Interrogatoire d’Adolphe Vignetti

Interrogatoire d’Adolphe Vignetti

 

Les élèves de la quatrième 6 du collège du Luc, en travaux croisés ont travaillé sur les évènements qui se sont déroulés dans les communes du Luc, Le Cannet des Maures, Les Mayons, Flassans, Pignans et Gonfaron dont ils sont originaires. Ils ont retranscrit l’un des interrogatoires d’Adolphe Vignetti. Le voici :

 

INSURRECTION VAROISE DE 1851

Tribunal de première de Draguignan

Département du Var

Interrogatoire de VIGNETI ADOLPHE

L’an mil huit cent cinquante deux et le dix du mois de janvier

Nous, PASCAL

Juge d’instruction près le tribunal de première instance de l’arrondissement, de Draguignan, en notre cabinet au palais de justice, assisté de PORTAL, notre greffier

Avons procédé qu’il suit à l’interrogatoire du dénommé ci-après.

D.- Quels sont vos nom, prénoms, âge, profession, lieu de naissance et demeure ?

R.- Je m’appelle Adolphe VIGNETI, âgé de 18 ans, étudiant, né à Toulon, demeurant au Luc, célibataire

Le 4 décembre dernier, j’étais encore couché lorsque j’entendis dans les rues, le bruit du tambour accompagné du chant de la Marseillaise. J’avais cru d’abord que le bruit provenait de soldats qui allaient rejoindre leur régiment, mais bientôt après je compris que je me trompais, étant sorti.

J’appris qu’une dépêche télégraphique annonçait des modifications dans le gouvernement et j’en pris lecture. Tout le reste de la journée, je me promenais dans ces rues.

Le soir, je fus entraîné par le nommé TRUC CORDIER dans une réunion qui s’était intitulée Comité de Résistance. Ce bureau était formé de JASSAUD, président et du nommé VIORT, bouchonnier ; CAUVI tailleur et MAQUAQUE, chapelier. Pendant le jour qui venait de s’écouler, j’avais vu passer le maréchal du logis GUILLON conduit à la Mairie par 8 individus armés. Peu d’instants après il fut laissé libre et rentra chez lui. Dans le Comité de Résistance, on blâma cette conduite de la Commission Municipale et on en fit la motion d’arrêter de nouveau le maréchal du logis et toutes la gendarmerie. Appelé à donner mon avis, j’opinais pour qu’aucune violence ne fût faite. Je fus me coucher et le lendemain, dans la matinée, je retournai au Comité dont les séances avaient lieu dans l’établissement de Gaëtan GOMBERT. J’appris qu’on avait délibéré l’arrestation des gendarmes et celle de plusieurs bourgeois. L’exécution commença presque immédiatement sous la direction de VIORT, bouchonnier. Le nombreux rassemblement qui se trouvait dans le Comité, se divisa en section de 15 ou 20 personnes qui se portèrent chez les prisonniers désignés. Le premier qui se mit en marche fut celui qui était chargé d’arrêter M. GILLY, ancien maire. Je fus entraîné par ce groupe et on me força de m’y joindre en me disant qu’ayant reçu de l’éducation, j’étais plus apte qu’un autre à porter la parole à M. GILLY, en m’exprimant avec politesse. J’y consentis pour éviter des brutalités à M. GILLY qui, dans maintes circonstances, eut des bontés pour moi. Nous nous présentâmes chez M. GILLY et, m’étant découvert, je lui dis que le peuple demandait à lui parler. Il voulut entrer en explication mais j’en appris que lui rejetait l’invitation de marcher et il finit par y adhérer. Pendant qu’on le conduisait à la Mairie, je le croyais aussi et je fus détrompé quand l’attroupement à la suite duquel je marchais, eut dépasser la Mairie et le local du Comité. M. GILLY fut conduit en prison et confié à la garde du concierge GASPARUS. Je le recommandais à la sollicitude de ce dernier, tandis que d’autres crièrent de le mettre au cachot. Je rentrais chez moi pour quelques instants et je rencontrais les gendarmes qui étaient conduits en prison. Lorsque je sortis de nouveau, je vis Madame GEOFFROY qui donnait les signes du plus violent désespoir. M’étant approché d’elle, elle me dit que son mari venait d’être fait prisonnier. Elle me pressa d’agir dans ses intérêts et je lui promis de faire tout ce qui dépendait de moi. Dans le courant de l’après-midi, je la conduisis à la prison où je lui ménageais une entrevue avec son mari. Le concierge était alors le nommé PONS, boulanger. Sur le soir, je retournai chez elle afin de lui annoncer le départ des insurgés et des prisonniers pour le lendemain. Elle me demanda si je suivrais la colonne et je lui répondis que j’y étais sans lui faire connaître que j’avais formé de sauver son mari. Le 6 décembre, dans la matinée, j’ai paru un instant à la Mairie, mais je ne me suis occupé de rien. A une heure après-midi, la colonne se mit en marche. J’étais resté en arrière et le nommé MALNORI me força de marcher en me portant un coup de poing. De plus, Nicolas et MAQUAQUE placèrent partout des postes pour empêcher de rentrer tous ceux qui auraient eu l’intention de ne pas partir. Pendant le trajet du Luc à Vidauban, j’ai eu une conversation avec le sieur HENRI, beau-frère de M. GEOFFROY et je lui ai fait connaître mes intentions concernant ce dernier. Nos pour parlers nous valurent des menaces de la part de ceux qui nous entouraient. A Vidauban, nous fûmes atteints par Camille DUTHEIL qui se déclara général de la colonne insurgée. Il était arrivé avec 18 hommes de Brignoles et il en avait envoyé sur la route du Val et de Carcès avec ordre de faire marche sur Draguignan. Avec lui, était Paul DOGNY qu’on a qualifié d’aide de camp et qui, en réalité, n’était qu’un planton, son défaut d’instruction ne lui permettant pas de remplir un autre emploi.

A 4 heures du matin, la colonne se remit en marche avec l’intention de se porter sur Draguignan. Je la suivis avec le fusil de munitions à pierre qui m’avait été donné au Luc par MAQUAQUE. Arrivée aux Arcs, la colonne s’arrêta on s’empara de le Mairie et on fut chercher des armes dans les maisons. On fit aussi quelques prisonniers, mais je ne puis dire lesquels. Seulement, il eut à ma connaissance que, dans chaque localité, les gens du pays désignaient les personnes qui devaient être arrêtés. Je sais aussi qu’aux Arcs, on a requis 3 chevaux, dont un pour Camille DUTHEIL et l’autre pour Paul DOGNY et le troisième pour je ne sais qui. Nous étions environ 1.500 et Camille DUTHEIL, ne se sentant pas assez fort, renonça à marcher sur Draguignan et pris la direction de Lorgues. En passant à Taradeau, on s’empara du maire et on fouilla dans quelques maisons pour y prendre des armes. Arrivés à Lorgues, Camille DUTHEIL envoya aux autorités qui se présentaient Paul DOGNY avec mission de demander le passage dans la ville. Bientôt après, il s’avança lui-même et il entra pour parler avec le maire. Il venait de s’engager, prit la parole d’honneur à ne pas entrer dans Lorgues, moyennant qu’on lui apportât des vivres, lorsqu’une autre partie de la colonne qui était restée en arrière pénétra directement dans la ville. Celle dont je faisais partie y entra alors de son côté. Je m’étais écarté un moment pour prendre un repos lorsque les insurgés s’emparèrent de l’hôtel de ville. Au moment où je vins rejoindre la colonne, elle était déjà partie et elle s’était mise en marche sur Salernes. Arrivé dans cette commune, je fus me coucher. Le lendemain, vers 7 heures du matin, le nommé Firmin AMALRIC me dit qu’on me demandait au bureau de le guerre. Je me rendis à la Mairie et j’appris qu’on venait de constituer un bureau de la guerre. Ceux qui étaient présents en ce moment étaient Camille DUTHEIL ; MARTEL, médecin ; COMPDORAS, médecin de la marine ; FRIOLET, ancien garde forestier et LAVERNY. Camille DUTHEIL me déclara que j’étais nommé secrétaire adjoint du conseil de Guerre. LA VERNY était le secrétaire général, Camille DUTHEIL me fit une harangue animée pour me recommander le silence sur ce qui se passerait dans le Conseil. En même temps, il me donna une plume et du papier et me fit écrire les noms des membres du Conseil. Voici ceux dont il me souvient : Camille DUTHEIL, Président ; LA VERNY, secrétaire général ; VIGNETY, secrétaire adjoint ; ARAMBIDE vice président ; MARTEL, CAMPDORAS, MAILLAN, NICOLAS, David PAULIN, FRIOLET Victor, AMALRIC Firmin et quelques autres membres du Conseil. Mes fonctions ensuite se sont bornées à faire des laissez-passer. Ce n’est pas moi qui ai fait les contrôles des compagnies. C’est un nommé CLERIAN, liquoriste au Luc. La journée du 8 décembre fut consacrée à l’organisation et à l’armement. Le soir, il y eut une fausse alerte et on cria aux armes. Une division fut envoyée sur la montagne mais, à minuit, elle reçu ordre de rentrer . Dans la matinée du 9 décembre, Camille DUTHEIL ordonna à ARAMBIDE de prendre 1.500 hommes, de passer à Villecroze et de se rendre à Tourtour où il se fortifierait et lui recommanda de s’emparer en passant des caisses publiques. Dans l’après-midi, la colonne partit pour Aups où nous arrivâmes à 7 heures du soir. Je fus me coucher à 9 heures. Le lendemain, quand je me levai, je me remis à Paul DOGNY avec lequel je pris du café. Je parus en face, au bureau de le Guerre où LA VERNY et plusieurs autres écrivaient. J’appris en ce moment que Camille DUTHEIL avait rendu un décret qui frappait quelques habitants du pays d’une contribution de 40 ou 55.000 francs. J’ai même vu un bourgeois qui, ayant demandé quel était son contingent, déclara au Conseil qu’il allait l’apporter. Camille DUTHEIL avait l’intention de se fortifier et d’établir un camp retranché sur quelques points voisins des Basses Alpes. Quelques instants après, Camille DUTHEIL rassembla tout son monde sur la place et nous passa en revue. Il venait de terminer cette opération lorsque un cri se fit entendre qui disait :  » Voici la troupe « . En effet, je vis briller les baïonnettes dans les oliviers. Camille DUTHEIL s’avança vers le chemin de Draguignan en disant qu’il voulait parlementer avec le chef militaire. Pendant qu’il s’avançait dans cette direction, un détachement de soldats s’élança et Alix GEOFFROY s’écria :  » Il faut leur couper la retraite « . Mais les militaires, s’élançant au pas de course, firent une décharge. Quoiqu’elle ne fût pas meurtrière et que personne ne fût atteint, elle suffit pour jeter l’épouvante parmi les femmes insurgées qui poussèrent des cris effroyables. La déroute commença à l’instant même et les insurgés prirent la fuite dans toutes les directions. Je me suis sauvé et le lendemain, j’ai été arrêté dans mon domicile.

Lecture faite, il a persisté et a signé avec nous, le greffier.

 

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