L’histoire mouvementée de Montauroux 1848-1852

article mis en ligne le 13 décembre 2016

L’histoire mouvementée de Montauroux de 1848 à 1852

 

Voici une histoire oubliée qui nous renvoie à l’avènement de la 2e République en février 1848 et qui met en scène de nombreuses familles de Montauroux dont les descendants habitent encore au village , elle est aussi une histoire tragique qui montre l’attachement de ces provençaux aux valeurs républicaines.

 

L’esprit républicain

En 1848 , la population de Montauroux est de 1728 habitants , c’est une population jeune composée principalement d’artisans et de petits cultivateurs. Louis-Chistophe Truc est le maire d’une vaste commune qui englobe les Adrets. La vie sociale est très développée , les montauroussiens ont l’habitude de se réunir dans des chambrées ou cercles qui sont des lieux où l’on joue et parle politique , certains lisent des journaux à haute voix en faisant une traduction en provençal, on y rencontre des bourgeois éclairés tels que avocats, notaires qui contribuent à la formation citoyenne des sociétaires. Ces chambrées s’ouvrent sur le Clot qui est déjà un lieu de rencontre. C’est le cas d’une chambrée nommée «  la Jeune France » qui se réunit chez madame Renoux Mélanie veuve Isnard, place du Clot ; cette maison est louée à Marius Jouan tailleur, Garcin boucher et Veyan maréchal-ferrand et conseiller municipal . Benoît Rebuffel, originaire de Fayence et qui possède une étude de notaire à Montauroux y est un élément actif ; son frère François avocat vient d’être élu conseiller général du canton sous l’étiquette de démocrate avancé. A l’élection présidentielle de décembre 1848 qui porte Louis Napoléon Bonaparte au pouvoir, la 4°section du canton de Fayence où se mêlent les voix de Montauroux, Callian et Tanneron ne place ce candidat qu’en troisième position derrière le général Cavaignac et le républicain Ledru-Rollin à l’image du département du Var qui s’avère à contre-courant de la France, les Varois sont républicains et anti-bonapartistes.

Le président Bonaparte nomme le baron Haussmann à la préfecture du Var pour contre-carrer l’influence des idées avancées. Les autorités prennent des mesures répressives contre les chambrées qui sont des foyers de propagande républicaine : les gendarmes de Fayence procèdent le 17 avril 1850, jour de la fête des Saintes, à la fermeture de la chambrée « La Jeune France » ; ce qui provoque une grande agitation populaire au cours de laquelle les gendarmes sont hués et pris à partie par une foule de plusieurs centaines de personnes, l’adjoint Bourgarel réussit à calmer les esprits non sans difficultés. Les Républicains, victimes de l’acharnement des autorités et certains de l’inévitable affrontement, s’organisent alors en sociétés secrètes ; des réunions ont lieu dans les baumes de Mons ; malgré toutes ces entraves le mouvement républicain est en constante progression aux différentes élections. C’est alors que Louis Napoléon Bonaparte, élu pour 4 ans et non rééligible, trahit la constitution par un coup d’État le 2 décembre 1851 afin de se maintenir au pouvoir et priver le mouvement républicain d’un succès électoral .

 

Insurrection et défense de la République

Le 4 décembre, la nouvelle du coup d’état est connue dans le canton qui s’embrase aussitôt. A Montauroux les Républicains se réunissent place du Clot et se mobilisent pour défendre le droit : ils récupèrent les clefs de la mairie et nomment une commission insurrectionnelle dirigée par Marius Jouan, des émissaires sont envoyés dans les autres communes du canton, on danse la farandole dans les rues en chantant des chansons révolutionnaires. Marius Jouan gagne St-Cézaire pour y organiser l’insurrection. Informés qu’une colonne républicaine de plusieurs milliers d’hommes venus du centre Var et des Maures se dirige vers Draguignan pour prendre la préfecture, les républicains les plus déterminés du canton se retrouvent au café Beuf à Fayence, ils forment une colonne d’une centaine d’hommes armés où figurent de nombreux Montauroussiens. Ils quittent le chef-lieu du canton à l’aube du 7 et se dirigent vers Seillans afin de prendre la mairie puis rejoindre les républicains de Bargemon et participer à la prise de la préfecture à Draguignan. Mais les partisans de l’ordre bien informés ont rassemblé des centaines d’hommes armés aux entrées de Seillans ; à la vue de la colonne républicaine le maire Esprit Guès fait battre la générale, sonner le tocsin et déclencher un tir d’intimidation. Les insurgés surpris par cette vigoureuse démonstration et conscients de leur infériorité refusent l’affrontement et retournent dans leurs villages respectifs. Les membres influents du parti républicain se réfugient à Nice le soir même.

Le maire de Seillans, pensant que la colonne qui se trouve à Aups pourrait se diriger vers l’est, maintient sa garde nationale mobilisée et demande des renforts aux autres communes du canton, seuls les villages de Callian et Tourrettes fournissent un contingent convenable, Montauroux refuse toute collaboration. Le 10 l’insurrection républicaine est anéantie à Aups par l’armée au prix de plusieurs dizaines de morts. Les milices réunies à Seillans traquent et interceptent de nombreux républicains en fuite après la bataille d’Aups puis les livrent aux autorités militaires à Draguignan.

 

La répression

Le 12 décembre, le département du Var est en état de siège.

C’est alors le temps de la répression impitoyable : Allongue le juge de paix de Fayence fournit aux autorités une liste de 17 habitants de Montauroux parmi les 130 habitants du canton qui sont poursuivis pour leur engagement républicain : 11 Montauroussiens sont condamnés pour leur participation à la commission insurrectionnelle ou à la colonne armée arrêtée à Seillans. Plusieurs d’entre eux se réfugient dans des cabanons à Siagne ou s’enfuient à Nice espérant des jours meilleurs.

La commission mixte réunie à Draguignan en février 1852 prononce les peines suivantes :

Jouan Marius chef républicain de Montauroux, condamné à 5 ans de détention en Algérie, en fuite à Nice .

Béraud Jean Baptiste cultivateur condamné à l’éloignement du territoire français, en fuite à Paris !

Blanc Pons Paulin menuisier condamné à la surveillance policière. (voir le témoignage qu’il a laissé dans l’église de Montauroux)

Dol Marius cordonnier expulsé de France, en fuite à Nice.

Funel Joseph vannier, condamné à l’internement (surveillance dans une commune éloignée) en fuite

Giraud Victor marchand, condamné à l’internement .

Mouis Jean maréchal-ferrant, expulsé, en fuite.

Mouis Joseph charretier, expulsé, en fuite .

Truc Louis cultivateur internement, en fuite.

Trabaud Jean-Ange cultivateur, internement, en fuite.

Rebuffel Benoît notaire et électeur à Montauroux, un des chefs républicains du canton, condamné à l’éloignement du territoire français.

Certaines condamnations seront revues à la baisse, des mesures d’amnistie surviendront des mois ou des années plus tard. Après le retour des proscrits dans leur village , le maire bonapartiste François-Auguste Poulle se plaindra au préfet en 1856 de l’influence toujours bien présente des républicains sur la population. A la chute de l’empire en 1870, Jean Mouis et Veyan, républicains de 1851, seront de retour aux affaires communales.

 

Sources : Archives départementales de Draguignan

Archives communales de Montauroux et Fayence

 

Mathieu Cecchinato et Gabriel Chabaud