HISTOIRE DES CRIMES DU 2 DÉCEMBRE

HISTOIRE DES CRIMES DU 2 DÉCEMBRE

 Victor Schoelcher

Bruxelles, chez les principaux libraires, édition considérablement augmentée, 1852

tome II

Chapitre VI : RÉSISTANCE DANS LES DÉPARTEMENTS

 § I. Clamecy

Reprenons le triste récit des vaillants et infructueux efforts de la résistance.

Paris vaincu, la France entière ne tarda pas à l’être ; mais, c’est un fait important à constater, et qui signale encore tout ce qu’a eu de criminel l’entreprise de l’Elysée, Paris n’a pas protesté seul contre cet attentat. On vit alors, ce qui était sans exemple dans nos agitations politiques, on vit les départements se soulever sans demander le mot d’ordre à la capitale. Sur mille points de la France à la fois, les bons républicains ont pris l’initiative d’une résistance armée sans savoir même ce que ferait Paris.

Mais sous quel jour odieux cette noble résistance n’a-t-elle pas été présentée ! Il ne s’agit plus même de l’anarchie, de la démagogie, du désordre; il y va de pire encore, il y va de la JACQUERIE. Nous avons lu quelque part que le mot est sorti du cerveau d’un M. Ach. Boucher, ancien compagnon de débauche de l’austère M. Morny. Il a fait fortune chez les cinq ou six mille coquins de la société du dix décembre. C’est un besoin, c’est un devoir pour nous de rétablir la vérité et de rendre hommage à la noble conduite comme au dévouement de ceux qui se sont sacrifiés pour le salut de la patrie et des lois. Nous parlerons d’abord de Clamecy, car c’est là surtout que, au dire des terroristes du 2 décembre, auraient pris place les actes les plus condamnables.

Le Journal de la Nièvre, cité par la Patrie du 15 décembre, contient un rapport dont voici les passages les plus saillants : « Le comité, qui s’intitulait comité révolutionnaire social, publia diverses proclamations, dans l’une desquelles il était décrété que tout INDIVIDU QUI PILLERAIT SERAIT IMMÉDIATEMENT MIS A MORT ; mais il était permis à chaque patriote d’exercer, comme il l’entendrait, ses vengeances particulières. Aussi y a-t-il eu plusieurs assassinats, et le procureur général disait hier, dans le discours qu’il a prononcé sur la tombe de deux gendarmes qui ont été tués; qu’il y en avait eu huit… Outre les deux gendarmes massacrés à la défense de la prison, avec des circonstances horribles, puisque les insurgés agitèrent la question de savoir s’il ne fallait pas essayer de prolonger leur existence pour jouir de leur martyre, on ne compte, jusqu’à présent, que dix personnes tuées pendant l’insurrection. »

Ainsi l’on convient, on est forcé de convenir que les pillards ont commencé par décréter que tout individu qui pillerait serait immédiatement mis à mort ; mais, ajoute-t-on, « il était permis à chaque patriote d’exercer ses vengeances particulières. » Tels sont les procédés ordinaires de nos ennemis. Lors même qu’ils se trouvent en face d’un acte irrécusable qui les confond par sa haute valeur morale, ils imaginent aussitôt quelque infamie nouvelle pour en atténuer l’effet. La prétendue permission donnée aux patriotes d’exercer leurs vengeances particulières n’est qu’un de ces mensonges dont les honnêtes gens ont le goût et la pratique. Il faut ranger les huit assassinats du procureur général dans la même catégorie. On n’aurait pas manqué de les énumérer, si on avait eu un argument semblable à produire contre la résistance.

Le fait est que la mort de M. Mulon aîné est seule le résultat d’un crime, et c’est encore mille fois trop. On l’a assassiné, disent les inventeurs de la Jacquerie, bien qu’il fût républicain, parce qu’on tirait aux habits sans s’inquiéter même de l’opinion. Rien de plus faux. M. Mulon a été tué par un fanatique qui l’a pris pour M. Beson, avoué, réactionnaire furibond, qui menaçait depuis longtemps les socialistes, et qui venait de figurer au milieu d’insurgés, dont une fusillade tirée sur le peuple avait tué un démocrate et blessé neuf autres. Loin de nous, bien loin de nous la pensée de justifier ainsi un meurtre politique qui, eût-il atteint M. Beson, n’en resterait pas moins un meurtre odieux. Nous avons voulu seulement repousser la nouvelle imagination « d’une chasse aux habits », expliquer, mais non pas excuser un assassinat. Au surplus, il est de toute fausseté que le peuple ait tiré, dans les rues de Clamecy, sur les bourgeois. Les meneurs de la réaction, dont MM. Bonaparte et Persigny sont les héritiers directs, ont trouvé de ces sortes de choses pour souffler la haine entre les riches et les pauvres, mais nous constatons qu’on n’en a jamais administré la moindre preuve. Il est certain, par exemple, qu’à Clamecy, M. Tartras, qui, depuis, a si violemment accusé les constitutionnels, devant ces tribunaux de sang qu’on appelle des conseils de guerre, circula, pendant les deux jours de la résistance, le samedi et le dimanche avec une entière. liberté au milieu de ses ennemis en armes.

Quant aux deux gendarmes « massacrés à la porte de la prison avec des circonstances horribles », ils n’ont pas même été tués ensemble, ils ont succombé séparément, à vingt-quatre heures de distance. On va voir ce qu’il advint d’eux, au milieu du récit général que nous avons à faire des événements de Clamecy.

Trois ou quatre jours avant le guet-apens présidentiel, on avait arrêté, sous l’élastique accusation de société secrète, plusieurs démocrates à Clamecy et dans les cantons environnants.

Là comme à Paris, les conspirateurs avaient certainement voulu enlever d’avance des chefs à la résistance. Cependant, à la nouvelle du crime, les démocrates se contentèrent d’abord, d’envoyer à Auxerre et à Nevers, pour connaître les dispositions de ces deux villes ; mais considérant une inaction plus prolongée comme un déshonneur, ils se portèrent le vendredi 5, à huit heures du soir, à la prison, pour demander l’élargissement des citoyens arbitrairement arrêtés. Le maire avait réuni dans la mairie, qui est contiguë à la prison, tous les fonctionnaires en armes, la compagnie de pompiers et les gendarmes. M. Tatras ordonna une décharge qui blessa neuf personnes et tua M. Meunier, instituteur, au moment où il quittait, sa maison située en face de la prison. Le peuple riposta, et un gendarme fut mortellement atteint comme on l’est dans la bataille, comme venait de l’être M. Meunier. Il est donc matériellement impossible qu’il ait été « martyrisé, lâchement assassiné. » M. Corbin, le procureur général, l’a dit, mais ce n’est pas la vérité. Peut-être est-il trop bon défenseur de la religion, pour comprendre que mentir sur une tombe c’est un sacrilège. Après la première fusillade échangée, les insurgés se retirèrent et les assaillants délivrèrent les prisonniers politiques. Il est absolument inexact qu’ils aient rendu la liberté aux hommes frappés par la justice. Mais il faut admirer l’audace et la maladresse d’une telle assertion de la part de gens qui, à Mazas, relâchaient les voleurs pour mettre, à leur place, des représentants du peuple, comme MM. Odilon Barrot, Lemaire, Goulard et autres.

C’est le lendemain, 6 décembre, vers quatre heures du soir, que l’autre gendarme a perdu la vie. Voici dans quelle circonstance :

Cinq à six cents des défenseurs de la loi vinrent pour s’emparer de la caserne de gendarmerie. Leur chef, l’honorable citoyen Guerbet, quincaillier, condamné depuis à la déportation dans une enceinte fortifiée, s’avança seul et entra en pourparlers avec l’officier, M. Lemaître, auquel il demanda la reddition des armes et des munitions de guerre. Sur les observations de l’officier, représentant qu’il y aurait du déshonneur pour sa troupe à livrer ses armes, il fut convenu qu’on ne les enlèverait pas, que l’on se bornerait à détacher les batteries des carabines et à prendre les munitions. Pendant ces pourparlers, à l’intérieur, un gendarme, nommé Bidan, qui se trouvait à la porte de la caserne, voulut désarmer un des assaillants, Jean Rollin, dit Petit, jardinier, qui le regardait d’un air provocateur. Une lutte s’engagea entre eux. Très-malheureusement, au lieu de paralyser cet acte de témérité, plusieurs de ceux qui entouraient Bidan se laissèrent emporter par la colère, et il fut atteint de cinq ou six coups de feu qui l’étendirent mort. Après quoi, un homme violent, comme il y en a partout, comme on en a vu parmi les soldats du boulevard des Italiens, eut la lâcheté de frapper son cadavre. Il a été d’ailleurs constaté, lors du procès qui a suivi, que cet homme était épileptique. Les égorgeurs de décembre l’ont condamné à mort et exécuté. Nous reviendrons sur cette affaire dans notre prochain ouvrage au chapitre du rétablissement de l’échafaud par les bonapartistes.

Tels sont les faits dans leur plus entière vérité. Nous ne prétendons pas atténuer ce qu’ils ont de honteux; mais y trouve-t-on rien qui puisse justifier cette affreuse assertion que l’on aurait voulu prolonger la vie de la victime pour jouir de ses souffrances ? Si douloureux que soient ces faits, nous voudrions que les héros du 2 décembre n’eussent rien de plus à se reprocher ! Il faut dire d’ailleurs que dans la matinée même, les assaillants avaient vu tuer trois des leurs, l’un, Coqueval, au coin de la rue Gigot, un autre au milieu d’une colonne qui passait devant la sous-préfecture, et enfin, un troisième, nommé Leclerc, tambour de la garde nationale dissoute, qui battait le rappel. Nous ne nous pardonnerions pas de présenter ces assassinats comme une justification, nous entendons seulement fournir au juge suprême tous les éléments propres à former son opinion.

Le Journal de Maine-et-Loire, fidèle au mot d’ordre, a inséré une lettre où l’on peut lire le passage suivant : « Tout ce que votre correspondant vous a dit sur Clamecy est au-dessous de la vérité. Il en a recueilli les détails de la bouche même de l’un des principaux fonctionnaires de cette malheureuse ville, dont la caisse a été volée, la maison pillée et la femme et la fille, charmante personne de dix-sept ans, livrées aux outrages les plus exécrables ! »

Exécrables mensonges !

Le fonctionnaire public dont il est question est certainement M. Daublet, receveur particulier. Il n’a pas pu tenir le langage qu’on lui prête. Notre livre tombera entre ses mains : il ne contestera pas un mot de ce que nous allons écrire, et la vérité que nous produisons restera la vérité pour tout le monde.

Dès que le soulèvement du 5 se fut prononcé, les constitutionnels demandèrent M. Rousseau, en qui ils avaient grande confiance. M. Rousseau, avoué à Clamecy, allié par son mariage à l’une des familles les plus considérables du pays, était alors président de la chambre des avoués et de plus officier de la garde nationale constamment réélu depuis quatorze ans. Ce forcené démagogue, prévenu la veille qu’on voulait l’arrêter préventivement, avait été s’abriter à trois lieues de la ville. Aussitôt que les patriotes réclamèrent sa présence, Madame Rousseau, jeune femme pleine d’énergie et de courage, le fit chercher. Deux heures après il était à Clamecy, et, d’accord avec la nouvelle municipalité que l’on avait installée à l’hôtel de ville abandonné par les insurgés, il fit sonner le tocsin. À l’appel du tocsin, trois ou quatre mille hommes des différentes communes environnantes, et quelques-uns du département de l’Yonne, arrivèrent à Clamecy. Loin de se livrer à aucune orgie, comme on l’a prétendu, tout ce monde ne mangea que du pain, mais encore fallait-il le payer. C’est aux caisses publiques que l’on demanda naturellement de quoi nourrir les défenseurs de l’ordre public.

En conséquence, le 6, à deux heures, trente ou quarante personnes, le citoyen Eugène Millelot en tête, se rendirent chez le receveur particulier pour avoir de l’argent. Trois seulement entrèrent et le sommèrent de donner 20,000 fr.

M. Daublet fut si peu violenté matériellement qu’il discuta, et finit par offrir 5,000 francs, déclarant d’ailleurs qu’il exigeait un reçu, afin de sauver sa responsabilité. On hésita, car on comprenait bien que si la résistance était vaincue, celui qui signerait serait perdu. M. Doublet persista, et M. Eugène Millelot se décida, par un généreux dévouement, à le satisfaire[1]. Le percepteur alors chargea sa femme d’aller prendre l’argent, qu’elle apporta peu de minutes après.

Voilà le seul rôle qu’ait eu madame Daublet dans cette affaire.

Les 5,000 francs déposés par M. Millelot à la municipalité furent remis, quand il dut quitter son poste, à MM. Quenouille et Bretagne, sauf 250 francs employés à acheter des vivres. Le dimanche suivant, M. Quenouille confia à M. Cornu, banquier, les 4,750 francs restants, qui furent réintégrés dans la caisse publique.

La maison de M. Daublet n’a donc point été pillée ; on n’y a donc commis aucun excès. Trois personnes seulement, nous le répétons, y entrèrent. Tel est le fait que les preneurs aux 25 millions de la banque de France ont transformé en acte de brigandage ! C’est un acte purement révolutionnaire, et il n’est pas un homme honnête qui puisse y voir rien de déshonorant. Nous déclarons, pour notre compte, l’approuver complètement.

Quant à la femme de M. Daublet et à sa belle-soeur (non point sa fille), elles n’ont subi aucune espèce d’outrage; la jeune fille même n’a point paru.

On a dit également que, le 6 au matin, lors de la prise de la sous-préfecture, la femme du sous-préfet avait été soumise aux dernières violences. Le sous-préfet était célibataire ! Enfin le président du tribunal de première instance qui est, à ce qu’il parait, un véritable honnête gens, prétend aussi que sa cuisinière aurait été victime d’abominables attaques quand on pénétra chez lui pour y chercher ses armes ; la cuisinière elle-même lui donne tous les jours un démenti formel. Nous avons pour garantie l’affirmation de M. Rousseau.

Dans cet ordre d’idées, nos ennemis ne pouvaient manquer de prétendre que les femmes avaient été fort maltraitées à Clamecy. Il est heureusement facile de prouver le contraire. Beaucoup de dames de la ville s’étaient retirées à l’hospice, sous la protection morale de la souffrance et des soeurs de Charité. Les amis de la loi y vinrent plusieurs fois porter des blessés, et se conduisirent toujours avec tant d’égards que, depuis, les soeurs, par une sorte de reconnaissance, portèrent des vivres à tous ceux que les insurgés victorieux laissaient mourir de faim en prison.

Il y a un fait vrai, et, sans lui donner plus de portée qu’il ne convient, les accusations lancées contre les républicains nous autorisent à le mettre en évidence. Le jour même de l’entrée à Clamecy du général Pellion avec 2,000 baïonnettes, un soldat (la troupe se croyait tout permis) se rua sur une femme du peuple, dont le mari avait précisément été arrêté le matin. Déjà ulcérée de ce malheur, elle fut plus indignée encore des tentatives commises sur sa personne par un militaire, et le frappa d’une paire de ciseaux très-affilés qu’elle tenait. Le coup fut malheureusement mortel. Le lendemain le général Pellion fit une proclamation foudroyante, disant que les briganda voulaient massacrer ses braves soldats !

Citons à cette heure un trait de ces jacques qui ont plus particulièrement exercé leurs ravages à Clamecy. Le samedi matin, lorsqu’ils étaient encore complètement maîtres de la ville, un ouvrier, qu’à ses vêtements on pouvait juger très-pauvre, apporta à M. Bretagne, tailleur, une montre et une chaîne d’argent qu’il venait de trouver. M. Bretagne n’ayant pas jugé à propos de s’en rendre dépositaire, l’ouvrier alla la remettre à M. Quenouille, négociant en vins, bien connu. Cela dit, nous ajouterons une seule chose c’est que les élyséens, tout en parlant beaucoup des brigandages des jacques à Clamecy, n’ont jamais articulé un seul fait précis, pas un seul.

Le peuple de la Nièvre, tant calomnié par des vainqueurs qui espèrent ainsi pallier leurs forfaits, s’est constamment comporté avec une remarquable modération. Nous sommes à même d’en fournir un témoignage frappant. Le samedi 6, le comité acquit, en saisissant les dépêches, une nouvelle certitude que la capitale était complètement soumise ; il savait, d’un autre côté, que Nevers et Auxerre n’avaient pas bougé ; il jugea toute résistance impossible dans une ville ouverte, et déclara, sur les barricades, qu’il n’y avait plus qu’à se retirer, chacun comme il lui serait possible. Cette triste communication fut accueillie avec défiance et murmure. On cria comme toujours à la trahison, et la moitié du peuple persista à vouloir garder les barricades. Quelques membres du comité, entre autres M. Rousseau, n’en crurent pas moins devoir s’éloigner. Les hommes des barricades, ne voyant plus M. Rousseau, allèrent jusqu’à trois reprises le demander chez lui. Ils pouvaient concevoir un grand ressentiment de son départ. C’eût été juste, mais les vaincus sont rarement justes. Eh bien ! malgré cette situation des esprits, dans leurs trois visites successives, ils furent toujours pleins de respect et de déférence à l’égard de madame Rousseau, qui était restée, et ne prononcèrent pas une parole, directement ou indirectement, blessante pour elle. C’est de la propre bouche de madame et de M. Rousseau que nous tenons cette particularité significative.

Nous avons dit la vérité, toute la vérité, sur Clamecy, même ce qui était à notre désavantage. Que l’on juge, après cela, le correspondant de la Patrie, achevant ainsi sa lettre :

« Voilà comment se sont passés les événements de Clamecy. Je n’ai pas le courage de vous parler des assassinats et des crimes horribles qui se sont commis ; il me faudrait employer toute la nuit pour vous faire un récit complet des abominables atrocités dont la ville a été le théâtre. J’ai assisté aux deux révolutions à Paris, en 1830 et 1848, mais je n’ai rien vu qui approchât de l’horrible tableau qui vient de se dérouler devant moi. »

Les dignes amis de MM. Fialin et Bonaparte, quand ils cherchent un terme de comparaison « à d’abominables atrocités », le prennent dans les révolutions de 1830 et 1848 ! Ils oublient que leurs maîtres ont salué 1830 et 1848 comme des ères de régénération.

Nous avons consciencieusement avoué ce qu’on pouvait reprocher aux défenseurs de la loi dans la mort du gendarme Bidan et de M. Mulon ; mais s’il était jamais permis de justifier le mal par le mal, que n’aurions-nous pas à dire des insurgés ! Le 9, vers le milieu du jour, le préfet de la Nièvre, M. Petit Delafosse, se présente devant Clamecy avec deux cents soldats, en attendant le général Pellion, qui devait arriver le lendemain suivi de deux mille hommes de troupe. Au pont de Baugy, il s’empare de quatre imprudents qui avaient voulu aller en reconnaissance ; il en fait massacrer trois, le quatrième parvint à s’échapper. Un peu plus loin, à l’entrée du bois de la Poustaillerie, on tua également un pauvre ouvrier menuisier, chargé de ses outils, qui allait travailler au château de Quincy. M. Corbin, le procureur général, accompagnait M. Petit-Delafosse ; il a été témoin de ces assassinats, il les a sanctionnés par sa présence, et il ose accuser les socialistes dans ses discours funèbres !

Le préfet campa aux Chaumes, en attendant le général Pellion. Comme nous l’avons expliqué, une grande partie des patriotes avaient déjà évacué Clamecy, mais un noyau de citoyens résolus à une défense désespérée se tenaient derrière une barricade formidable élevée à l’entrée de la ville. Les chefs jugèrent cependant que persister à soutenir la lutte n’était plus que répandre du sang en pure perte.. Paris était bien décidément vaincu ; Auxerre n’avait pas fait un mouvement ; le préfet venait de traverser le département avec deux cents hommes ; une victoire même sur les deux mille soldats du général Pellion attendu ne servirait à rien. Les membres restants du comité firent comprendre aux plus vaillants qu’il fallait céder, et envoyèrent au préfet cinq parlementaires : M. Tartras, l’ancien maire ; M. Moreau, avocat ; M. Quenouille, négociant en vins ; M. Bretagne, tailleur et juge au tribunal de commerce ; le nom du cinquième nous échappe. Ces messieurs étaient chargés de dire que l’on se rendrait si le préfet voulait s’engager à n’exercer aucune poursuite. M. Delafosse, qui connaissait M. Bretagne pour un républicain, le fit arrêter, malgré les instances de M. Tartras, et laissa aller les autres en disant qu’il voulait la ville à merci. Les hommes de la barricade se décidèrent alors à s’éloigner. M. Moreau va annoncer leur détermination, le préfet s’irrite de le revoir, et le déclare son prisonnier.

Chez les sauvages même on respecte les parlementaires, mais les décembriseurs ne respectent quoi que ce soit au monde.

On sait que Clamecy et la Nièvre, livrés aux conseils de guerre, ont été ravagés par la proscription et les condamnations à mort.

 

                        



[1] Les craintes que l’on pouvait avoir se sont trop bien justifiées ; l’honorable M. Millelot a été condamné à mort par des juges militaires, à la suite d’un procès où il a montré le plus intrépide courage et, ce que nous prisons bien davantage, le plus noble caractère.