Cyprien Chaix

article publié dans le bulletin n° 19 de 1851-2001, décembre 2001/janvier 2002

Un député montagnard des Hautes-Alpes :

Cyprien Chaix (Gap, 11 nov. 1821 – Paris, 20 août 1899)

 

Fils d’un agent-voyer des Ponts et Chaussées, Cyprien Chaix fit des études de droit et s’inscrivit comme avocat au barreau de Gap. Au terme d’une campagne intense, il fut élu à 28 ans, le 13 mai 1849, député montagnard des Hautes – Alpes.

Ses tournées dans le département étaient suivies par la gendarmerie qui en adressait des rapports circonstanciés. Selon le procureur de la République de Grenoble, le 8 octobre 1851 « Chaix s’est séparé de ses anciens amis personnels et il s’est rapproché des ouvriers et artisans connus par le radicalisme de leurs opinions politiques ou même leur affiliation avérée aux doctrines socialistes. » (Source : arch. nat. BB 30 360 -dossier 5).

Chaix était à Paris pendant le Coup d’Etat de 1851 ;  il fut condamné à deux mois de prison.

En 1856, le procureur de la République de Grenoble en fait le portrait suivant :

« Cyprien Chaix, avocat : ex-représentant à la Constituante, chef du Parti Rouge, soupçonné d’être en correspondance avec les chefs du Parti socialiste ; homme ambitieux, affectant de n’avoir de relations qu’avec les individus de la classe inférieure. Exerçait autrefois une grande influence sur les ouvriers et les habitants de la campagne. Famille honnête ».(source : arch. nat. BB 30 415)

En 1870, ce fut le premier préfet de la Troisième République, puis il fut réélu député en 1871 (élection invalidée), enfin en 1876. En 1887, il comptait parmi les « 363 » qui furent « l’âme de la résistance républicaine.» Il soutint ensuite la politique de Jules Ferry. En 1888, il fut élu au Sénat.

Il fut également conseiller général de Serres de 1878 à son décès (1899).

Sa carrière politique prouve que Cyprien Chaix a toujours conservé de farouches convictions républicaines.

 

Les rapports de gendarmerie relatifs à ses tournées dans le département en disent long sur la suspicion qui règne sur les montagnards, même députés. Ils offrent aussi un tableau précis de l’activité militante particulièrement de son ambiance festive : danse, chansons, banquets. On y suivra le jeune député de 30 ans accompagné sur sa route par les violonnaïres, qui quittent la vogue pour lui montrer leur attachement.

 

Christine Roux

 

« J’ai l’honneur de vous rendre compte que Mr le représentant Chaix de ce département, venant de Paris, est arrivé aujourd’hui 15 avec le courrier de Grenoble vers 10 heures du matin et a mis pied à terre aux Barraques chez la veuve Gauthier, tenant restaurant et café, où l’attendaient plusieurs messieurs socialistes des communes de Saint-Bonnet, de La Fare, de Poligny et de St Euzèbe.

Une demi-heure après, le sieur Chaix monta à St Bonnet avec les personnes de cette localité où ils furent dîner chez le nommé Sr Géraud Victor, restaurateur, avec quatre autres individus de Gap venus pour chercher le sieur Chaix avec deux voitures, lesquelles avaient à leur chapeau et à leur habit des œillets et des pavots rouges, ce sont les nommés Bournesse, tailleur d’habits, Pêche, marbrier, Denarié, perruquier et un ouvrier qui travaille chez le sieur Bourgeois, sellier à Gap.

A St Bonnet, aucune démonstration n’a eu lieu, sinon que les socialistes ont orné leurs vêtements de mêmes fleurs que ceux arrivés de Gap ;

Au dîner, il pouvait y avoir environ douze personnes, ensuite vers quatre heures le sieur Chaix et les individus arrivés de gap, montés en voiture, arrivèrent au Pont de St Bonnet près des Barraques, où se trouvaient les jeunes gens de la Fare qui dansaient à l’occasion de la fête patronale. Le sieur Chaix s’arrêta un instant pour remercier les personnes qui l’avaient accompagné à pied, après quoi les joueurs de violon et une trentaine de jeunes gens furent lui faire la conduite à un kilomètre delà en criant Vive la république, et ensuite ont entonné le chant de la Marseillaise jusqu’au moment qu’ils l’ont quitté pour revenir à leur bal. »

Signé Chéron

Gendarmerie nationale, 18e légion … brigade des Barraques

 

Source : arch. dép. H.-A. 4 M 136

 

Veynes, le 16 septembre 1851

 « Mon lieutenant,

J’ai l’honneur de vous faire connaître que conformément à vos ordres et d’après la lettre de notre capitaine en date du 4 du présent, concernant la tournée de M. Chaix, représentant, que ce Monsieur est arrivé le 15 à 11 heures du matin dans la commune de Veynes, accompagné de 90 à 99 personnes habitants de cette commune, appartenant toutes à la classe ouvrière, aucun bourgeois de cette localité ne s’est réuni à cette foule, qui est rentrée à Veynes en chantant la Marseillaise. En arrivant sur la place du Marchévil, les chants ont cessé, aucun discours n’a été prononcé, seulement un cri de Vive la république, et chacun s’est retiré.

Monsieur Chaix a ensuite passé depuis son arrivée jusqu’à 4 heures de l’après-midi à promener avec une ou deux personnes de celles qui l’avaient accompagné

En entrant dans Veynes, et vers les quatre heures environ, 90 personnes se sont réunies dans le pré du sieur Etienne Lambert, boulanger demeurant à Veynes, qui était du nombre, et là il y a eu un espèce de banquet, cependant aucune table n’y a été dressée ni aucune chaise n’y a été portée, mais je me suis aperçu que plusieurs aubergistes à Veynes y avaient porté de quoi boire et de quoi manger, aussitôt que j’ai eu connaissance de cette affaire, je me suis empressé d’en prévenir l’autorité du pays et je me suis rendu avec le gendarme Marthinot pour m’assurer de ce qui s’y passait, aussitôt mon arrivée, Monsieur Chaix qui était à faire un discours l’a terminé sans que j’ai eu le temps de les approcher pour pouvoir les entendre, seulement qu’il s’est mis à crier Vive la république, ainsi que la foule qui l’entourait, aussitôt la foule s’est retirée et Monsieur Chaix a pris la route de Gap en leur recommandant d’être calme, ce qu’ils ont fait. Il était 5 heures du soir lorsqu’il est parti pour Gap. »

[Bertholon]

 

Source : arch. dép. H.-A. 4 M 136

 

 

Veynes, 24 septembre 1851

 « Mon capitaine,

Conformément à la lettre du 22 présent … j’ai l’honneur de vous faire connaître qu’il n’y avait dans cette réunion de garde que le sieur Métailler  Jean, garde champêtre en la commune de Veynes, je dois d’abord vous dire que cet individu fait depuis quelque temps l’objet de ma surveillance, vu que j’ai reconnu non pas qu’i ne remplisse pas son devoir, mais qu’il fréquente plus particulièrement les gens du désordre que ceux qui avaient des opinions modérées mais je n’étais pas assez certain de la sienne pour pouvoir vous le signaler.

Voilà la conduite dont je m’aperçu qu’il tenait (sic) le jour du banquet. Le matin je le vis courir d’un café à un autre avec un peu plus de vitesse qu’il ne marche d’habitude, c’est ce qui me fit présumer qu’il y avait quelque chose d’extraordinaire et je m’empressa de descendre sur la place pour m’assurer de ce qui se passait, mais personne ne put m’en rendre compte, et une demi-heure environ après je vis arriver Monsieur Chaix qui était entourée d’une foule de prétendus républicains, là le garde Métailler n’était pas parmi la foule et il était bien présent mais il se tenait de côté, j’ai seulement appris hier après la réception de votre lettre que c’était lui qui avait conduit au banquet douze à quinze enfants et les avait fait chanter devant le représentant.

Aussitôt arrivé au pré j’eus les yeux portés sur lui et je l’aperçu qui se retirait de la foule pour donner la chasse à des enfants qui étaient rentrés dans un champ ensemencé de pommes de terre mais je suis persuadé que ce n’est que ma résidence qui lui fit faire ces démarches, il avait un grand bâton qu’il porte habituellement dans son service, mais je ne crois pas qu’il se soit mis en tête de cette foule quoiqu’il en serait bien dans le cas, vu qu’il y avait continuellement un certain Vincent Lagier, journalier demeurant à Veynes, qui est aussi le tambour major de la garde nationale de Veynes.

Quant à la somme de vingt francs que lui aurait remis le Représentant, je ne puis malgré la peine que j’y prends vous donner aucun renseignement là dessus. Plutôt je pense pouvoir vous en donner connaissance seulement pour le signaler comme ayant des opinions de socialistes de désordre. »

[Bertholon]

Source : arch. dép. H.-A. 4 M 136

 

Note du rapport des événements 11-16 décembre 1851 :

Le brigadier de Veynes fait connaître que le garde champêtre de cette localité Métailler (Jean), était détenteur d’armes qu’il devait livrer aux révoltés. 

« Objet divers : Tout est rentré dans l’ordre. Les suspects tremblent ou se cachent. »

Source : arch. dép. H.-A. 4 M 136

 

Le garde-champêtre Métailler fut révoqué après le Coup d’État.