communication au Colloque de Montpellier 18 et 19 septembre 1998

communication au Colloque de Montpellier 18 et 19 septembre 1998, publiée dans De la Révolution au coup d’État (1848-1851, les répercussions des événements parisiens entre Alpes et Pyrénées). Actes du colloque des 18 et 19 septembre 1998, Université Paul-Valéry – Montpellier III, 1999

  

Quelques remarques sur l’usage de la langue d’Oc dans la propagande démocrate-socialiste

 

Je propose ici quelques remarques sur l’usage de l’idiome natal par les démocrates-socialistes, dans les départements de langue d’Oc touchés, fin 1850, par la répression du « complot de Lyon », soit approximativement le grand Sud-Est.

Cette interrogation  s’inscrit à la fois dans le droit fil d’un travail personnel, depuis longtemps entrepris, d’inventaire et de mise en perspective historique des textes « non littéraires » en langue d’Oc, et de l’activité de 1851-2001 – Association pour le 150ème anniversaire de la résistance au coup d’Etat du 2 décembre 1851[1] .

Cette étude n’a rien de définitif. Je réserve pour une publication ultérieure l’étude de la situation de la démocratie-socialiste marseillaise, particulièrement complexe. En ce qui concerne le reste de la zone, le dépouillement de certaines séries et publications a été systématique, pour d’autres j’ai procédé par survols et sondages. Il m’apparaît cependant que, pour l’essentiel, les remarques qui suivent indiquent les grandes tendances

Cette étude gagnera à être confrontée aux études similaires (qui pour l’essentiel restent à faire) sur d’autres zones de langue d’Oc et plus largement sur les régions où le français officiel n’était pas langue « naturelle » du peuple : au premier chef les autres départements impliqués dans le complot de Lyon (zone de parlers francoprovençaux).

 

La zone d’expression occitane du grand Sud-Est m’est apparue intéressante à plusieurs égards :

– Malgré la répression de 1850, elle va être un épicentre majeur de l’insurrection de 1851 (Basses-Alpes, Drôme, Hérault, Var tout particulièrement, mais aussi Ardèche, Aveyron, Gard, sud des Hautes-Alpes, est du Vaucluse, quelques localités des Bouches-du-Rhône). Preuve s’il en est de l’efficacité de la propagande et de l’organisation de la Jeune Montagne dans cette zone.

– Même si le français est compris du plus grand nombre, la langue d’Oc y est encore majoritairement la langue quotidienne. Elle est souvent encore la langue unique des campagnards.

Dans une situation politique nouvelle (suffrage universel masculin, nécessité de convaincre le plus grand nombre malgré une répression de plus en plus dure), la Jeune Montagne a-t-elle estimé utile de recourir à l’idiome natal pour mieux se faire entendre de l’électorat populaire, et tout particulièrement de l’électorat rural ? Au delà d’un usage de communication directe, a-t-elle tenté de dignifier le peuple en dignifiant sa langue ? Ou au contraire a-t-elle jugé que la différence de langage était un facteur potentiel de division de l’unité nationale ?

Bien évidemment, ces questions sont à envisager en tenant compte de la complexité d’une organisation (légale et semi-clandestine) unie dans une idéologie et des perspectives nationales, organisée à la fois verticalement et horizontalement, et où la cohésion nationale se fonde d’une forte autonomie départementale, structurée le plus souvent autour d’un journal départemental.

– Cette zone est traditionnellement une pépinière d’écrivants d’Oc, elle possède des foyers importants et rayonnants de publication, Marseille au premier chef. Ici est née la « littérature sociale » dans l’idiome, avec Victor Gelu, le chantre de la plèbe marseillaise.

– Mais cette zone connaît aussi depuis la Restauration, un rassemblement « renaissantiste » des écrivants dans l’idiome, les Troubaires, et plus particulièrement dans les années 1840 avec Lou Bouillabaisso, l’hebdomadaire de Joseph Desanat (1796),  courtier de Tarascon fixé à Marseille, abondant versificateur et  libéral engagé. De ce rassemblement (inexistant dans les autres zones de langue d’Oc), le poète Roumanille (1818) (par ailleurs légitimiste proclamé) envisage depuis Avignon de faire un véritable mouvement littéraire. Mais quels que soient les engagements politiques des uns et des autres, avant 1848 le choix de l’écriture d’Oc, choix marginal d’une écriture minorée, sinon méprisée, n’est pas connoté politiquement. S’y retrouvent des écrivants de toutes opinions.

Si la plupart de ces Troubaires du Sud-Est ont conscience d’appartenir à un vaste ensemble linguistique, la « langue romano-provençale » ou langue d’Oc, parlée de Bordeaux à Nice, de Limoges à Montpellier, en fait la zone de diffusion du Bouillabaisso (Provence, Languedoc oriental, sillon rhodanien) est tout au plus par ses départements languedociens en contact avec la zone d’influence de Jasmin (qui à l’occasion vient déclamer en Provence). Au delà, la communication pan-occitane est rare ou inexistante.

Il n’en reste pas moins qu’en Languedoc oriental comme en Provence l’usage de la langue peut se situer aux confins du nationalitaire et du social : langue du peuple, mais aussi langue d’un Peuple[2]. Dans les urgences militantes, les activistes de la Jeune Montagne méridionale pouvaient-ils appréhender ce problème ?

Problème qui ne se posait pas aux militants de la zone francoprovençale des départements du Complot de Lyon : l’écriture « patoise » est présente avant 1848, y compris de façon très engagée[3], mais ne connaît ni traditions ni perspectives renaissantistes.

 

1848. Depuis des générations, l’événement a relancé, en la justifiant d’efficacité politique ou de mise en représentation du peuple, l’écriture de l’idiome natal[4].

Février ne contredit pas cette donnée. Importante dans les premières années 1840, la publication en langue d’Oc  s’était quelque ralentie, notamment avec la disparition du Bouillabaisso.

La brève phase unanimiste suscite une poussée de publications. Pour saluer la jeune République par la brochure, la feuille volante, la présence occasionnelle dans le journal, les plumes « patoises » ne manquent pas de Grasse à Narbonne, en passant par Toulon, Marseille (où l’union légitimiste-républicaine porte même à la députation un troubaire, le portefaix Mérentier), Avignon, Le Bourg Saint-Andéol, Nîmes, Sète, etc… (A noter que le jeune Mistral salue la République en français). Dans cette floraison de textes dont les auteurs sont le plus souvent anonymes et manifestement populaires[5], les écrivants confirmés ont leur place, mais tous n’y figurent pas : Gelu se défausse par exemple, et le légitimiste Roumanille s’abstient…

Après les journées de Juin, sanglantes à Marseille, et la fin de l’unanimisme, les saluts des Troubaires à la République s’accompagnent d’engagements politiques éclatés. Devant ses compatriotes de Tarascon (un fief de la démocratie avancée) le bon républicain Desanat dénonce les Blancs, souhaite la République de la réforme, il condamne les socialistes[6], sans pour autant atteindre à la haine anti-rouge manifestée dès 1848 et sans cesse réaffirmée par certains troubaires populaires marseillais comme Marius Clément, abondant auteur de chroniques versifiées vendues par fascicules, ou le serrurier Caillat. Les pesanteurs conservatrices sont évidentes dans la distance ironique prise avec la République chez des troubaires plus « bourgeois », comme les Marseillais Bellot et Benedit. 

Certains troubaires se défaussent, en utilisant la formule consacrée du dialogue, pour mettre plaisamment en situation les arguments des partisans et des déçus de la République, des Modérés et des « Rouges »[7].

Parmi les Troubaires que Lou Bouillabaisso avait fait connaître dans les années 1840, rares sont ceux qui après juin manifestent un engagement démocrate résolu : le plus connu est sans doute le potier de terre de Clermont l’Hérault, J.A. Peyrottes (1813)[8].

En fait, la production « républicaine » occitane, qui se trouvait fort bien de la phase unanimiste, n’est pas à son aise dans un étape nouvelle où les conflits s’aiguisent. On suit par exemple chez Desanat le tarissement de la production politique au fur et à mesure que le conflit Blancs – Républicains se double du conflit républicains modérés – Montagne rouge. Desanat annonçait après Février un grand projet d’écriture républicaine[9] qui sera vite abandonnée au profit d’un retour à la poésie de pure distraction dès 1849.

Peyrottes, beaucoup plus engagé à gauche que Desanat, assure une présence héraultaise occitane régulière (vers, chansons) dans L’Indépendant, mais il semble troublé et découragé par la tournure que prennent les événements après la terrible secousse du printemps 1849.

 

Après l’élection présidentielle de décembre 1848, le courant montagnard se structure, avec l’objectif de gagner rapidement la majorité des électeurs.

Dès lors, comment ignorer que le peuple parle « patois »[10] ? Les archives attestent abondamment de traces de l’intervention orale en langue d’Oc, de la part des militants et missionnaires montagnards, tout comme de la création populaire de chansons, dont certaines deviennent de véritables signes de ralliement : ainsi de La Cougourdo[11].

Mais le passage à l’écrit et à la publication est une autre affaire. Dans la presse démocrate-socialiste, la place de « l’idiome natal » est peu importante en occupation d’espace. Ce qui ne signifie pas que cette présence n’ait pas d’importance. Dans les cercles et chambrées populaires, la lecture à haute voix du journal en français est un événement collectif, porteur de conscientisation politique. Elle s’inscrit aussi dans une revendication majeure de la Montagne, l’instruction, et avec elle le souci de dignifier le peuple, à travers la nécessaire acquisition et maîtrise du français.

Dans ce contexte, la lecture du billet occasionnel en occitan sera lu avec d’autant plus de plaisir qu’il renvoie les locuteurs, à travers leur parole naturelle, à leur culture : une culture de l’oralité, de l’argumentation dans le dialogue, de la sentence versifiée, de la plaisanterie codée, etc. Mais cette présence de l’occitan, suivant les sensibilités, peut aussi apparaître comme une concession aux forces rétrogrades et passéistes.

Ainsi, dans certains départements, la présence de l’occitan est nulle ou pratiquement inexistante dans la presse démocrate. Le cas le plus extrême du refus du patois est sans doute celui de L’Indépendant des Basses-Alpes, créé en 1850 par Langomazino[12]. L’ancien forgeron de l’arsenal de Toulon, licencié pour faits de grève en 1845, est devenu révolutionnaire professionnel, après avoir vécu à Marseille où il s’occupa activement de l’Athénée Ouvrier. Envoyé comme missionnaire montagnard dans les Basses-Alpes par Laponneraye, responsable de La Voix du Peuple de Marseille, le grand journal démocrate de la Provence, il est une des chevilles ouvrières de la « conversion » du département à la démocratie socialiste.

Certes, la vie de L’Indépendant a été courte, la série conservée n’est pas complète, mais la lecture du journal révèle une distance absolue prise avec le « patois ». Tout est français, sauf quelques flèches décochées à l’adversaire, qualifié de « mange mégines »(mangeurs de fressure). Significative aussi est la présentation du docteur Honnorat, de Digne, bien connu des défenseurs de la langue d’Oc par son dictionnaire et son entreprise de rénovation graphique. Pour Langomazino, Honnorat, le vieux légitimiste qui déchire les affiches démocrates, n’est « célèbre dans notre département que pour avoir donné son nom à une espèce de papillon, sans doute nocturne ; pour avoir commis un incommensurable vocabulaire en français de cuisine et patois de tous les pays ».

Pour Langomazino, belle figure d’autodidacte-poète, la dignité du poète-ouvrier passe par le français. Ce sont les poètes-ouvriers engagés d’expression française (Funel à Toulon, Bondilh à Marseille) qu’il présente dans son Indépendant, et non ceux d’expression provençale, alors qu’il a rencontré les uns et les autres à Toulon et à l’Athénée Ouvrier de Marseille.

Langomazino est sans doute, de ce point de vue, en phase avec la sensibilité de nombreux militants. En témoigne, par exemple,  le carnet des chants de transportés, tous français, conservé par Marcelle Ailhaud, des Mées, descendante d’un proscrit bas-alpin[13].

 

Ce qui ne signifie en rien que le provençal ne soit pas utilisé dans la propagande orale des leaders montagnards du département[14].

 

Le parti de l’Ordre semble avoir compris en premier l’intérêt d’un usage écrit de la parole populaire.

L’exemple le plus évident est sans doute celui du Var, où le préfet de combat, Haussmann, a confié à son chef de cabinet, l’avocat légitimiste Hippolyte Maquan (1814), le soin de toucher les ruraux en provençal. Ce que Maquan fera dans des dialogues publiés dans le très officiel Conciliateur du Var et envoyé aux cercles et chambrées. Dialogues effrayants de méchanceté et de calomnies anti-socialistes[15].

Maquan avait été avant 1848 rédacteur en chef de La Gazette de Vaucluse où il avait accueilli des poésies de Roumanille. En 1849, c’est Roumanille qui publie dans son journal La Commune les “pochades politiques” varoises de Maquan, transcrites en parler rhodanien. Roumanille poursuivra en mettant au service de son engagement « blanc » son propre plaisir d’écriture et un talent déjà confirmés.

 

Quand elle existe, l’intervention démocrate-socialiste dans l’idiome apparaît au départ comme une réponse à ces initiatives du parti de l’Ordre. Le cas est net dans le Var et d’une certaine façon dans l’Aveyron, par exemple.

Cette réponse n’est pas générale. Par exemple, les interventions provençales dans le journal vauclusien de Roumanille, ne suscitent guère dans le sillon rhodanien de réactions sur le même registre.

Les auteurs rhodaniens connus comme républicains ne se manifestent guère. Opportunisme ? Il est vrai que beaucoup avaient fréquenté Roumanille dans les tentatives de regroupement de poètes provençaux avant 1848, et gardaient avec lui des relations de sympathie. D’ailleurs, tout en s’affichant politiquement, Roumanille poursuit en 1849 son entreprise de rassemblement poétique apolitique, et lui donnera une première concrétisation en 1850.

Mais en dehors de ce cénacle, des écrivants démocrates en vue, qui ne pouvaient ignorer les productions vauclusiennes du parti de l’Ordre et des Blancs, ne répondent pas vraiment en langue d’Oc.

Ainsi Pierre Germain Encontre (1809)[16], qui tient un cabinet de lecture à Nîmes : il qui s’est fait connaître par son écriture occitane dans les années 1840. Conscientisé politiquement en 1848, il donne bien quelques textes engagés en langue d’Oc jusqu’en 1849, mais privilégie dorénavant le français. Le choix est significatif, car Encontre est un vrai militant, qui paye son activité d’une dure répression.

Ainsi le poète provençal Charles Dupuy, de Carpentras (1801), directeur de Pensionnat à Nyons (Drôme), qui connaît personnellement Roumanille, avec qui il avait déjà durement polémiqué avant 1848 en matière provençale. Il intervient bien évidemment en français dans la presse démocrate de Lyon. Mais ce militant en vue (qui devra s’exiler en 1851) privilégie le français dans ses interventions dans la presse démocrate de Vaucluse et de l’Hérault. 

 

En ce printemps 1849 où se déchaîne contre les Rouges la propagande officielle et celle des Blancs, la riposte doit pourtant faire feu de tout bois. Le recours à la langue du peuple  » procède de cette urgence, mais il se fera en dehors de la sphère des poètes reconnus, défaillants à l’exception relative de Peyrottes.

Significativement, cette présence de l’idiome dans la presse démocrate se rencontre au plus loin de l’axe rhodanien où s’esquissait la renaissance littéraire et la querelle graphique. L’Aveyron républicain et Le Démocrate du Var sont le support de deux entreprises de conscientisation, menées avec persévérance par des militants décidés (et qui sauront prendre leurs responsabilités en décembre 1851). Il s’agit clairement, en prose comme en vers, de toucher « les Electeurs de la Campagne » dans leur langue et leur culture de l’oralité, du récit, du dialogue. Les textes d’argumentation ne sont pas présentés à la façon d’un éditorial en français, mais passent toujours par l’intermédiaire d’un personnage familier. Par contre les chansons portent puissamment, dans la parole collective anonyme, le message global de l’espérance rouge.

L’intervenant de l’Aveyron est Auguste Rozier (1801), géomètre-expert de Sauveterre[17], actif et influent propagandiste dans le Sud-Aveyron, qui s’inspire de la présence patoise dans le conservateur Journal de l’Aveyron. Il signe d’abord de différents pseudonymes « campagnards », mais affiche ensuite sa véritable identité.

Dans le Var, la publication en langue d’Oc est une réponse directe à l’entreprise du préfet. Charles Dupont (1816), clerc de notaire à Hyères, est un responsable départemental influent de la démocratie socialiste, chargé de la visite des chambrées et de l’organisation des sociétés secrètes, il assure la liaison avec la Jeune Montagne de Marseille et de Lyon, et avec Gent. Il écrit sous le pseudonyme de Cascayoun (le grelot), paysan d’Hyères[18].

Il ne semble pas que la Montagne ait sollicité ces plumes. Leur apparition procède du même « entrisme » qui poussait avant 1848 les auteurs occitans (apolitiques) à se faire connaître à travers la presse en français. Mais cette fois l’entrisme est politique, et on ne connaît pas aux intervenants d’interventions antérieures en langue d’Oc.

La démarche de Rozier et de Dupont, à n’en pas douter, procède d’un plaisir et de fierté d’écriture en langue d’Oc. Dupont d’ailleurs publie en ouvrage une partie de ses articles[19]. Etaient-ils pour autant renaissantistes ? La question n’est absolument pas théorisée dans l’urgence de l’action. Ils prouvent le mouvement en marchant : la langue est vivante puisqu’on l’utilise, en dignité familière et en communication directe. On ne la nomme pas vraiment. « Je vais parler comme vous autres, dit l’intervenant, afin que vous me compreniez mieux »… Notons que, si les références à l’écriture « littéraire » d’Oc sont absentes, Rozier règle quand même d’une certaine façon son compte à Jasmin qui va parader devant les puissants et les riches.

 

Ces initiatives ont-elles eu un effet d’entraînement au plan de l’écriture ?

Dupont demeure pratiquement seul dans Le Démocrate du Var. Un militant démocrate actif comme Alexandre Poncy, le maçon toulonnais qui en 1844 saluait en provençal le passage de Flora Tristan, ne se manifeste pas. Par contre, Rozier a des disciples dans L’Aveyron républicain, y compris des instituteurs.

Il est difficile de mesurer l’effet d’entraînement sur les journaux démocrates des autres départements.

Les structures « horizontales » de la Montagne impliquent un échange important entre les journaux démocrates départementaux, échange manifesté par de nombreuses références et citations. Les références aux initiatives « patoises » d’autres départements, voire leur reprise ou utilisation, semblent peu nombreuses. Mais, quand elles existent, elles ne procèdent pas seulement d’une proximité géographique. On reprend des textes de l’Aveyron dans le journal démocrate du Tarn et on va jusqu’à une publication commune[20]. Mais on peut aussi, comme en Provence, ignorer parfaitement ce que fait le voisin, même s’il s’agit d’un militant responsable chargé des contacts interdépartementaux. La différence dialectale a-t-elle poussé à cette limitation des échanges ? Il est évident qu’elle a pu être un prétexte pour des responsables peu favorables à l’utilisation du « patois ». A noter également que pour des journaux qui couvrent plusieurs départements, comme La Voix du Peuple de Marseille, cette réticence peut être accrue. Mais quand les responsables sont vraiment intéressés, la différence dialectale ne joue pas. Ainsi des textes de l’Aveyron sont repris dans la presse démocratique de Bayonne[21].

Comment mesurer l’impact de cette écriture dans l’idiome ? Des témoignages contemporains, y compris officiels, le jugent important. Et de fait le Var s’est massivement soulevé lors du coup d’Etat. L’Aveyron a surtout bougé au Sud, où la Jeune Montagne était active et organisée. Mais Rozier écrivait pour tout le département. Et dans des départements où la levée en masse de décembre 1851 a été impressionnante (Basses-Alpes, Drôme), le rôle de l’écriture dans l’idiome semble avoir été des plus faibles.

C’est donc à un autre niveau qu’il faut situer l’intérêt de l’intervention de militants comme Dupont et Rozier, celui de la réflexion ou de l’absence de réflexion sur la culture populaire, son présent et son avenir, sur la dialectique de cette culture et de l’acculturation à la culture nationale.  

René Merle



[1] Siège social et contacts : Association 1851-2001, Mairie, 04190, Les Mées.

[2] Sur l’ensemble de ces questions, cf.René Merle, Une mort qui n’en finit pas, l’écriture de l’idiome natal, des Lumières à la naissance du Felibrige, (Sud-Est français et Italie de langue d’Oc, zone franco-provençale de France et de Suisse). Nîmes,  M.A.R.P.O.C, 1990.

[3] Cf. René Merle, Fernand Rude, G.Roquille, Breyou, 1834, Toulon, S.E.H.T.D, 1989. René Merle, Luttes ouvrières et dialecte. Guillaume Roquille, Rive-de-Gier, 1840. Toulon, S.E.H.T.D, 1989.

[4] Cf.René Merle, L’écriture du provençal de 1775 à 1840, inventaire du texte occitan, publié ou manuscrit, dans la zone culturelle provençale et ses franges, Béziers, C.I.D.O. 1990, (thèse, Montpellier, 1987).

[5] Cf. Antoine Tramoni, Choses vues à Toulon en 1848. Croquis, dessins et textes de Pierre Letuaire (1798-1885), A.D.Var, 1998.

[6] Joseph Desanat, Souvenenço d’un Banquet démocratiqué et fraternel, A Tarascoun, lou 8 décembré 1848, Beaucaire, Raymond, 1848.

[7] Cf. par exemple Auguste Deidier, Jean que plouro et Jean que ris, dialogue, Marseille, 1848. Un Blu et un Rouge. Dialogo en vers prouvençaous, per J. la Chico, Marseille, Chauffard (1848).

[8] Cf. Claire Torreilles, « La revendication identitaire de J.A.Peyrottes », Revue des Langues Romanes, L’identité occitane, tome XC, 1986, n°2. Nathalie Pistre, J.A.Peyrottes, mémoire de maîtrise, Montpellier, 1985 : précieuse bibliographie in fine des textes de Peyrottes publiés dans la presse de l’Hérault.

[9] Desanat annonce en 1848 Leis Républicano prouvençalo, « Chansons nouvelles de circonstance en vers provençaux, par le citoyen Désanat. Se vendent à Toulon, Arles, Beaucaire, Marseille, Avignon, Aix. Arles, Imp. Hipp. Dumas ». Au dos : « Publication mensuelle. /…/ Ce recueil contiendra constamment de chansons nouvelles inédites toutes palpitantes d’actualité républicaine ».

[10] Cf. René Merle, « Dossier Var » in Association 1851-2001, Bulletin n°2, 1998.

[11] Id.

[12] Sur l’itinéraire de ce militant important, cf. Dominique Lecœur, Louis Langomazino ou le triomphe de la vérité, mémoire de maîtrise, Montpellier, 1993.

[13] Archives Association 1851-2001.

[14] Cf. par exemple les discours et chansons évoqués in Gisèle Roche-Galopini, Saint-Etienne les Orgues et la gloire de la Montagne, Les cahiers de Salagon 2, 1994.

[15] Cf. extraits in René Merle, Inventaire du texte provençal de la région toulonnaise, Six-Fours, G.R.A.I.C.H.S, 1986.

[16] Cf. Raymond Huard, Claire Torreilles, Du protestantisme au socialisme : un quarante-huitard occitan, écrits et pamphlets de Pierre-Germain Encontre, Toulouse, Privat, 1982.

[17] Cf. Jean-Paul Damaggio, Rozier chantait (1848-1851), Montauban, Les Poches de Point Gauche, 1998.

[18] Cf. extraits in René Merle, Inventaire du texte provençal de la région toulonnaise, Six-Fours, G.R.A.I.C.H.S, 1986.

[19] (Charles Dupont), Lettros de Micoulaou Cascayoun, Paysan d’Hyèros, oou redactour doou Demoucrato doo Var, edicien revisto, Toulon, Vuouso Baume, 1850.

[20] L’Almanach Républicain à l’usage des paysans de l’Aveyron et du Tarn pour l’année 1852, Toulouse, Janot, 1851, contenait des chansons en occitan de Rozier. Il est saisi après le coup d’Etat.

[21] Sur ce foyer démocrate cf. Joan Eygun, « La Republica o l’Empèri : pleiteis politics en Bearn de 1848 a 1852, en léger X.Navarròt e P.Gaston Sacasa », Reclams, n°7-8-9, 1991.