Souvenirs historiques de Pierre Joigneaux

Ouvrage numérisé par Jean-Pol Weber et Luc Hiernaux. La saisie du texte respecte, le plus scrupuleusement possible, la typographie, l’orthographe et la ponctuation de l’ouvrage.

SOUVENIRS HISTORIQUES

 de PIERRE JOIGNEAUX

 Ancien Représentant du peuple, ancien Député, Sénateur de la Côte-d’Or

 

TOME SECOND

[page 293]

La sœur de Marat

 Le jeudi 20 février 1890, je lisais ce qui suit dans le Progrès de la Côte-d’Or :

 « Dans la dernière séance de la Société d’histoire et d’archéologie de Genève, M. Louis Dufour, archiviste, a donné de curieux détails sur la famille de Marat.

« Le père du fameux conventionnel avait été reçu « habitant » à Genève en 1742, et plus tard soit à Neufchâtel, soit à Boudry. Il revint ensuite à Genève.

« Les actes de l’état-civil orthographient son nom Maxa, Massa ou Mara. Comme il était originaire de Cagliari en Sardaigne, il est probable que les orthographes vicieuses – la dernière est la bonne – proviennent d’un défaut de prononciation.

[page 294] « Il avait six enfants. Un fit apprentissage d’horloger et ouvrit boutique d’horlogerie à Genève.

« Un autre fils a été longtemps maître dans le lycée impérial de Tsarkoë-Selo, en Russie.

« On n’a pas de renseignements sur les autres enfants, sauf sur le conventionnel. »

 

Je me rappelle que vers 1833 ou 1834, une sœur de Marat habitait Paris au dernier étage d’une maison de la place Saint-Michel. Elle était célibataire et âgée d’environ quatre-vingts ans. Elle ne dissimulait pas son nom ; on l’appelait Mlle Marat. Elle vivait de son travail qui avait pour objet la fabrication des ressorts de montre. Elle ne se plaignait pas ; elle montrait une rare énergie. On la disait fière, indépendante, d’une défiance excessive. Elle avait conservé beaucoup d’affection pour son frère, et de peur d’en entendre mal parler, elle évitait le plus possible les curieux et se tenait dans l’isolement.

Mlle Marat n’aimait point la sœur de Robespierre qui, elle aussi, vivait encore et habitait Paris ; elle ne la fréquentait pas. Mlle Marat était un caractère ; Charlotte Robespierre en manquait absolument. Mlle Marat conservait son nom ; Mlle Robespierre cachait le sien sous le pseudonyme de Caroline Delaroche. Ces deux sœurs de conventionnels n’avaient de commun que la pauvreté et l’amour du travail. L’une faisait des ressorts de montre dans sa solitude ; l’autre faisait de la lingerie en compagnie de Mlle Matton, qui est allée mourir en Icarie dans la communauté de Cabet.

[page 295] Charlotte Robespierre s’éteignit la première ; Mlle Marat ne tarda guère à la suivre. Un certain nombre de personnes accompagnèrent Charlotte au champ de repos, sur la recommandation de Laponneraie. Quant à Mlle Marat, sa mort ne fit aucun bruit, je ne me souviens pas d’en avoir entendu parler dans les journaux du temps.

Il est probable qu’à cette époque, le seul homme en situation d’être parfaitement renseigné, était le colonel Maurin, le grand collectionneur des souvenirs de la Révolution. Il n’est pas admissible que, dans ses recherches, il ait oublié de visiter la sœur de Marat ; mais a-t-il laissé des notes ? Je l’ignore.