HISTOIRE DES CRIMES DU 2 DÉCEMBRE

HISTOIRE DES CRIMES DU 2 DÉCEMBRE

 Victor Schoelcher

Bruxelles, chez les principaux libraires, édition considérablement augmentée, 1852

tome II

Chapitre VI : RÉSISTANCE DANS LES DÉPARTEMENTS

 § III. Basses-Alpes

 

Le 4 décembre, à Forcalquier, quelques républicains, en apprenant le crime présidentiel, se réunirent pour se concerter dans une petite bastide située à deux pas de la ville. M. Escoffier, propriétaire d’un grand établissement d’horlogerie, était à leur tête. Le sous-préfet, M. Paillard, ayant été averti, fit cerner la bastide, et donna ordre de tirer sur les membres de la réunion qui s’éloignèrent à son approche ; les soldats refusèrent d’obéir, et firent seulement deux arrestations.

La lutte était engagée, l’autorité l’avait provoquée.

M. Escoffier, qui n’était plus en sûreté à Forcalquier, en sortit avec plusieurs amis. On répandit l’alarme dans la campagne. M. Buisson, fabricant de liqueurs, à Manosque, ex-maire de la ville, membre du conseil général, jouissant d’une influence considérable, fut avisé ; il n’hésita pas; suivi de M. Pierrette Aillaud, il sortit de Manosque le 5 au matin, avec trois ou quatre cents hommes, alla à Manne où il se rencontra avec M. Escoffier et plusieurs délégués des communes voisines. Après s’être entendu, on marche sur Forcalquier, que la troupe évacue sans combat, pour se retirer à Digne. On délivre les prisonniers faits la veille ; on s’empare de la mairie, de la poudrière, et on se dirige sur la sous-préfecture, dans laquelle s’étaient renfermés en armes le sous-préfet, les fonctionnaires et quelques bourgeois effrayés. M. Paillard, paraissant au balcon, veut justifier le coup d’état ; des murmures couvrent sa voix. Les portes sont enfoncées, et l’on s’empare des armes, qui presque toutes étaient des fusils de chasse.

M. Paillard et le substitut du procureur de la république furent arrêtés. Dans la mêlée, malgré les efforts de M. Escoffier et de ses amis pour protéger M. Paillard, que plusieurs hommes voulaient punir de ses ordres de la veille, un sabre, involontairement ou à dessein, dirigé vers lui par un tout jeune homme, le blessa à la cuisse. La blessure fut si peu grave que M. Paillard ne s’en aperçut, comme ceux qui le conduisaient, que lorsqu’il fut en route pour Manosque, où on le menait avec le substitut. Aussitôt on s’arrête, le blessé fut déposé dans une maison de campagne, et il retourna quelque temps après à Forcalquier, où le substitut, sur sa demande, eut la faculté de rentrer avec lui. Là, ces messieurs furent mis en prison. On les ramena ensuite à Manosque, à l’aide d’un cabriolet que le receveur particulier mit à leur disposition. La presse des fusilleurs de prisonniers a écrit que ces messieurs avaient été dirigés sur Manosque pour y être exécutés. C’est une fable ridicule ; la vérité est que, sur un faux avis que les soldats revenaient à Forcalquier, on a pensé qu’il était plus sûr de les garder à Manosque.

M. Paillard avait voulu faire assassiner M. Escoffier, en ordonnant aux soldats de tirer sur lui à bout portant ; le lendemain M. Escoffier lui sauva la vie. Comme tous les hommes sans générosité d’âme, M. Paillard n’eut ni remords ni reconnaissance, et il chargea méchamment M. Escoffier et ses honorables amis, dans le procès qui suivit les événements de décembre, devant la juridiction de Marseille.

Ajoutez à ce récit quelques mesures locales, sans portée politique, prises à la hâte par une commission municipale improvisée, et vous aurez toute l’histoire des événements de Forcalquier tant calomniés.

Parti de Manosque le matin, M. Buisson y revint le soir, et s’en rendit maître. Déjà toute la partie inférieure du département savait les événements de Forcalquier. Valensolles, Gréoulx, Riez, étaient avisés ; Gréoulx se leva à l’instant. M. Guibert, fils d’un des hommes les plus riches du département, docteur en droit, membre du conseil général, et M. Jourdan, propriétaire, ancien substitut du procureur général à l’île de la Réunion, après avoir envoyé un courrier à Riez, partirent à la tête de cent hommes armés. Ils entrèrent le 5 à Valensolles, aux cris répétés de « Vivent la République et la Constitution ! » On n’y désarma même pas les gendarmes. La mairie fut prise ; chacun s’arma ; et à onze heures du soir, près de quatre cents hommes, encouragés par les cris patriotiques de plus de cent femmes, épouses, mères et filles de tous ces paysans qui se levaient, se joignirent au premier groupe. À deux heures du matin cette bande, comme disent les insurgés, cette généreuse bande, comme dit Corneille, était à Oraison. Le village endormi se réveilla au bruit de la générale ; cent cinquante hommes se réunirent à la colonne ; aux Mées, près de deux cents hommes vinrent encore augmenter ses forces, sans cesse accrues par une multitude de paysans arrivant des communes environnantes.

Ceux qui se levaient étaient des hommes de tout âge, de toute condition. On a beaucoup parlé des sociétés secrètes du département des Basses-Alpes ; nous sommes en mesure d’affirmer que plus d’un appartenant à ces sociétés secrètes ne prirent point de part au mouvement, tandis que bon nombre d’autres, qui ignoraient jusqu’à l’existence de ces sociétés, avaient le fusil sur l’épaule. C’est aussi ce qui eut lieu dans l’Allier.

Pour gagner Digne, il fallait passer le pont de Malijay ; qu’on disait gardé par les soldats partis la veille de Forcalquier. Quelques hommes sans armes se portèrent en avant. Le 6 au matin ils furent saisis au pont, notamment M. Lazare, de Valensolles, au moment même où les soldats se retiraient sur Digne. Ces hommes furent indignement traités. On leur vola, assurent-ils, l’argent qu’ils avaient sur eux. Instruite de la retraite des soldats, la colonne marcha sur Malijay, et s’y étendit sur une vaste esplanade du côté de Digne. Par la rive droite de la Durance arriva, une heure après, une seconde colonne venant de Forcalquier et conduite par M. Escoffier ; puis une troisième, fournie par Peyruis, Volonnes et Château-Arnout, sous les ordres de M. Aillaud, ex-garde général des eaux et forêts.

Les trois colonnes se réunirent, et, en attendant celle de Manosque, on prit à la hâte quelques mesures d’ordre. La municipalité de Malijay concourut à les rendre faciles.

Des charrettes chargées d’équipements militaires furent arrêtées ; leurs conducteurs ayant donné des renseignements inexacts, elles durent être visitées ; mais le chargement fut respecté, et il suffit à M. Jourdan d’intervenir pour détruire le mauvais effet des fausses déclarations des charretiers.

Vers huit heures du soir, le même jour, 6, MM. Buisson, Pierrette Aillaud, Francoul, maître d’hôtel garni, à Manosque, arrivèrent avec les Manosquiens. Les quatre colonnes formaient ensemble un effectif d’au moins six mille hommes qui, le lendemain, à dix heures, firent leur entrée dans Digne, sans qu’un seul coup de fusil eût été tiré, ni, quoi qu’on en ait dit, la moindre violence commise. De nombreuses adhésions saluèrent le défilé. Le maire y assista revêtu de son écharpe.

Que s’était-il passé à Digne jusqu’à ce moment ? En voyant l’indignation soulevée par des parjures, l’autorité avait fait arrêter préventivement M. Cotte, premier avocat de Digne, M. Roustan, cafetier, et d’autres encore. L’autorité agissait là comme à Forcalquier, comme à Sisteron, où M. Ferevoux, mécanicien, vivant avec son père, propriétaire, fut également traîné en prison à titre de républicain.. On sait maintenant que ces rigueurs provocatrices répondaient aux instructions envoyées par les insurgés de Paris. Un de nos compagnons d’exil possède une lettre de M. Ch. Fortoul, dans laquelle le frère du ministre de l’instruction publique écrit à son père, secrétaire général de la préfecture : « Nous voilà casés ! Hippolyte est mieux rue de Grenelle qu’à la Marine. Le coup d’état sera plus rude à la bourgeoisie qu’à la démocratie ; je crois qu’il sera bien reçu chez nous. Mais si quelque agitation se fait sentir, n’hésitez pas, allez au devant d’elle, et ne reculez pas devant les moyens révolutionnaires. Notre préfet est bien, mais IL FAUT L’AIGUILLONNER. » etc. Quels hommes d’état !

MM. Cotte et Roustan ne restèrent pas longtemps sous les verrous. Ils furent remis en liberté par l’intervention du maire, l’honorable M. Frachin, et de la garde nationale. Le procureur de la république, M. Prestat, avait quitté son parquet, et M. Dunoyer, le préfet, après une entrevue avec le commandant des troupes, s’était retiré dans le fort de Digne. La ville était donc abandonnée à elle-même quand les constitutionnels y entrèrent, le 7 décembre au matin.

Dès qu’ils furent massés sur le champ de foire, le maire s’approcha d’eux et demanda l’élargissement des gendarmes faits prisonniers dans diverses localités et amenés sans liens au milieu des amis de la loi, ainsi qu’un officier attardé, saisi à Malijay. Tout en rendant hommage aux sentiments exprimés par le maire, on contesta sa qualité ; il voulut rendre son écharpe ; M. Buisson le pria de la garder et il y consentit. Les gendarmes furent conduits à la préfecture où ils sont restés détenus jusqu’au dernier moment ; l’officier rentra dans sa caserne sans conditions et sans avoir reçu une seule injure.

À ce moment vingt-cinq gendarmes de la ville, en tenue et en armes, vinrent sur la place, leur lieutenant en tête, se mettre à la discrétion des constitutionnels. MM. Pierrette Aillaud et Jourdan les conduisirent à la mairie, où ils laissèrent leurs armes avec leurs munitions, puis ils rentrèrent dans leur caserne. Leur lieutenant conserva son sabre. M. Aillaud, se présentant avec lui au balcon, recommanda au peuple de respecter ses épaulettes, et quand il sortit il ne fut l’objet d’aucun outrage. Nous disons ces choses-là autant pour répondre à toutes les calomnies de la presse élyséenne que pour montrer la courtoisie de ceux auxquels la presse orléaniste lance encore tous les jours ses vulgaires insultes.

Pendant ce temps les défenseurs de la Constitution acclamèrent deux chefs, M. Buisson et M. Cotte, le premier chargé de la direction du mouvement, le second mis à la tête de la population de Digne. Ces deux citoyens se rendirent ensemble à la préfecture. Elle était déjà gardée, ainsi que le tribunal, par les hommes de Riez, d’Allemagne, de Quinson, d’Estublon, de Puymoiçon et de Mezel, arrivés dès la veille dans la nuit, et conduits par MM. Allemand, médecin de Riez, Gilly, propriétaire et ancien maire d’Allemagne ; Gasquet fils, propriétaire de l’auberge le plus en renom de Riez ; Rous, tailleur et petit propriétaire. Cette colonne, forte d’au moins dix-huit cents hommes, avait, comme les autres, effectué sa marche avec un ordre parfait.

Les citoyens Buisson et Cotte, partageant volontairement la haute responsabilité qui leur incombait, formèrent un comité de résistance, dans lequel ils s’adjoignirent MM. Pierrette Aillaud, l’ancien garde général, Barneau jeune, avocat de Sisteron, Jourdan, Escoffier et Guibert.

Dès qu’il fut organisé, le comité avisa au plus pressé : éviter une lutte à Digne, et propager la résistance. Le commandant du fort, M. Chevalier, sur l’invitation qui lui en fut faite, se rendit dans une maison particulière auprès du comité, et signa une sorte de capitulation, dont voici les bases : Armistice de vingt jours entre ses hommes et les constitutionnels ; remise des fonds déposés à la caserne par le receveur général, s’élevant à 15,000 francs, et partage des munitions de guerre en son pouvoir.

Aussitôt après, une première adresse au peuple fut rédigée ; elle prononçait la déchéance du président, et proclamait la souveraineté du peuple comme la seule loi en ce moment debout. Pendant toute cette journée du 7 et une partie de la nuit, le comité de résistance ne cessa pas un instant de prendre les mesures les plus urgentes. M. Cotte pourvut à la sûreté de la ville ; des postes furent placés à l’évêché, à la mairie, au séminaire, au couvent, à la poste, à la recette générale, au tribunal, partout enfin où il y avait une précaution à prendre. Les moindres ordres du comité étaient ponctuellement exécutés. — Selon les calomniateurs patentés, les bureaux de la préfecture auraient été mis au pillage et les meubles brûlés sur la place, les employés même auraient couru risque de la vie. Autant de faussetés. C’est tout ce que nous pouvons dire. Nous n’avons rien à déplorer. L’argent était apporté de la caserne à la préfecture en même temps que des barils de poudre (il y en avait six énormes, bien qu’on ait écrit que le commandant en livra seulement vingt kilogrammes) ; chacun allait et venait, et rien n’a été pris, aucun accident n’est arrivé. Un homme d’une petite commune, accusé d’avoir dérobé trois couteaux dans les cuisines, fut traduit devant le comité ; il confessa sa faute. Immédiatement M. Jourdan rédigea un mandat d’arrêt qui fut signé par M. Buisson et exécuté. Plus tard des amis de ce malheureux sont venus le réclamer ; M. Buisson a refusé de le faire mettre en liberté !

Tel est le seul fait de vol commis pendant le mouvement, le seul acte de cette effroyable jacquerie qui a dévasté le département des Basses-Alpes ! Qu’on le sache bien d’ailleurs, si le soulèvement des Basses-Alpes avait déshonoré la civilisation, il faudrait en accuser la ville entière, car la garde nationale y adhéra complètement. Le journal des mitraillades, la Patrie, l’a ainsi avoué dans son article du 15 décembre : « La garde nationale, assemblée à la hâte par les soins du maire, passa bientôt du côté de l’insurrection, et fit entendre même, devant la caserné, les cris de Vive la rouge ! vive la sociale ! » Donc, ou l’élite de la population de Digne s’est rangée du côté de brigands qui voulaient « mettre la ville à feu et à sang, qui parlaient de se distribuer entre eux les jeunes filles et les jeunes femmes » (Patrie, 15 décembre), ou la feuille élyséenne, cette fois encore, a menti. Le doute est-il possible ? Certes, dans une ville de 4,500 âmes, tout à coup occupée par 7,000 à 8,000 hommes en armes, on peut avoir eu à regretter des froissements, des embarras inhérents à un pareil encombrement ; mais, quoi qu’en aient raconté les journaux du crime, il n’y eut, nous le répétons encore une fois, ni vol, ni viol, ni meurtre. On a écrit que le couvent avait été mis à sac ; mensonge ! que l’évêque avait été insulté ; mensonge encore ! que le séminaire était devenu un lieu de désordre ; toujours mensonge ! On y avait logé quelques hommes, sur la proposition du maire lui-même ; où est le mal ?

Citons encore deux faits. Avisé, pendant la nuit du 7 au 8, qu’un assassinat, crime complètement étranger à la politique, avait été commis aux environs de Digne, le comité prévint aussitôt le parquet ; dès le lendemain matin la justice put faire une descente sur les lieux, et suivre son cours. M. Bréton, ingénieur, apprit à M. Jourdan qu’un homme voulait profiter des circonstances pour assouvir une vengeance particulière sur un employé des ponts et chaussées. Cet homme était de Peyruis. M. Jourdan vit le chef de cette localité, mais celui-ci connaissait le fait et avait déjà pris des mesures énergiques. A la suite d’un avis semblable, M. Buisson avait envoyé, à toute bride, un émissaire eux Siéyez pour prévenir tout accident ; il n’était également rien arrivé.

Et ils osent outrager la résistance de Digne ! Où vit-on jamais diriger avec plus de bonheur et de fermeté la fièvre d’une population soulevée par un attentat ?

Il est très-vrai que les livres des contributions indirectes furent brûlés sur la place ; mais en France les droits réunis ne comptent plus depuis longtemps avec de pareils accidents ; ils doivent s’y attendre à tous les mouvements populaires. On se rappelle que le frère de Louis XVIII se fit presque une popularité en 1845, en rentrant à Paris, rien qu’avec ces mots : Plus de droits réunis !

Le 8 décembre, le comité de résistance publia une seconde proclamation, dont voici le texte :

« Habitants des Basses-Alpes,

 

Après la victoire, il y a le devoir d’en profiter.

 

Tous les conseils municipaux sont dissous.

Les juges de paix sont momentanément suspendus.

Les contributions indirectes sont abolies.

Que dans chaque commune il soit immédiatement procédé à la nomination de comités de résistance, composée de cinq membres ;

Que ces comités de résistance puisent leur force et leur droit dans le suffrage direct et universel ;

Que pour chaque canton et chaque arrondissement de semblables comités sortent également de l’urne du scrutin ; que tous ces comités correspondent entre eux, et que leurs communications aboutissent au comité de résistance central.

Les comités de résistance sont provisoirement investis de tous les pouvoirs.

Le comité central de résistance recommande à tous les comités de résistance, comme un de leurs premiers devoirs, de s’occuper activement des familles dont les soutiens sont en ce moment les soldats de la liberté.

Que dans chaque commune où les gendarmes n’auraient pas encore été désarmés, ils le soient immédiatement, en conciliant les exigences de la nécessité avec la générosité qui convient à la force et au droit.

Citoyens, que partout l’activité, l’énergie, la fièvre de la liberté remplacent dans vos coeurs toute crainte et tout découragement. Le succès et l’avenir sont dans vos mains, vous les tenez.

C’est vous dire qu’ils ne vous échapperont pas. »

 

 Les membres du comité de résistance,

Ch. Cotte, Buisson, P. Aillaud, Escoffier, Aillaud de Volx, Guibert, Jourdan, Barneaud.

Digne, 7 décembre 1851

 

Comparez ce digne langage avec les sauvages proclamations et les circulaires épileptiques des Maupas, des Saint-Arnaud et des Morny !

Pendant ta journée du 8, divers membres du comité allèrent chez les comptables, et puisèrent dans leurs caisses, vides tout à point, une somme de deux mille et quelques cents francs, qui, avec les quinze mille francs reçus la veille du commandant du fort, firent une somme de dix-sept mille francs. Pas un des comptables n’a présenté la moindre objection et n’a été l’objet de la plus légère violence. Ils se sont presque tous, depuis, vanté de leur courage et de leur adresse. Leur courage, personne ne l’a vu ; leur adresse, on la leur avait rendue facile ; ils ont été, les uns et les autres, déchargés de toute responsabilité par des reçus du comité.

Le receveur général, M. Matharel, prétend qu’il a sauvé ses bureaux du pillage. Quoi ! lui tout seul contre sept mille brigands ! Ce qui est vrai, c’est que les brigands mirent à sa porte un piquet qui faisait bonne garde.

Les défenseurs de la propriété, qui se donnent des gages annuels de douze millions et de quatre-vingt mille francs pour administrer la fortune publique, ont dit encore que les directeurs du mouvement des Basses-Alpes avaient emporté, en quittant la France, la somme prise dans les caisses publiques ! Nous ne descendrons pas à défendre nos amis politiques sur ce terrain, nous plaignons quiconque croirait qu’ils en ont besoin ; mais, pour le bon ordre, nous allons dire comment ces sommes ont été employées. Il avait été résolu que chaque homme recevrait deux francs cinquante centimes et pourvoirait à tous ses besoins. Les chefs de section se présentaient l’un après l’autre à la préfecture, avec un ruban rouge roulé autour du bras, pour se faire reconnaître ; chacun d’eux déclarait le nombre d’hommes arrivés avec lui de sa commune, touchait vingt-cinq francs pour dix hommes, cinquante francs pour vingt hommes, ainsi de suite, et donnait un reçu, annexé ensuite à un contrôle général. Soit que les pièces aient été brûlées au dernier moment, pour ne pas compromettre une foule d’individus, soit que l’administration les ait aujourd’hui dans les mains, elles sont perdues pour la décharge des membres du comité. Qu’importe ! leur parfaite honorabilité sera une garantie suffisante pour tout homme d’honneur. Il est clair que les soldats de la Constitution et du droit n’ont pas tous reçu deux francs cinquante centimes, les dix-sept mille francs n’y auraient pas suffi ; mais un certain nombre d’entre eux les ont touchés ; le reste a été employé en restitutions pour des fournitures prélevées dans diverses localités, en remboursement d’une somme empruntée à Manosque, en frais d’estafettes, etc. Un gros sac de monnaie, emporté au moment où les colonnes ont quitté Digne, a été l’objet des plus mauvais commentaires ; mais la note remise par le directeur des postes lui-même les réduit au silence, en constatant qu’il n’était plein… que de gros sous.

Les décembriseurs, dont l’intégrité est si notoire, ne manquent pas de dire que ce sont là des vols ; ils ont coutume de ne pas plus reculer devant le mot que devant la chose. Nous demandons simplement si ce n’est pas dans les caisses publiques qu’ils ont puisé pour solder et nourrir leurs troupes. Ils ont fait mieux encore, ils ont forcé les démagogues à les entretenir. Voici ce que tout le monde peut lire dans le Journal de Lot-et-Garonne (15 décembre) :

« Quelques habitants de Villeneuve ayant mis obstacle aux réquisitions frappées pour la nourriture et le logement des troupes, les soldats ont été logés militairement chez les récalcitrants. Diverses autres mesures d’ordre ont été prescrites par le préfet, avec une promptitude et une vigueur remarquables ! »

Grâce aux renseignements de l’honorable M. Phillips, récalcitrant qui se trouvait à cette époque à deux cents lieues de Villeneuve, nous sommes à même d’expliquer que la principale mesure d’ordre prise par M. le préfet Preissac s’appelle, en langue vulgaire, une exaction révoltante. On a tout simplement envoyé à Villeneuve une colonne mobile pour se réconforter aux dépens des démocrates, en ayant soin de dire à l’heureuse colonne « qu’elle était maîtresse de faire ce qu’elle voulait chez les jacques. » C’est ce que les soldats logés chez madame Dubruel lui ont déclaré ! Vous entendez, lecteurs, vous voyez si nous avons tort de dire que les bonapartistes se conduisent en France comme en pays conquis ! Le bataillon n’a été mis en subsistance que chez les républicains. Ce fut une sorte de contribution de guerre que l’on n’imposa à aucun réactionnaire blanc ou bleu, riche ou pauvre. De malheureuses familles dont le père, le soutien, était en prison ou en fuite, se trouvèrent forcées, n’ayant pas le nécessaire pour elles-mêmes, de loger et de nourrir un ou plusieurs soldats ! Les trois plus grands coupables de la municipalité, MM. Brondeau, Dubruel et Phillips, n’en eurent pas moins de quarante chacun à héberger pendant un mois ! Il est assez rare, si riche partageux que l’on puisse être, d’avoir quarante lits à la disposition des janissaires d’un 2 décembre. Le cas avait été prévu : lorsqu’on ne pouvait les prendre chez soi, on était tenu de donner un franc cinquante centimes par homme et par jour. Quelques soldats ont même trouvé plaisant de se faire payer deux fois le même billet de logement, comme il est arrivé, par exemple, chez les demoiselles Rives. Ces demoiselles n’avaient signé aucune espèce de protestation contre le coup de Jarnac ; elles n’avaient pris aucune part à la résistance ; elles ne peuvent passer pour des brigands, mais elles furent tenues de payer la contribution forcée à titre de soeurs de M. Rives, proscrit. On a là une idée succincte de ce que le journal honnête de Lot-et-Garonne appelle « une mesure d’ordre. »

Pareille chose a eu lieu dans le département des Basses-Alpes. Un aubergiste de Riez, M. Gasquet père, ayant réclamé au colonel Sercey, commandant la colonne expéditionnaire, le prix des dépenses faites chez lui par la troupe, le colonel, en manière de réponse, lui mit un pistolet sur la poitrine, le menaçant de le tuer pour châtier son insolence ! Ce fait est affirmé par le citoyen Gasquet fils, aujourd’hui réfugié à Nice. M. Gasquet père, qui est un vieillard, a été malade pendant plus de dix jours, à la suite de cette scène inouïe. Nos conquérants sont de durs maîtres.

Scandale et impudence ! Ces factieux logent de force, militairement, selon leur expression, leurs soldats chez des citoyens qui repoussent la restauration des réquisitions ; ils mettent le pistolet sur la poitrine de ceux qui ne sont pas contents : Mesure d’ordre ! Les défenseurs de la loi et de la Constitution pourraient aussi frapper des réquisitions à coups de pistolet ; ils trouvent plus juste, plus régulier de prendre dans la caisse publique telle somme dont ils donnent reçu au percepteur et dont ils rendent compte ensuite : Vol et pillage !

S’il y avait des juges en France, M. le colonel Sercey comme M. le préfet Preissac iraient expliquer leur mesure d’ordre devant la cour d’assises. Ce qu’ils ont fait peut s’appeler, selon le dictionnaire bonapartiste : « Mettre des troupes en subsistance chez des républicains » ; mais, selon le dictionnaire des gens honnêtes, cela s’appelle : « Voler à main armée. »

Un mot, puisque nous en sommes aux explications, un mot des calomnies dirigées contre les deux hommes placés à la tête de la résistance des Basses-Alpes. Dans un article odieux et ridicule de la Patrie, le nommé Amédée Césana a soutenu que M. Buisson avait donné l’ordre de « fusiller M. Prestat, procureur de la république, partout où on le rencontrerait. » M. Buisson est un homme d’une douceur de moeurs égale à l’énergie de son caractère ; il s’est peint tout entier en disant, au contraire, devant ses amis du comité, lorsqu’il apprit la fuite de ce magistrat, universellement détesté : « Nous sommes bien heureux, il nous aurait embarrassés. » Le citoyen Cotte a été de même attaqué d’une manière dégoûtante. Sa jeunesse, sa bienveillance, son rare talent, sa belle position à Digne, où il était le premier avocat de la ville, répondent pour lui. Pendant qu’il fut maître de la situation, il a constamment fait des efforts heureux pour maintenir l’ordre et suffire à tout ; il a organisé la garde nationale, dans les rangs de laquelle on a vu défiler le maire, M. Frachin, cette fois sans écharpe ; il a exigé, il est vrai, que les armes cachées fussent apportées à la mairie, mais en s’écriant : « Il faut que chacun ici, riche et pauvre, puisse défendre au besoin sa personne, sa liberté et son vote. »

Dans la soirée du 8, un émissaire, envoyé par le comité à Marseille, en revint avec de déplorables nouvelles. Paris était écrasé, Marseille impassible ; un corps de six à sept cents hommes avait été conduit en poste jusqu’à Vinon ; d’autres troupes allaient être dirigées sur Digne. Évidemment, la partie était perdue ; les sept mille citoyens maîtres de Digne se trouvaient seuls en armes dans ces localités. C’était trop peu pour assurer la victoire à la loi. Ils quittèrent Digne où il leur devenait impossible de se défendre, surtout y ayant le fort contre eux. La nuit fut glaciale, et quand ils arrivèrent à Malijay, la faim, le froid, les mauvaises nouvelles avaient éclairci les rangs en abattant les courages.

On rencontra à Malijay une colonne de Sisteron, conduite parle citoyen Ferevoux.

Sisteron s’était levé en même temps que Forcalquier, Manosque, Barcelonnette etc. La résistance y avait été si puissante, en quelques instants, qu’elle songea à attaquer la citadelle d’où elle venait d’arracher M. Ferevoux, arrêté préventivement, et dans laquelle se réfugièrent ensuite le sous-préfet, les fonctionnaires et quelques réactionnaires ; mais les défenseurs de la loi, après avoir reconnu qu’une telle entreprise était au-dessus de leurs forces, se résolurent à aller joindre le gros de l’armée constitutionnelle. Trois ou quatre cents hommes étaient sortis de la ville, sous les ordres de M. Ferevoux, et attendaient depuis vingt-quatre heures à Malijay, n’ayant pas dû entrer à Digne, pour ne pas y augmenter l’encombrement.

— A Barcelonnette le mouvement, conduit avec une égale vigueur par les citoyens Gastenel, propriétaire, et Favre, marchand de bois, n’eut pas d’obstacle sérieux à vaincre ; mais il ne franchit pas les étroites limites du chef-lieu d’arrondissement, et dut nécessairement s’affaisser de lui-même, faute du succès extérieur.

Quelle lâche guerre on nous a faite ! Quelle persistance dans d’affreuses accusations, alors que toutes nos voix étaient étouffées, alors que nous ne pouvions immédiatement redresser les mensonges et en détruire l’effet ! Au dire des inventeurs de la jacquerie, pendant la nuit où les constitutionnels campèrent à Malijay, le château de ce nom aurait été mis au pillage, les meubles, les lits auraient été brûlés, les vignes arrachées. Tout cela est faux. Quelques hommes, seule chose condamnable, se sont introduits dans le château ; pressés par le froid et la faim, ils y ont fait du feu et bu quelques bouteilles de vin. Hors de là, rien qu’on puisse reprocher aux défenseurs de la loi. Nous ne craignons pas, sur ce point, d’invoquer le témoignage du propriétaire.

Un ouvrier étant venu annoncer que les troupes étaient encore à Oraison et n’arriveraient pas de longtemps, on abandonna les fortes positions prises à Malijay, et l’on alla, le 9, dans la journée, occuper définitivement le village des Mées, dans lequel les plus fatigués pouvaient trouver un peu de repos.

Le 9, arrivèrent les soldats de l’insurrection, au nombre de six cent cinquante ou sept cents, commandés par le colonel Parson. Les constitutionnels étaient bien encore quatre mille à ce moment. Les autres, découragés par les nouvelles de l’intérieur, étaient rentrés dans leurs villages, formés en détachements réguliers.

Une barricade avait été élevée à l’entrée des Mées. Les hauteurs qui dominent la route étaient bien gardées et cachaient des tirailleurs postés en avant de la barricade. On décida cependant qu’il fallait parlementer. La lutte parut inutile, puisqu’elle ne pouvait avoir d’issue, dans l’état d’isolement où on se trouvait. C’était du sang perdu. MM. Aillaud et Jourdan reçurent mission d’aller au-devant des troupes, et acceptèrent sans hésiter. Il y avait dix minutes qu’ils marchaient, le premier un sabre au côté, le second un fusil sur l’épaule, lorsqu’ils rencontrèrent l’avant-garde des insurgés. Ils demandèrent à parler au colonel. A peine avaient-ils décliné la qualité dans laquelle ils se présentaient, qu’un chef de bataillon, se jetant entre eux et le colonel, s’écria : « Vous, des parlementaires ? Vous êtes des brigands et des rebelles ! » Puis, tournant les yeux sur M. Jourdan, il ajouta : « En voilà encore un de ces avocats ; il y a assez longtemps qu’ils nous embêtent. » M. Jourdan regarda ce galant homme. — L’ordre de désarmer ces messieurs fut donné. On visita jusqu’à leurs poches, et on les conduisit à la queue du bataillon. En traversant les rangs, ils recueillirent les injures d’un officier et les plaisanteries de quelques soldats. Le colonel Parson ne dit mot et laissa faire.

Ce honteux incident terminé, le bataillon quitta la route, et le colonel, prévoyant que les hauteurs étaient gardées, donna ordre de les fouiller. Quelques coups de fusil furent échangés. Les choses en étaient là depuis trois quarts d’heure, lorsque arriva le juge de paix des Mées. Craignant les justes représailles que les amis de MM. Jourdan et Aillaud pourraient exercer aux Mées, dont ils étaient les maîtres, ce magistrat venait demander la délivrance des deux intrépides parlementaires. Le colonel chercha à leur imposer des conditions, mais ils refusèrent d’en accepter aucune. « Un captif ne peut pas contracter », a dit froidement M. Jourdan. Le coup porta. Le colonel, à qui l’on reprochait ainsi sa déloyauté sous les armes, prononça la mise en liberté. Ils eurent bientôt regagné les Mées. Presque au même moment, on y amenait deux soldats faits prisonniers, et, peu après, un capitaine, un sous-lieutenant, et seize ou dix-sept hommes tombés dans une embuscade. Les troupes n’avançaient plus et faisaient, au contraire, mine de reculer. Les impatients voulaient se jeter à leur poursuite, lorsqu’on vint dire aux constitutionnels que le colonel demandait un chef pour traiter de l’échec qu’il venait d’éprouver.

M. Buisson, suivi de quelques amis, franchit la barricade afin de se rendre à l’invitation du colonel, mais les prisonniers parvinrent presque aussitôt à s’échapper. M. Buisson, en arrivant en face du bataillon, s’aperçut de leur évasion, et, au moment même, il reçut un feu de peloton qui blessa trois de ceux qui l’accompagnaient, l’un à la tête, le second au ventre, le troisième au pied. Rougissant pour l’armée d’une telle trahison, il se replia sur la barricade, et M. Ferevoux, qui avait eu le soin de se placer sur une hauteur, à côté de la route, put, avec quelques tirailleurs, favoriser sa retraite, en tenant les soldats en respect.

Tout cela se passait le 9, à midi. Les troupes n’attaquèrent pas, et retournèrent à Vinon (soixante ou soixante-cinq kilomètres des Mées), d’où elles étaient venues. Elles attendirent là des renforts et de l’artillerie pendant près de soixante heures. Ceci est la vérité, quoi que les honnêtes gens aient pu dire de la prétendue fuite des nôtres. La retraite des troupes est affirmée en ces termes par l’Écho des Basses-Alpes (25 décembre) : « Au-delà des Mées, où les émeutiers s’étaient fortifiés, ils rencontrent un détachement du 14e léger, envoyé en avant. Des coups de feu partent des rangs des insurgés. La troupe riposte par quelques feux de peloton qui abattent ou blessent une quarantaine d’émeutiers. Tandis que le détachement se replie sur le bataillon, les insurgés parviennent à se rallier ; embusqués sur les hauteurs, ils harcèlent la retraite du bataillon, qui revient sur Oraison. Deux officiers et quelques soldats tombent entre les mains des émeutiers. La troupe, croyant avoir affaire à des bandes plus   considérables, croit prudent de se replier sur Vinon, et d’aller attendre des renforts. »

Malgré cette retraite, le découragement continua à se mettre dans les rangs des républicains. Ils se sentaient trop isolés, et comprenaient qu’ils ne pourraient rien. La plupart de ceux qui étaient restés se retirèrent. Ils apprenaient, le 10 au matin, que de nouvelles troupes se rassemblaient à Riez, à Manosque, à Forcalquier et à Digne où le commandant du fort, violant la capitulation signée entre lui et la résistance, avait repris tous les postes de la ville. Les chefs n’eurent plus qu’un souci, se rendre dans le Var, où il restait, croyaient-ils, quelque chance aux amis de la loi. Après avoir traversé la Durance, avec de l’eau jusqu’à la ceinture, ils entrèrent, le soir à onze heures, à Verdière, où un émissaire leur apprit les événements d’Aups. Dès cet instant, ils songèrent à leur sûreté, et parvinrent, après de cruelles fatigues, à gagner le Piémont.

Nous venons d’exposer les différentes phases du mouvement des Basses-Alpes. On a pu juger de son caractère jusque dans ses moindres détails. Légitime dans sa cause, irréprochable dans ses moyens, formidable dans ses premiers développements, il fut aussi éminemment politique, c’est-à-dire qu’il avait un but déterminé et possible. Les hommes intelligents, énergiques, pleins de générosité qui le dirigèrent ne comptaient pas sur Paris, mais sur Marseille. Marseille devait être le centre de la résistance générale du Midi. L’action ne s’étant pas produite au centre, celle des Basses-Alpes devint inutile, et c’est la conscience de son inutilité qui fit renoncer chacun à une résistance plus prolongée.

Les bonapartistes ont ce triste privilège de ne respecter pas plus le caractère national qu’ils ne se respectent eux-mêmes. Ce n’est point assez pour ces cinq ou six mille coquins de transformer en brigands les hommes de coeur armés contre le 2 décembre, il leur faut encore s’en prendre au courage de leurs ennemis. Partout ils l’ont nié. On a vu comment les choses se passèrent aux Mées ; on a vu que, malgré leur mauvaise situation, les démocrates restèrent sur le terrain en face des troupes ; on a vu que, d’après le propre journal de la préfecture, le colonel jugea opportun de faire retraite : il est dès lors curieux de lire le compte rendu des vainqueurs :

« La population était dans une anxiété terrible, lorsque, dans la journée du lundi, on apprit que des troupes arrivaient au secours de Digne. Les six mille insurgés partirent aussitôt pour aller à leur rencontre. Mais la désertion ne tarda pas à se mettre dans les rangs de cette phalange de bandits et de poltrons, qui n’avaient de courage que pour piller et voler sans danger… De six mille, la colonne des insurgés fut bientôt réduite à deux mille, qui se dispersèrent au premier feu qu’ils eurent à essuyer de la troupe. C’est aux Mées qu’a eu lieu cette rencontre. On compte très-peu de morts parmi les insurgés, attendu qu’ils ont presque immédiatement pris la fuite. » (La Patrie, 15 décembre)

Quelle complète absence de tout noble sentiment ! Quelle audace d’imposture en présence des faits les plus patents ! Si l’Europe pouvait en croire les indignes Français de l’Elysée, elle se persuaderait que notre vaillante nation n’engendre plus que des peureux, fuyant comme des volées de perdreaux au moindre coup de feu. Ecoutez-les autre part : « On envoya cinq gendarmes sur la route qui conduit de Privas à Chomérac pour s’assurer de la vérité. Mais à peine cette demi-brigade eut-elle débouché dans la plaine du lac, qu’elle y fut accueillie par plus de cent coups de fusil. Les gendarmes, blessés, firent feu avec leurs carabines, et un de ces pillards ayant été abattu par une balle, tout le rassemblement, qui était, dit-on, composé de six cents bandits, prit la fuite, et se déroba tellement, en fuyant dans les champs et dans les vignes, aux recherches de la gendarmerie et de la troupe de ligne qui survint, qu’il fut impossible d’en découvrir aucun. »

Analysez cette belle aventure, et vous y voyez six cents Français tirer cent coups de fusil sur cinq gendarmes, puis se sauver devant les cinq gendarmes blessés, se sauver si fort et se cacher si bien, que l’on n’en peut découvrir aucun, pas un sur six cents !!!

Un des plus précieux spécimens de ce genre de polémique où éclate le patriotisme des écrivains bonapartistes est fourni par le Nouvelliste de Marseille du 14 décembre : « Arrivé, dit-il, à la Pomme (banlieue de Marseille), les insurgés étaient 4,500 environ. Un conseil fut tenu en présence de délégués du Var, et la division s’y introduisit. Deux des principaux chefs se prirent de querelle, et ils étaient sur le point de s’égorger dans un combat particulier, lorsque l’approche de plusieurs gendarmes, qui étaient venus en reconnaissance, fut signalée. Aussitôt l’alarme se répandit parmi les insurgés, qui, au cri de Sauve qui peut ! se partagèrent en plusieurs colonnes et se retirèrent dans diverses directions, etc. »

Or le Nouvelliste de Marseille a pris soin d’abord de nous dire que ces QUATRE MILLE CINQ CENTS Marseillais au milieu desquels la vue de plusieurs gendarmes jette le Sauve qui peut ! sont les socialistes de la ville auxquels précisément « leurs chefs venaient de distribuer des armes et des cartouches ! »

Nous ne faisons pas à ces déplorables récits l’honneur de les réfuter. Nous les recueillons seulement, pour que l’on sache comment en usent les décembristes avec l’honneur français.