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En poursuivant mes recherches sur le petit-fils de l’insurgé républicain Jean-Pierre Gastinel, j’ai eu la chance de trouver des lettres concernant la période 1851 et sqq., et je suis heureuse de vous les faire connaître. Jean-Pierre Gastinel était le beau-père de César Dupont, lui aussi insurgé de Barcelonnette, dont Adrien Gastinel a épousé la fille.

 

A paraître courant 2006 la biographie d’Adrien Gastinel.

 

Gisèle Roche-Galopini

 

Le maire de St Etienne les Orgues cherche une reconnaissance 

I

 

Brouillon de la lettre de Prosper-Hyacinthe Tardieu, destinée à Louis-Napoléon Bonaparte.

 

Prince,

 

J’ai l’honneur de vous exposer que le 8 de ce mois une bande d’insurgés s’est précipitée sur le bourg de Saint-Étienne pour le piller et pour maltraiter l’autorité qui, depuis 1849, n’a cessé de maintenir l’ordre, assurer la tranquillité et faire aimer votre gouvernement.

 

Comme maire, j’ai été la première victime, ma tête a été mise à prix, ma sentence de mort a été lue sur la place publique, ma maison a été pillée.

 

A la nouvelle des événements, j’ai reçu de l’honorable magistrat placé à la tête de l’arrondissement une mission de confiance, j’ai été investi par lui de tous les pouvoirs pour maintenir la tranquillité de ma commune et celle du canton que je représente au conseil général. Je n’ai rien négligé pour répondre à l’appel fait à mon dévouement.

 

Aussitôt que je me suis aperçu que les anarchistes commençaient à devenir menaçants et se disposaient à se lever en masse contre l’acte éclatant que votre patriotisme vous a dicté pour sauver la France, je me suis empressé de prendre des mesures pour résister à cette bande armée. Par mes soins, la Garde nationale a été organisée de suite, je l’ai requise de me prêter main forte et j’ai fait avec elle des perquisitions chez les démagogues suspects.

 

Le lendemain, les événements devenant plus graves dans les villes environnantes, le commandant de la garde nationale fut effrayé, il licencia sa troupe. Je suis alors resté sans appui, je continuai néanmoins à résister. Au moment où le comité révolutionnaire à Forcalquier transmit son estafette ses proclamations incendiaires qu’il fit afficher et garder par un insurgé, je me suis rendu seul sur la place publique, j’ai enlevé l’affiche et désarmé le factionnaire.

 

Lorsque le comité révolutionnaire de Forcalquier eut connaissance de ma conduite vis à vis de ses actes, il envoya une bande de quatre cents hommes, chargés de mettre à exécution l’arrêt suivant que le chef en arrivant a lu sur la place publique :

 

« Art.1. Le citoyen Tardieu, maire de Saint-Étienne, pour avoir enlevé une affiche, désarmé un factionnaire sera pris, jugé par un conseil de guerre et fusillé.

 

Art. 2. Pour ce seul fait la ville de Saint-Étienne est mise en état de siège. »

 

Après cette lecture, cette bande furieuse s’est précipitée sur ma maison pour la piller et pour me saisir.

 

Prévenu par un ami, abandonné par la garde nationale qui était effrayée par le nombre, j’ai reconnu que toute résistance devenait impossible et j’ai dû prendre la fuite. Les insurgés ont visité minutieusement et en poussant des cris horribles toutes les maisons de mes amis, mes fermes et celles de mes parents. Je les avais précédés de quelques minutes et je n’ai dû mon salut qu’à une fuite devenue indispensable.

 

Pendant qu’une partie de ces bandits était à ma poursuite, les autres pillaient, faisaient le sac de ma maison. Ici, mon Prince, les forces me manquent pour faire la description de l’état dans lequel je l’ai trouvée à mon retour. Je laisse aux officiers et aux magistrats qui l’ont visitée le soin de vous dépeindre ce triste spectacle. Mon étude de notaire n’a pas même été respectée, mes minutes ont été en partie déchirées ou égarées.

 

Confiant dans votre justice, persuadé qu’un serviteur dévoué à votre gouvernement ne sera pas victime de ces hommes ennemis de l’ordre et de toute autorité, j’ose prendre la liberté, mon Prince, de vous adresser le procès-verbal des pertes que je viens d’éprouver avec prière d’y faire donner la suite que vous jugerez convenable.

 

Daignez agréer l’hommage des sentiments de profond respect avec lesquels je suis, mon Prince, votre très humble et très obéissant serviteur.

 

Tardieu,

 

maire de Saint-Étienne et membre du conseil général.

 

 

Suivent divers écrits :

 

 

 

Mon cher Tardieu, Hier seulement le commandant nous a rendu les procès-verbaux, nous nous décidons à vous les envoyer par la poste attendu que la voiture de Martin ne descend que vendredi. Vous ferez du présent écrit ce que vous voudrez, les faits y sont exposés, embellissez-le et faites le partir. Rien de nouveau depuis la lettre d’Émilie[1]. Tout le monde se porte bien, nous nous réunissons tous pour vous embrasser tous du meilleur cœur.

 

Signé Illisible.

 

 

Suit en marge une lettre d’Émilie :

 

 

Mon cher papa,

 

Mon oncle Henri vient d’arriver. II nous fait parvenir la corbeille que vous lui avez remise. Tout ce qu’elle contient est de très bon goût et aussi frais que s’il arrivait de chez la feseuse de modes (sic). Nous ne pouvons que remercier ma bonne tata de toutes ses attentions. Dans une autre circonstance cela nous aurait réjouis mais les fêtes que nous allons passer vont être bien tristes puisque vous ne serez pas avec nous. Néanmoins pourvu que vous soyez contents, nous serons heureux. Nous avons appris que les Miane de Lincel avaient été arrêtés, il est positif que le plus petit était au pillage de la maison puisque maman l’a vu avec le Curnier d’Albert, des boîtes en fer blanc mais elle ne remarqua pas son arme. Aujourd’hui le maire de Lardiers est venu nous dire qu’il était certain qu’il avait toutes nos armes et que nous pouvions les lui réclamer. La femme Lèbre de Forcalquier vient implorer pour son mari que le substitut a fait arrêter hier soir comme étant venu à Saint-Étienne et avoir participé au pillage. Il proteste de son innocence mais comme c’est un ouvrier des Attenances permanentes, le juge a appuyé beaucoup sur sa culpabilité. Nous avons dit à cette femme que nous ne pouvions rien faire pour elle mais que si son mari n’était pas coupable, son innocence serait reconnue. Nous t’écrirons demain plus longuement. Adieu, nous vous embrassons tous. Ce soir, nous n’aurons pas de messe de minuit parce que la circulation est interdite après dix heures du soir.

 

Marion Gaubert est folle, on vient de l’attacher.

 

II

Lettre adressée à Monsieur Tardieu, notaire Saint-Etienne-les-Orgues (Basses-Alpes) 

 

Cachet : Avignon, 27 décembre 1851

 

Mon cher maire,

 

 

Tout faible et fatigué que je suis en ce moment, je ne veux pas me remettre au lit sans vous embrasser et vous féliciter de votre intrépide conduite. M. Paulmier vient de m’en décrire les détails & votre héroïque attitude m’a ému jusqu’au fond du cœur en me consolant des défaillances dont j’ai été témoin de tous côtés. Je ne m’étais pas trompé en vous jugeant ce que vous êtes, un homme d’honneur et de dévouement, & et je suis fier de ne vous avoir jamais méconnu !

 

Ma santé se remet d’une façon miraculeuse, comme ma délivrance elle-même. Le médecin me permet de partir dimanche soir pour Dunkerque où je me rendrais à petites journées. Si j’ai un regret, c’est de quitter le Midi sans vous avoir serré la main.

 

Permettez-moi, mon cher ami, d’embrasser Mesdames Tardieu et vos chers parents, dont les alarmes ont dû être bien grandes, mais dont le bonheur aujourd’hui doit être égal à leur douleur passée et regardez-moi toujours comme un véritable et sincère ami.

 

Alph. Paillard

 

Avignon, 26 décembre

 

Je crois que vous avez été content du Juge de Paix & du Capitaine Allemand. Faites mes compliments à tous ceux des braves gens de S. Etienne qui vous ont imité.

 

 

III

Lettre adressée à Monsieur Paillard, sous-Préfet à Dunkerque, Nord

 

Particulière

 

Mon cher Monsieur,

 

La lettre toute affectueuse que vous avez bien voulu m’écrire malgré l’état souffrant dans lequel vous étiez encore, est venue, en me rassurant sur votre santé, si chère à tous ceux qui ont pu vous connaître, me consoler des déceptions que je venais d’éprouver, et me relever de l’accablement où elles m’avaient jeté. J’avais, je l’avoue, besoin de ce témoignage d’amitié et d’estime pour ne pas me faire désespérer de la justice des hommes. Puisqu’on a bien voulu vous faire connaître ma conduite, vous savez de qu’elle manière j’ai accompli les devoirs que mes fonctions m’imposaient. Vous savez que, fier de la mission de confiance dont vous m’aviez honoré par votre dépêche du 4 Xbre, je résolus de faire mon devoir quoiqu’il put en advenir. La garde nationale convoquée par mes soins, les visites domiciliaires chez les démagogues du paÿs, plus tard le désarmement du factionnaire gardant une affiche insurrectionnelle, attestent de mon dévouement à la bonne cause, je persistai à rester dans St Etienne où ma présence en imposait encore lors-même que la garde nationale avait été licenciée malgré moi par Allemand, et lorsque le paÿs fut envahi par 400 de ces misérables qui vinrent prononcer mon arrêt de mort, je crus devoir céder aux instances de ma famille éplorée, en me dérobant par la fuite à la furie de ces brigands. J’avais à quelques jours de là, la douleur de voir ma conduite blamée par l’autorité militaire, agissant sous l’influence de ces familles ennemies qui vous sont bien connues, et qui dans ces circonstances au lieu de me seconder, ne m’ont donné que de nouvelles preuves de leur mauvais vouloir ; à mon retour une autre administration avait remplacé la mienne, comme si j’eusse démérité, et un accueil froid et dédaigneux fut la récompense de ma conduite courageuse et la satisfaction que je reçus pour les outrages que je venais d’endurer.

 

Ainsi, dans ces circonstances, j’ai dû gouter au calice jusqu’à la lie. Je vous le répète, monsieur, votre lettre a été un beaume consolateur dont j’avais grand besoin et elle a pu lorsque mon beau-frère en a donné connaissance au commandant, le faire repentir de m’avoir jugé autrement que ne l’avait fait l’homme éclairé, qui avait si sagement administré notre arrondissement. Oh, maintenant St Etienne ne sera plus rien pour moi, je ne me soumettrai plus à servir ces misérables qui récompensent si mal le dévouement et le courage.

 

Peut-être bientôt irai-je vous demander votre appui, pour obtenir de la justice du Prince, un emploi qui me permette de m’éloigner d’un paÿs où j’ai été abreuvé de si amères déceptions. Je me flatte Monsieur que l’amitié dont vous avez daigné m’honoré jusqu’à ce jour, ne me faira pas défaut en ces circonstances, elle m’est d’avance un sur garant de réussite.

 

Mr Tardieu et sa famille me chargent de vous exprimer toute la joie que leur a fait éprouver la nouvelle de votre rétablissement. Les mauvais traitements que vous avez eu à supporter de la part de ces misérables, nous avaient causé de vives inquiétudes. Ces dames m’ont avoué que si pendant la tourmente elles mettaient votre nom à côté du mien afin de demander, pour nous, à Dieu assistance et protection elles les réunissent encore avec bonheur dans les actions de grace qu’elles ont à rendre à celui qui nous a délivré des fureurs de nos ennemis. Elles ne veulent point être oubliées auprès de Mme Paillard qui en ces circonstances a dû avoir sa part de tribulation et d’alarmes. Obligez nous de nous dire comment elle les a supportées.

 

Veuillez bien mon cher Monsieur agréer mes salutations bien affectueuses et celles de ma famille.

 

Tardieu

 

St Etienne, 10 janvier 1852

 

IV

Sous-Préfecture de Forcalquier (Basses-Alpes)

 

n° 7184

 

objet : Témoignage de satisfaction

 

 

à Monsieur Tardieu, notaire, St Etienne

 

Forcalquier, le 13 janvier 1852

 

Monsieur,

 

Mr le Préfet a rendu compte à Mr le Ministre de l’intérieur du dévouement courageux et empressé avec lequel vous vous êtes mis à la disposition de l’administration pour combattre l’insurrection qui a éclaté dans le département.

 

Je suis chargé de vous adresser au nom du Gouvernement et au nom personnel de Mr le Préfet, les félicitations et les éloges que mérite votre belle conduite dont au surplus Mr le Ministre de l’intérieur a pris et gardé note.

 

Agréez, Monsieur, l’assurance de ma considération très distinguée.

 

Le sous-Préfet

 

V

Préfecture des Basses-Alpes à Monsieur Tardieu, ancien maire de St Etienne

 

 

Digne, le 16 octobre 1852

 

Monsieur,

 

Mr. le Grand chancelier de la Légion d’honneur vient de me déléguer à l’effet de procéder à votre réception en qualité de nouveau membre de l’ordre.

 

Veuillez me faire connaître si vous désirer vous rendre à Digne pour recevoir de mes mains la décoration qui vous est destinée. En cas d’empêchement, je pourrais, en vertu de l’autorisation qui m’en est donnée par Monsieur le Grand chancelier, transmettre la délégation qui m’a été faite à tel membre de l’ordre qui serait le plus à votre convenance soit à Forcalquier soit aux environs.

 

Je vous prie de me faire connaître votre réponse le plutôt possible.

 

Recevez, Monsieur, l’assurance de ma considération distinguée.

 

Le conseiller de préfecture, secrétaire général, chevalier de la Légion d’honneur.

 

 

VI

République française Cabinet du Ministre de l’Instruction publique et des Cultes

Circulaire confidentielle

 

Paris, le 23 février 1852

 

Monsieur le Recteur, le Gouvernement n’a pas hésité à signaler les candidats qui lui ont paru devoir répondre le mieux à la grande manifestation des 20 et 21 décembre 1851. Il importe que tous les efforts se réunissent et secondent l’action morale du Gouvernement dans l’élection prochaine des membres du Corps législatif. Je vous invite, en conséquence, à vous concerter avec M. le Préfet du département pour que l’influence légitime que vous tenez de votre position concoure à la consolidation de l’œuvre fondée par le Prince Président de la République. Les membres des corps enseignant et les instituteurs placés sous votre direction n’oublieront pas que de leur dévouement peut dépendre dans cette circonstance l’affermissement de l’ordre et de la sécurité publique. Sous votre sage inspiration, ils s’empresseront, je n’en doute pas, d’appuyer résolument les candidatures recommandées par le Gouvernement, et de contribuer ainsi, autant qu’il sera en eux, à fortifier les institutions qui seules peuvent assurer le salut et la grandeur de la France.

 

Recevez, Monsieur le Recteur, l’assurance de ma considération très distinguée.

 

Le Ministre de l’Instruction publique et des Cultes,

 

H Fortoul

 

 

Lettre d’un républicain interné

VII

César Dupont à Angéline Dupont

Grenoble le 3 avril 1852

 

Merci mon Dieu ! mille fois merci mon Dieu ! Vous avez comblé les vœux de Votre Serviteur bien humble. Merci ma chère maman Gastinel, merci ma bonne, mon Angéline chérie de m’avoir fait l’immense plaisir de m’annoncer le bonheur que j’avais d’être père d’un beau garçon qui me ressemble une heure après que cet enfant chéri avait ouvert les yeux à la lumière. Que Dieu le bénisse et la mère aussi. Je vais bien le prier et le remercier de toute la joie que je ressens de cette bienheureuse nouvelle ! Mon bonheur est si grand que je n’ose pas me plaindre de n’avoir pas eu la consolation bien douce certainement de me trouver près de ma fière Angéline pendant sa souffrance pour lui prodiguer les soins les plus assidus et répondre à l’appel qu’elle faisait en sauveur de mon nom, la bonne chérie. Je ne parle ici que de moi tant j’ai le cœur gonflé de joie, mais je dois me hâter de vous dire qu’Antoinette[1] partage la même joie que nous tous. Ah ! qu’il me tarde de le voir cet enfant chéri et qu’il me tarde tout autant de donner bien des caresses à sa tendre mère qui veut le nourrir de son lait. Mais si mon observation pouvait être accueillie sans froisser son amour maternel, je dirais que si Angéline devait se fatiguer le moindrement en allaitant notre bijou d’enfant, il vaudrait mieux lui choisir une bonne nourrice. Je laisse là mon observation parce que les parents qui entourent la mère et l’enfant qui lui donn leur donnent tous leurs soins sont plus à même de juger de cela que moi.

 

Je fais des vœux pour que mon internement cesse au plutôt afin de m’élancer vers les 2 êtres qui me sont les plus chers sur la terre.

 

J’ai écrit à l’oncle Innocent de faire toutes les démarches pour cela et de voir Mr Ripert [ ?] que le ministre de l’intérieur. J’ai aussi écrit à Mr Gosset qui a des connaissances haut placées à Paris pour qu’il les fasse agir. Enfin une amnistie viendra peut-être, avant tout cela faire cesser notre séparation. Je n’en reviens pas que je suis assez heureux d’être père d’un joli garçon qui va faire notre joie et notre bonheur comme je ne sais pas l’exprimer.

 

Que Dieu soit loué, la mère et l’enfant se portent bien. Mille remerciements au brave docteur qui a si bien rempli sa tâche. Je lui sauterais joliment au cou pour l’embrasser si j’étais là-haut.

 

Et moi aussi, je me porte bien, très bien. Antoinette a été sensible à vos bonnes amitiés exprimées dans la lettre que je viens de recevoir. Elle me charge de son côté de vous faire les siennes.

 

Mille amitiés à la gd. Maman, à la tante Adèle, à la famille Berlis, à la famille Caire, à la famille Arnaud, à tout le monde enfin. Donnez moi des nouvelles du papa du chanoine [ ?] Mr [ ?].

 

J’aurais bien la fantaisie d’aller à Barcelonnette, d’y arriver la nuit sans qu’on me vit et de m’en retourner le lendemain, mais je craindrais qu’on ne m’arrêtât. (Je ne le ferai pas.)

 

Ton mari qui t’aime, qui t’aime et qui t’aime bien tendrement.

 

 

[César] Dupont

 

 


[1] Sa sœur.

 


[1] La fille de Tardieu.