière » au lieu des « publications anarchiques« . Voici comment le 4 janvier 1852, un mois après le coup d’état, on y décrivait les célébrations officielles du nouvel an à Paris. « Malgré le brouillard épais qu’il faisait et le pavé glissant des rues, toutes les mesures avaient été si bien prises par l’autorité militaire et administrative qu’aucun membre isolé de la foule amassée n’a eu à souffrir, pas même une contusion, de cette agglomération sans précédent de plus de 400 000 âmes sur un étroit espace de terrain. Disons-le, tant de bonheur ne tient pas seulement aux prévisions humaines ; la main de Dieu y a sa part. Depuis le 2 décembre, les hommes religieux n’en sont plus à douter que le prince Louis – Napoléon ne soit à la fois l’élu du peuple et celui de la divine providence…« 

Ce texte était l’œuvre de l’agence Havas, plus célèbre et moins éphémère que la Correspondance de Congrès de Tours. Quand le JdD publiera une évocation des fêtes du 15 août (Fête Nationale bonapartiste) de 1852, le ton sans être trop critique, sera au moins distancié.

Un préfet autocratique

Le 19 septembre 52, le JdD imprime à nouveau des extraits du décret et de la circulaire Maupas. Mars et juin 53 suscitent un espoir°: l’Isère a depuis longtemps un régime libéral ; le préfet de Vaucluse vient d’évoluer dans le même sens ; enfin, le préfet d’Ardèche a retiré ses annonces au Courrier du préfet Ferlay et condamné explicitement sa gestion centralisatrice des annonces drômoises. Mais l’Ardèche est alors un fief des Chevreau, ils sont capables d’être maîtres chez eux. Ce préfet (pour 4 semaines) est Léon Chevreau. Il dénonce l’accord passé par son frère et prédécesseur avec Ferlay. Il va « monter » à l’Intérieur, son frère aussi, qui en sera finalement ministre en 1870.

Le sort du JdD n’en est pas amélioré. De cette date, après quelques publications sporadiques il va rester silencieux plus de cinq ans. Le Journal de Montélimar présente une requête pour abus de pouvoir devant le Conseil d’Etat ; Elle n’aboutit pas. Il cesse aussi de paraître en 1854. Pour ce qui est du ministre de la Police Générale, son poste avait été supprimé le 21/06/1853. Il a eu le beau rôle dans l’affaire des Journaux d’Arrondissement, peut-être du fait de son expérience de la préfectorale sous le régime orléaniste. Mais les historiens l’accusent d’avoir exercé une répression sans indulgence contre les opposants, et notamment contre la presse. Et non content d’être jalousé par ses rivaux de l’Intérieur et de la Guerre, il aurait lassé l’Empereur par ses excès !

La fin du monopole

Les journaux de Montélimar et de Die reparaissent l’un le 19 août, l’autre le 26 septembre 1858 sous de nouvelles têtières. Ils devaient avoir vent de l’arrêté préfectoral ambigu qui allait être signé le 29 septembre 1858, et approuvé à Paris le 6 décembre. « Considérant que le Courrier de la Drôme et de l’Ardèche est le seul journal qui se publie dans le département… [Il] est désigné pour recevoir pendant toute l’année 1859 les annonces judiciaires exigées par les lois, pour la validité ou la publicité des procédures ou des contrats… Le Courrier sera tenu de faire reproduire un extrait dans les feuilles d’arrondissement de Die et de Montélimar des annonces de chacun de ces arrondissements… [et de leur] verser le tiers du produit de chaque annonce insérée…« 

Le temps des Parrains

Le JdD reçoit la portion congrue mais il a trouvé un second souffle. Il se recentre sur les intérêts locaux, et travaille en accord avec de Courcelles, le sous-préfet. Cette période se termine à l’arrivée de son successeur, Baciocchi, protégé de Son Altesse Impériale la Princesse du même nom, paresseux selon l’avis général (celui de Ferlay et celui des Diois !) Le 4 mai 62, sur une page unique, le JdD proclame : « A CEDER — à des conditions très avantageuses — une imprimerie située à Die (Drôme), chef lieu d’arrondissement. ─ Population : 3,885 habitants.« 

Le préfet Ferlay n’avait pas rétabli la situation financière aussi bien qu’on l’espérait. « Moins heureux que nos confrères de l’Isère, nous n’avons pas pu nous faire accorder, en onze ans, ce qu’eux ont obtenu en quelques jours seulement« . Aussi, la têtière ne dit plus « Journal désigné par l’autorité« . Mais l’appel du 4 mai s’adressait particulièrement à Jules de Castellane Majastre, qui allait être préfet le 14 mai. La prétendue mise en vente était un coup médiatique visant Castellane et l’opinion publique. La parution reprit au bout d’un mois. Vu la passivité de Baciocchi, il fallait au JdD un protecteur plus haut placé. Dès lors l’amélioration liée au départ de Ferlay se maintint et fut confirmée en 1868 lors de la parution de la loi sur la liberté de la Presse.

Gaston FUGIER

 

(Informations :

sur les AJL :            http://www.ddm.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_ajl.pdf ;

sur les journaux°: Etudes Drômoises, Terre d’Eygues, JdD, AD 26)