Hommage à Jean Rambaud

Hommage à Jean Rambaud

 

Après le coup de tonnerre de La République au village (Plon, 1970, réed. Seuil, 1979), où Maurice Agulhon révélait en historien, à qui l’aurait oubliée, l’insurrection républicaine varoise de 1851, c’est un roman, Frédéric Arnaud (Stock, 1974), de Jean Rambaud, qui remuait toute une génération avec l’évocation de l’insurrection bas-alpine.

Les temps étaient alors au revival régionaliste et à l’épopée populiste. Mais c’est ailleurs que frappait Rambaud, dans cette mise en abyme d’une quête généalogique croisant, à sa grande surprise, le souvenir de l’ancêtre oublié, celui qui s’était levé pour défendre la République et le Droit, celui dont la répression brisera la vie, tout en offrant aux rapaces bien proches les bénéfices de la spoliation.

Dans l’après Soixante-Huit, Rambaud frappait au plus juste : en ces temps de militantismes fracassés de désillusions, il nous renvoyait, par le ricochet de ces espérances anciennes, et si contemporaines, aux sens de nos itinéraires individuels trop souvent déconnectés des grandes aventures collectives, et pourtant tellement demandeurs…

C’est pourquoi il faut lire, ou relire, ce roman que notre amie et adhérente Christine Roux a si magnifiquement présenté[1].

Avec la lecture d’Agulhon, avec la pièce de Beltrame et Neyton Martin Bidouré ò Lo cop d’estat de 51, ce sont ces pages de Rambaud qui en ces années 1970 nous ont chevillé au cœur le souvenir de ces humbles qui se levèrent pour la République démocratique et sociale. Notre Association en sera le prolongement.

C’est pourquoi, lors de son colloque de 1998 à Toulon, l’Association 1851-2001 a rendu un hommage solennel et amical à Rambaud. C’est pourquoi aujourd’hui, elle s’associe fraternellement à l’hommage public qui est rendu ce 4 mars 2006 à Rambaud, dans sa ville de Toulon, où il s’est éteint l’an dernier.

René Merle

 

 


[1] Christine Roux,  “Jean Rambaud et le roman Frédéric Arnaud”, Bulletin de l’Association 1851, n°3 – mai 1999

  Hommage à Jean Rambaud

 

Jean Rambaud est né le 15 juillet 1923 à Rives (Isère). La signature qu’il adopte : Jean Rivois, à l’orée d’une carrière journalistique et littéraire, révèle son attachement à cette appartenance dauphinoise. Son père, cadre à la SNCF, connaît des affectations successives qui ne facilitent pas la scolarité de son fils. Quittant Dijon, où il avait entamé des études au lycée Carnot, Jean Rambaud découvre ainsi Toulon à l’été 1938.

Peiresc, le bahut de la Ville, admet un élève chahuteur. Jean a perdu, très tôt, une mère tendrement aimée. Il en garde une blessure qui explique son caractère prompt à la révolte, au coup de gueule. “Je suis un écorché vif”, reconnaît-il lui-même. Exaspérant des maîtres rigoristes, mais retenant l’attention de ceux dont l’horizon est plus vaste. Dès la 5e, après avoir remis une composition française tout en vers, il est devenu le “poète”.

La guerre va bientôt troubler les jeux des lycéens du boulevard de Strasbourg. La guerre et plus encore la défaite, l’occupation. Dans Les miroirs d’Archimède, avec la carabine de son père, un adolescent, qui ressemble furieusement à Jean Rambaud, pense stopper la Wehrmacht dans les Gorges d’Ollioules. Résistant en esprit, il l’est en fait à l’heure où le STO touche la classe 1843 : la sienne. Et le voilà, dans un maquis du Sud-Ouest. Combattant valeureux, il y sera blessé. Une période qui lui offre un long dialogue avec la nature. Jean découvrant la France des villages et des champs. Il en résultera des livres pétris de vie, de couleurs, de lumière : Restanques, Frédéric Arnaud, En Provence avec le Monde… René Char lui écrit : “Cher Jean Rambaud, je suis votre proche”.

C’est un Toulon mutilé qu’il retrouve à son retour. Quartiers sinistrés, la flotte au fond de la rade… Son ancien prof” de lettres lui ouvre les portes de la presse. Rédacteur en chef du Petit Varois, Jean Cazalbou était en quête de bonnes plumes. Et une nouvelle signature apparaît : Jean Rivois. C’est le départ d’une belle carrière qui, après un détour dans l’Isère, au quotidien Les Allobroges, l’ancrera dans la capitale. Il publie des brassées de contes dans la presse enfantine, et rencontre Antoine Blondin qui l’attire à L’Equipe. Voilà Jean Rambaud au secrétariat de rédaction. Mais sa soif d’écriture est trop grande. En 1961, Beuve-Méry l’accueille au Monde dont il deviendra un brillant chroniqueur.

Il enchaîne les succès d’édition : Adieu la Raille (1964) qui sera adapté à l’écran ; Qu’est-ce qui fait marcher John Briant ? (1970), Le cirque à Jules (1972), Frédéric Arnaud, Prix Emile Zola (1974), Restanques (1979), En Provence avec Le Monde (1981), Les miroirs d’Archimède (1983), D’Amours et d’autres (1992)… Et la réédition de Convoi, écrit aux heures noires de l’occupation, où s’impose la force de sa poétique. Justifiant le jugement de Jean Bouhier : “Jean Rambaud, romancier de grand talent ? Oui, on le sait. Mais aussi poète, ça se sait moins et c’est dommage”. Membre Emérite de l’Académie du Var, Jean Rambaud s’est éteint à Toulon. Il avait 82 ans.

 

Charles GALFRÉ

 

 

Bibliographie

 

–  Première poésie “Symphonie nocturne” dans la revue Toutes Autres, Avril 1941, puis “À nouveau…”

– Huit poésies dans la revue Présence de nos vingt ans, 1942.

– Quatre poésies dans le premier Cahier de la Renaissance Française, Quarante poèmes, Confluences, 1942.

– “Toucher au sol”, poésie, revue Confluences 1942.

– “Chemin de terre”, poésie, revue Méridien, 1943.

Convoi, recueil poésie, éd. Confluences, 1945.

– “Vie à Jules”, poésie, La Lucarne, 1951.

L’étoile noire (sous le nom de Jean Rivois), éd. C.I.R.E, col. Jeunesse.

Adieu la Raille, R.Laffont, 1964 – (Téléfilm 1967) – (réed) La table rase, 1979 – (réed) Plein Sud 1996.

Qu’est-ce qui fait marcher John Briant ?, Julliard 1970. (réed) Les Introuvables, 1985. (réed) : Le goût de l’arbouse, Parpaillon, 2000.

Le cirque à Jules, Stock, 1972.

Frédéric Arnaud, (prix Emile Zola), Stock, 1974 – (réed) Les Introuvables, 1983 – Nouvelle édition remaniée : La Provence insurgée, éd. Autres Temps, 1995.

Restanques, (prix Bibliothèques pour tous), éd. d’Aujourd’hui, 1980. (réed) La Bartavelle, 1991.

En Provence avec Le Monde (1), Edisud, 1981.

En Provence avec Le Monde (2), Edisud, 1984.

Les Miroirs d’Archimède, ed. P.Belfond, 1983 – (réed) Le Livre de Poche, 1985 – (réed) Plein Sud, 1996.

D’amours et d’autres, (Grand Prix Salon du Livre Albert Camus), Autres Temps, 1992.

Ça s’est passé à Toulon et en Pays varois (1), en collaboration avec Tony Marmottans, Autres Temps, 1995.

Ça s’est passé à Toulon et en Pays varois (2), en collaboration avec Tony Marmottans, Autres Temps, 1996.

Espèce d’Individus, La Bartavelle, 1996.

Chansons pas chères, Autres Temps, 1998. Dessins de Colette Chauvin.

La dernière volonté du pigeon, ed. Gérard Blanc, 1999.

 

Jean Rambaud, années de guerre…

 

Venu parler, en écrivain, des Miroirs d’Archimède, au collège Peiresc, en 1996, Jean Rambaud avait évoqué ses années lycéennes à Toulon, dans ces mêmes lieux, les bagarres entre lycéens nationalistes et ceux de gauche, porteurs de cocardes tricolores du Lycée contre porteurs de cocardes rouges de Rouvière. Il s’était souvenu des années Vichy où au Lycée Avéran, professeur de lettres, militant d’extrême droite (chef de la JFOM à Toulon, la Jeunesse de France et d’Outre-Mer, l’organisation de jeunesse vichyste la plus fascisante) faisait jouer une pièce de théâtre – Bravo, Palmyre – en l’honneur des forces vichystes qui, en juin 1941, en Syrie, à Palmyre, avaient “ résisté ” devant l’offensive anglo-gaulliste. C’était Le Poulain qui, déjà, se distinguait comme acteur. L’élève le plus méritant de prépa Cyr ou Navale avait l’honneur de lever bien haut le drapeau tricolore du sacrifice. Enseignants et lycéens favorables à la Résistance, qui n’étaient pas les plus nombreux, avaient manifesté leur hostilité lors de la représentation de la pièce.

Lui-même avec un copain, non loin du Lycée, juste après le retour de Laval au pouvoir, avait brisé la vitrine de l’officine de recrutement de la Légion des volontaires français contre le bolchevisme (LVF). L’affaire est attestée par un rapport de police : c’était le 15 avril 1942.

Les Miroirs d’Archimède rendent bien compte de l’atmosphère qui régnait au Lycée, des clivages, des bagarres, de l’entrée en résistance de certains de ces jeunes. Rambaud est “ vrai ”, non dans le détail du récit, mais dans l’engagement de ces “ gamins ” entraînés dans un jeu qui, écrit-il à la page 98 de l’édition de poche, n’était pas pour les enfants. Peut-être, en le transformant totalement, se référait-il à un fait vrai : l’arrestation de trois lycéens qui, pour avoir convoyé des armes, avaient été arrêtés aux Pomets par le commissaire de police du Pont-du-Las (que la Résistance fera exécuter peu après). C’était au début mars 1943. Rambaud était-il alors revenu à Toulon ? C’est possible, bien qu’un peu tôt. Mais peut-être les connaissait-il ? Quelques mois auparavant, en 1942, il avait dû partir aux Chantiers de Jeunesse, dans le Lubéron, à Ménerbes. Il y est encore en novembre 1942 lorsque Toulon est occupé et que la flotte se saborde. Mais, lorsque le STO est instauré, en février 1943, il n’est plus question d’y rester. Il déserte les chantiers comme beaucoup de ses camarades, craignant, non sans raison, d’être raflés par les occupants pour être expédiés en Allemagne. À Toulon où il est alors revenu, il obtient un tuyau pour le maquis. Il y part avec trois copains. La filière les conduit à Toulouse et, de là, à la limite du Lot et de l’Aveyron, près de Cajarc. Dans son récit, il s’était peu étendu sur l’épisode, suffisamment pour que l’on comprenne combien il l’avait marqué, disant seulement que, lorsque le maquis était devenu assez gros, il avait été vendu par son chef et que celui-ci avait été tué deux jours après cette trahison. De quel maquis s’agissait-il ? Sans doute du maquis Douaumont (de l’Armée secrète), né en juin 1943, qui pérégrine plusieurs mois le long de la vallée du Lot, de la grotte du Gueffier au causse de Larnagol, avant d’être attaqué près de Saint-Martin Labouval, dans la nuit du 8 au 9 janvier 1944 et de perdre là 25 des 31 maquisards qui le composaient.

Les amis qui dépouilleront les papiers laissés par Jean Rambaud préciseront cela et la suite que nous ignorons.

Mais ce que nous savons – et c’est, pour l’instant, suffisant – c’est que l’esprit de résistance chez Rambaud ne relevait pas de sa seule imagination.

 

Martine et Jean-Marie GUILLON