3 septembre 1870 : la douane belge veille !

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3 septembre 1870 : la douane belge veille !

 

Charles Mazuir ( Saint-Hubert, Belgique, 1831 -) souhaiterait devenir fonctionnaire. Comme son père et son grand-père, il lorgne vers le ministère des Finances. Il passe laborieusement ses premiers examens de recrutement qu’il imaginait, nous dit-il, de pure forme… Il lui faut donc mieux faire. À force de persévérance, il y parvient. Quelques emplois de surnuméraire dans l’administration puis, le 15 février 1868, une nomination comme receveur des douanes de 7e classe au bureau de Beaubru, entre Bouillon (B.) et La Chapelle (Fr.). La forêt ardennaise à perte de vue ! Un contrebandier derrière chaque fourré ! Pour qui aime le calme et la nature… C’était sans compter sur les pieds-de-nez de l’Histoire.

1870. Depuis les derniers jours d’août, ce douanier zélé est fébrile. C’est que non loin, autour de Sedan, Prussiens et Français s’affrontent. Quelle n’est pas sa surprise quand le 3 septembre…

Je livre ici son témoignage inédit.

 

                        Jean-Pol Weber (décembre 2010)

 

A. Minute : Archives de l’État à Saint-Hubert, Archives de la famille Mazuir, n° 77. Rapport manuscrit de Charles Mazuir, receveur des Douanes à Beaubru (Bouillon), relatant l’arrivée de l’empereur Napoléon iii sur le territoire belge. [3 septembre 1870]. Double folio, papier, 350 × 215 mm.  Transcription d’après la minute.

B. Copie : Archives de l’État à Saint-Hubert, Archives de la famille Mazuir, n° 77. « Entrée de l’Empereur des Français en Belgique le 3 septembre 1870 après la reddition de la ville de Sedan », procès-verbal manuscrit de Charles Mazuir, receveur des Douanes à Beaubru (Bouillon). Cahier de 7 folios, papier, 350 × 215 mm. Le titre a ensuite été remanié par des ajouts au crayon pour devenir : « Entrée en Belgique de Napoléon iii, Empereur des Français, par le bureau de Beaulieu (Bouillon) le (…) » (f° 1 r° – 3 r°).

C. Deux autres copies fragmentaires. Ibidem.

 

Le trois septembre 1870, étant comme d’habitude en reconnaissance de ce qui se passait à proximité de mon bureau, j’étais arrivé à trois kilomètres de chez moi quand je vis sur la route de La Chapelle (France) se dirigeant vers la Belgique un régiment de cavalerie prussienne. Je m’approchai d’un officier et lui demandai s’ils allaient en Belgique. Sur sa réponse affirmative qu’ils allaient conduire l’empereur, qui était prisonnier, à Cassel en passant par la Belgique, je m’empressai de retourner à mon poste de peur [Sur la copie B, mot biffé au crayon et remplacé par le mot crainte] qu’il n’y arrive quelque chose en mon absence.

De retour à la frontière, près du poteau, à trois cents mètres de chez moi, où les hommes de service à mon bureau étaient venus me retrouver, je les informai de ce qui se passait et je leur donnai l’ordre (malgré la loi) de ne pas visiter les voitures qui feraient partie de la suite de l’empereur.

Un instant après vient le piquet de husards de la mort que j’avais devancé et auquel je dis : Halte, Belgique ! en leur montrant le poteau où était écrit le mot Belgique en allemand. Le commandant fit faire la haie à ses hommes. Alors j’apperçus un convoi de voitures à perdre [sic] de vue. M’étant présenté à la 1e voiture dans laquelle se trouvait l’empereur et un général français en uniforme, on baissa la glace et je leur dis : Je prends la liberté de venir vous prévenir que vous êtes sur le territoire belge. Si vous avez besoin de mes services, je suis à votre disposition. Le général me demanda à quelle distance ils étaient de Bouillon et s’il y aurait moyen d’y loger ? [malgré le discours indirect] Je répondis qu’ils étaient à 5 kilomètres de Bouillon mais qu’il serait très difficile d’y loger, huit mille Français des environs s’y étant réfugiés ; s’ils le désiraient, j’irais chez le maire et qu’il était probable qu’il mettrait sa maison à leur disposition ; après s’être // consulté des yeux, le général me dit : qu’ils préfèreraient être à l’hôtel. Dans ce cas, [leur dis-je,] si j’avais un cheval, je pourrais vous conduire à l’hôtel de la Poste. L’officier, aide de camp prussien qui se trouvait derrière moi, donna l’ordre de m’amener un cheval. Je m’empressai de mettre le pied à l’étrier et de partir quand l’officier prussien me dit d’aller au trot, que nous irions ensemble. Le capitaine de la Maison de l’empereur se plaça au milieu, l’officier prussien à gauche et moi à droite. Nous cheminions depuis dix minutes quand M. le colonel Charmez1, accompagné d’un de ses officiers, nous rattrapa rejoignit et nous dit en passant : Je vais faire préparer les logements. À notre arrivée à Bouillon, nous mîmes pied à terre et voyant qu’on [n’] était pas trop disposé à faire sortir les voyageurs pour faire place à l’empereur, je pris l’initiative et, me faisant aider des domestiques de l’hôtel, je pris tous les bagages des voyageurs qui se trouvaient dans la plus belle chambre et je les mis sur l’escalier.

Je croyais ma mission terminée quand je vis arriver le cortège de l’empereur dépassant le porte d’entrée de l’hôtel ; je cours vers le conducteur en lui criant d’arrêter, qu’il devait reculer, ayant dépassé la porte. L’empereur me fit signe de la main que c’était bon et il descendit de voiture près du pont. Je remplis les fonctions de maître de cérémonies et après lui avoir ouvert la porte du salon, je me retirai dans une salle voisine où les officiers de tout grade vinrent me prier de remettre leurs dépêches au bureau des postes et, plus tard, on me remit les dépêches // de l’empereur.

L’officier prussien étant venu me demander si je revenais avec lui, je m’éclipsai pour rejoindre mon poste lui expliquant chemin faisant que c’était les Français qui étaient réfugiés à Bouillon, qui avaient crié : Vive l’empereur !

Après nous être avoir serré la main, ce jeune officier me promit un souvenir aussitôt son retour à Berlin ; en revanche, // je lui remis ma carte ainsi qu’une photographie de la ville de Bouillon.

Depuis je n’ai plus eu de ses nouvelles et j’ai même perdu son nom qu’il m’avait écrit m’écrivit sur un morceau de papier.

[s.] Mazuir (receveur des Douanes à Beaubru)

 

[Post-scriptum :]

J’appris plus tard que M. le colonel Charmez se trouvant en promenade était venu demander aux douaniers [Ajout au crayon : qui se trouvaient de service à mon bureau] ce que c’était ce cortège qui se dirigieait vers Bouillon. Sur la réponse du sieur brigadier Dumont, il partir au galop et rattrapa l’empereur avant d’arriver au moulin Leroux de Beaubru et, de là, repartit pour Bouillon en disant qu’il allait faire préparer les logements.

 

[Sur une copie, f° 1 r°, en colonne de gauche, ajout biffé ensuite au crayon :]

Le 1er septembre 1870, j’ai reçu à la frontière le prince Hohenzollern chargé d’aller annoncer à Sa Majesté Léopold ii la victoire des armées allemandes. C’est chez moi qu’il a déjeûné et s’est habillé en bourgeois.

À son retour de Bruxelles, il vint me serrer la main et reprit ce qu’il m’avait confié.

[s.] M[azuir]