HISTOIRE DES CRIMES DU 2 DÉCEMBRE

HISTOIRE DES CRIMES DU 2 DÉCEMBRE

 

 Victor Schoelcher

 

Bruxelles, chez les principaux libraires, édition considérablement augmentée, 1852

tome II

Chapitre XI : CE QUE SONT LES CONSPIRATEURS DU 2 DÉCEMBRE

 

§ III.

Voilà les hommes du coup-d’état, voilà les hommes qui insultent tous les jours les républicains, voilà les hommes à qui la France permet de serrer chaque jour un peu plus la camisole de force dans laquelle elle a volontairement mis les bras le 21 décembre ! On cherche parmi eux un caractère honorable, et on ne le trouve pas. L’indignation qu’excite leur élévation présente augmente à considérer leur avilissement passé. Il n’est que trop vrai, tous ces faiseurs d’objurgations contre le socialisme ont une réputation d’immoralité notoire ; tous ces grands amis de la famille sont fameux par leurs exploits de lupanar ; tous ces vertueux prôneurs de religion ont révolté les gens de bien par la publicité de leurs déportements ; tous ces preux défenseurs des droits éternels de la propriété sont des chevaliers d’industrie criblés de dettes ou mal enrichis ; tous ces nobles soutiens de la civilisation sont des intrigants de bas étage. Gens de mauvaise vie, issus de mauvais endroits, tarés, corrompus jusqu’aux os, leur vie privée n’est qu’un long tissu de sales actions, et leur vie publique refléta toujours leur vie privée. Ceux d’entre eux qui écrivent, laquais de tous les régimes, ont servi tous les heureux. Depuis vingt ans, il n’est pas de ministre qu’ils n’aient adulé ou conspué tour-à-tour, selon la bonne ou mauvaise fortune. Les royalistes les avaient eus jusqu’ici dans leur bagage, et c’est pour avoir appris le tarif de leurs consciences que le Bulletin français dit à leur maître : « Vous nous ferez jeter au hasard, par vos insulteurs, l’injure et la calomnie ; nous avons fait voeu, nous, d’ignorer les subalternes et de ne compter qu’avec le maître. Nous savons bien la minute où nous lui prendrions ces gens-là comme il nous les a pris, si, Dieu merci, nous n’en avions assez. »

 

Les modèles d’élégance, de bon goût, de probité et de pureté, qui étaient en si grand nombre dans le parti de l’ordre, ont parlé quelquefois avec beaucoup d’agrément du gouvernement de la canaille. Le 2 décembre l’a intronisé.

 

Que le lecteur de sang-froid ne soit donc pas choqué de quelques-unes de nos expressions, s’il nous en est échappé de trop vives : elles nous sont, pour ainsi dire, imposées par la nature de ceux que nous avons à juger.

 

Quels hommes, en effet ! Avec quelle avidité, portant au pouvoir leurs habitudes de rapine, ils ont plongé leurs bras jusqu’aux coudes dans les coffres du trésor public ! Ils commencèrent par s’emparer des vingt-cinq millions que la banque de France restait devoir à l’État sur le dernier emprunt. Ils le nient ; ils se sont fait donner un certificat par M. d’Argout, directeur de la banque. Mais personne ne les croit ni les uns ni les autres. Tout le monde sait que M. d’Argout s’est contenté d’un manteau de sénateur pour prix de sa complicité. Il a des régals peu chers, dirait Alceste. — L’histoire saura un jour s’il est vrai, comme le bruit en court dans quelques cercles politiques, que l’Autriche et la Russie, complices du crime, aient garanti par l’intermédiaire de M. Rothschild les vingt-cinq millions à la Banque de France, si le guet-apens ne réussissait pas.

 

C’est une chose authentique, indéniable que chaque soldat de la brigade du quartier de l’Elysée a reçu dix francs le 2 décembre et les jours suivants, jusqu’au 7 ! Comment, s’ils n’avaient pas dévalisé la banque, MM. Persigny et Bonaparte, ruinés, à bout de ressources, auraient-ils pu, les deux ou trois premiers jours, fournir cette déshonorante haute paye ? Avec quel argent auraient-ils pu offrir aux prétoriens des charretées de volailles rôties et des pipes d’eau-de-vie ? Où se seraient-ils procuré de quoi gagner les généraux qui leur ont livré les troupes, et les commissaires de police qui ont fait les arrestations nocturnes du premier jour ? Où auraient-ils puisé les fonds nécessaires à l’entretien de leur nouveau journal le Puplic, qu’ils faisaient vendre dans les rues de Paris à cinq centimes et qu’ils envoyaient gratis à tous les fonctionnaires indistinctement, depuis le maire de chaque village, les chefs de gendarmerie et les juges de paix, jusqu’aux préfets et commandants d’état de siège ? Qui ne reconnaît dans toutes ces prodigalités le caractère propre aux gaspillages des voleurs qui viennent de faire un coup ? A peine installés au pouvoir, la première chose dont ils s’occupèrent fut de se donner des gages fabuleux : celui-ci quatre-vingt mille francs, celui-là cent mille francs, cet autre cent vingt mille francs ; le chef de la bande, douze millions, etc. Il faut voir comme ils emploient cet argent ! Les bons dîners, les soupers fins, les fêtes, les banquets, les bals de jour et de nuit se succèdent comme dans les cavernes après une heureuse expédition. Le bonapartiste est en général très-gourmand. Ces messieurs se traitent aux dépens de la France épuisée, décimée, transportée, à laquelle ils disent jovialement, entre deux vins : C’est pour faire aller le commerce. Un auteur que nous ne connaissons pas a peint ce désolant tableau en traits si remplis de vérité et d’éloquence, que nous ne résistons pas à le citer : « Tandis que tout est galas chez M. Berger, chez M. Billault, chez M. Magnan, chez M. Saint-Arnaud, chez M. de Maupas, à l’Elysée, au Tuileries, à l’hôtel de ville, au Luxembourg ; tandis que toute cette cohue brodée ne fait que boire, manger, danser et se vautrer en toutes sortes de sensuelles voluptés ; tandis qu’on occupe les imaginations oisives, par le récit de ces monstrueux repas, qu’on enregistre au Moniteur comme un bulletin de victoire le nombre des bouteilles vidées ou brisées dans une seule nuit, combien de pâtés, de jambons, de chapons truffés ont été engloutis à la table de monseigneur, tournez les yeux vers les familles que monseigneur a décapitées, démembrées, ruinées et affamées ; écoutez les sanglots qui partent de ces chaumières ! Tout le nouveau régime vit dans ce contraste. Ici des affranchis et des prétoriens dans l’ivresse ; là des opprimés dans les larmes. Et puis ? Et puis plus rien ! pas un mouvement, pas un bruit, pas un soufle.[1] »

 

Les meneurs vont continuer la parodie ; on attend l’empire à peu près à la manière d’un bouquet de feu d’artifice, et la France regarde tranquillement comme si ce n’était pas d’elle-même qu’on disposât. Elle laisse jouer en ce moment une comédie d’une impudence rare ou on lui donne un rôle vraiment singulier. Le somnolent empereur de M. Persigny est envoyé dans l’Est, le peuple crie : vive le Président ! Vive Napoléon ! Les transparents et les arcs de triomphe ne portent pas d’autres marques de son enthousiasme, les préfets et les maires ne disent que monseigneur ou prince, les dépêches télégraphiques ne parlent que du prince et de monseigneur. Monseigneur le prince repart pour le Midi. A Bourges, à Nevers, c’est encore le cri de Vive Napoléon qui se fait entendre ; mais ici le peuple change tout à coup d’avis, il crie Vive l’Empereur ! Préfets et maires changent aussi tout à coup de langage ; ils ne disent plus prince et monseigneur, ils disent Son Altesse. Les dépêches officielles se modifient de même et ne parlent plus que de Son Altesse. On va ainsi jusqu’à Lyon, jusqu’à Saint-Étienne. Là le peuple, qui, la veille, nommait M. Sain et M. Favre membres du corps municipal et encore plus dynastique, commence à crier : Vive Napoléon II ! et l’allégresse des transparents devient du Napoléon II. Le correspondant de l’Indépendance belge, qui aime M. Persigny et qui le lui montre parfois à coups de pavé, écrit finalement : On sent que M. Persigny a passé par là. A Grenoble, le peuple, devenu tout à fait dynastique, crie : Vive Napoléon III [2]; les harangueurs et les dépêches officielles ajoutent Impériale à son Altesse[3], et depuis il n’est plus question, soit sur le chemin du triomphateur, soit dans les dépêches télégraphiques ou les journaux bien pensants, que de Napoléon III et de Son Altesse Impériale ! La France entière veut Napoléon III. C’est incontestable.

 

N’est-ce pas chose admirable de voir comme le peuple varie d’opinions et le Moniteur de formules, à mesure que le chef de l’état avance dans son voyage ? Pour dire vrai, il nous paraît un peu étrange, quelle que soit la soudaineté des impressions de la nation française, qu’elle ait des revirements si subits. Il nous semble impossible que le peuple, après n’avoir crié que Vive Napoléon ! Vive le Président ! sans un seul cri de Vive l’Empereur pendant tout le voyage de l’Est, se mette à ne plus crier, deux mois après, que Vive l’Empereur ! sans un seul cri de Vire le Président. Ce mouvement est trop abrupt et l’on n’y trouve pas les nuances graduées que les décorateurs habiles et de bon goût savent apporter aux mises en scène. Le Moniteur, dans un article de fond, dit bien : « Nous voudrions que toute l’Europe fût témoin de cette extraordinaire transformation du sentiment public ! » Mais cette seule ligne ne sauve pas suffisamment la brusquerie de la transition. Il y a des gens qui se sont avisés de dire que le cri de Vive Napoléon III était un cri séditieux sous la République. En prison, ces gens-là ! ce sont des anarchistes. On nous permettra donc, quand l’Empire sera fait, de continuer à crier : Vive la République ? Non pas, car alors la voix du peuple ne serait plus la voix de Dieu. A la bonne heure. Quand on se mêle de restaurer le suffrage universel, voilà comme il faut s’y prendre.

 

En même temps abondent les pétitions pour l’Empire, on en fabrique de tous côtés. Il nous est arrivé un renseignement curieux sur un des procédés employés à cet effet par les agents de l’association le Neveu de l’Empereur et Cie. M. Dulimbert, l’ancien préfet des Basses-Pyrénées, nommé préfet du Gard en récompense de sa campagne d’Estagel, a envoyé à tous les maires de son département un modèle de pétition à adresser à Son Altesse, pour la supplier d’achever de sauver la France en se couronnant. M. Dulimbert, dans la lettre qui contient sa pétition, enjoint au maire de la faire signer par tout le conseil municipal et de s’arranger ensuite de façon à avoir l’adhésion de tous ses administrés. Il daigne ordonner ensuite de renvoyer la lettre d’instruction avec la pétition signée ; moyen ingénu de faire disparaître la preuve de cet honnête tour de gobelets élyséen. Nous mettons M. Dulimbert au défi de nier la vérité de ce que nous venons de dire.

 

C’est ainsi que beaucoup de monde, dans les campagnes, demande l’Empire. Jamais aucun gouvernement ne fut aussi rempli d’impuretés que celui-là ; tout y est factice, tout y est compression, et l’on ne peut s’étonner que d’une chose, c’est qu’il se soit trouvé en France assez d’hommes corrompus et vils pour jouer un rôle dans cette sanglante comédie ; c’est que la peur des baïonnettes inintelligentes donne à un tel échafaudage de fraude et de mensonge une apparence de vie régulière.

Au retour des excursions impérialistes du Midi, les sénateurs statueront sur la demande du peuple tout entier, et la farce sera jouée.

 

Il sera constaté que le noble fils de l’amiral hollandais a menti une fois de plus en disant, le 29 mai, dans la séance d’ouverture du parlement des muets : « Conservons LA REPUBLIQUE. » Mais qu’importe ? Les soldats acclament, les officiers montent à cheval derrière les voitures du Président-Obus et les prélats vénérables entonnent l’hymne d’allégresse, mêlant le nom de Dieu à celui de son lieutenant dissolu, parjure, menteur et meurtrier. Gloire à Lacenaire, empereur des Français ! Ils se sont partagé les rôles. L’un est César ; les autres acceptent le second rang. Ils lui ont donné une maison militaire, une maison civile. Certains officiers, des généraux, des colonels, des capitaines, âmes de valets, ont déjà pris leur place à l’antichambre, sous le nom d’aides de camp. Les flatteurs de l’Opéra et de Notre-Dame couronnent son chiffre, et la cohue des brodés, comme on vient de le voir, lui dit : Altesse Impériale.

 

Que de variantes il a subies avant de gagner ce précieux et beau titre d’Altesse ! Lorsqu’il rentre en France, il est tout simplement M. Bonaparte ; président, il se fait appeler Prince par ses domestiques ; dictateur, il se fait donner du Monseigneur par ses ministres ; voyageur, ses préfets hasardent d’abord, près de Nevers Son Altesse, et à Grenoble il est Altesse Impériale ! Tout cela est petit, piteux, misérable, sans hardiesse. Le géant abattu a beau se laisser faire ; les mirmidons tremblent encore en le chargeant des chaînes aristocratiques.

Les titres reviennent à la suite avec la même timidité ; les fils des croisés qui en avaient les reprennent peu à peu ; ceux qui n’en ont pas s’en donnent ; la chose s’opère assez honteusement ; on n’ose pas encore mettre au Moniteur les lettres de noblesse délivrées par le fuyard de Boulogne et de Strasbourg ; mais de temps en temps, on voit tout à coup dans les journaux amis de l’ordre apparaître quelque nom de ces messieurs tout étonné de son héraldique illustration. Il parait que M. Fialin a eu la modestie de ne se faire que comte ; va pour M. le comte de Persigny ! On a beaucoup ri en France des ducs de Marmelade et des barons de Limonade fabriqués par M. Soulouque. Les Haïtiens vont avoir, à leur tour, la comédie du marquis Le Boeuf, du prince Véron, du duc Cassagnac, de Sa Majesté Verhuel ! Au fond, tout cela n’est pas plaisant. M. Charles Verhuel fait payer cher à la France les moqueries qu’elle prodigua à S. M. Faustin 1er, empereur d’Haïti. Soulouque, devinant le 2 décembre, avait d’avance bonapartisé la République noire ; le neveu du 18 brumaire, par courtoisie de monstre à monstre, se charge de soulouquer la République blanche.

 

Quand il sera empereur, il lui faudra des armoiries toutes fraîches. L’opinion publique de la France et de l’Europe se chargera de les lui dessiner. Elle y mettra sur un champ de gueules couleur de sang, une pince monseigneur (puisque monseigneur il y a), un verre à vin de champagne, une baïonnette posée sur une guillotine, un masque, la bourse de Judas et un oeil de mouchard[4]. Voilà les armes parlantes de M. Bonaparte second. Le gouvernement de cet homme est ignominieux, il n’en est pas que les lois de l’honneur et de la morale réprouvent plus énergiquement. C’est plus que l’Empire, plus que la Restauration ; c’est l’Empire et la Restauration tout ensemble ; un sabre surmonté d’un éteignoir ! L’armée voit ce qu’elle a fait en portant sur le pavois ces terroristes bigots qui vont à la messe et fusillent, qui observent le repos du dimanche et pratiquent la confiscation !

 

La France se sera donc laissé donner à MM. Persigny, Bonaparte, Morny, Maupas, Saint-Arnaud, Magnan, Vieyra, Romieu ! etc., etc. Dire que de pareils hommes gouvernent ! Vivrions-nous cent ans, ce serait pour nous, jusqu’au dernier jour, un sujet de stupéfaction que de voir la France inclinée devant eux. Notre sang afflue dans nos veines ; il monte en bouillonnant jusqu’à notre front qu’il rougit de honte, lorsque nous pensons que de pareils gredins, comme dirait Molière, tiennent leur pied plat sur notre patrie. Nous voudrions avoir le génie de la malédiction, pour venger la République traînée dans la boue et dans le sang par cette association de mécréants, de viveurs, de condottieri, d’escrocs et de repris de justice, réunis sous la raison sociale le Neveu de l’Empereur et compagnie. Quelque peu que dure encore leur règne, ce sera toujours une tache pour notre histoire qu’il ait duré six mois. Nous sommes pris d’une amertume profonde, en voyant la municipalité de Strasbourg offrir les clefs de la ville à celui d’entre ces rufians qui porte un nom, homme sans valeur ni prestige que ce nom, sans passé que deux énormes sottises, sans présent que des trahisons et des tueries, et ne promettant pour l’avenir que le despotisme grossier d’un vicieux parvenu. Nous sommes saisi de désolation, quand nous apprenons que, malgré l’abstention de la grande majorité des électeurs de conseils généraux, il s’en est encore trouvé assez pour donner même la simple majorité à des Magnan, des Saint-Arnaud, des Maupas, des Morny, des hommes qui ont mis leurs noms au bas de l’égorgement des citoyens inoffensifs et du massacre des prisonniers. Y aura-t-il donc toujours des faibles pour saluer le succès, fût-il obtenu par le meurtre, le parjure, la bassesse et le crime ? Quand nous entendons une fraction de la France proclamer sauveurs les conjurés de décembre, il nous semble entendre une victime féliciter d’autant plus son assassin, qu’il a été plus lâche et plus impitoyable en la frappant. Nous concevrions notre pays vaincu, conquis, écrasé par l’armée de quatre cent mille baïonnettes qui a terrassé partout ceux qui se sont levés pour l’honneur et la liberté, mais nous ne le concevons pas acclamant le joug de M.Persigny !

 

Il n’est pas jusqu’aux conquérants qui ne parlent de la dignité du pays compromise. Le Constitutionnel du 25 septembre disait : « Des orgueils souffrants, des importances oubliées accusent avec amertume notre société d’abaissement, d’oubli de ses droits et presque de servilité. » A cela le Constitutionnel se borne à répondre : « Mais vous qui le prenez si haut avec une nation, les avez-vous toujours protégés, toujours respectés ces droits ? » Belle défaite. Mais on le voit, les barbares constatent eux-mêmes que sous leur domination on accuse la malheureuse France d’ABAISSEMENT et de SERVILITE.

 

A voir la vieille Gaule subir tant d’humiliation, nous sentons parfois d’ardentes colères. Nous éprouvons quelque chose comme si notre honneur personnel était atteint sans qu’il nous fût permis de le laver, comme si une femme que nous aurions au bras était outragée sans que nous puissions châtier l’offenseur. Ah ! certes, l’exil a des souffrances dont le proscrit seul peut avoir l’idée : chaque jour on appelle avec amertume mille choses aimées qu’on ne croyait pas aussi précieuses qu’elles le sont ; mais en voyant le pays aux mains de ces malfaiteurs, les regrets de l’absence semblent s’amortir. Penser que dans cette noble contrée chacun se tait sous l’impression de la terreur, penser que l’on y fait une vertu de la peur, en disant que l’on ne veut pas compromettre ses amis, cela ne navre pas seulement le coeur, cela confond la raison. On ne s’explique pas comment un peuple si généreux est devenu tout à coup si facile à l’asservissement. Quand nous considérons avec quelle aisance plusieurs parmi les ouvriers et les cultivateurs se façonnent à ce nouveau régime impérial, plus abject encore que le premier, nous voudrions ne plus rien lire, afin d’ignorer tant de honte et d’avilissement. Mais où trouver le courage de l’abstention et de l’oubli ? Si abaissée que soit la patrie, on y revient toujours, comme le naufragé vers les plus funestes rivages, avec l’espoir éternel de la délivrance !

Cependant que l’on ne se trompe pas sur l’expression de nos regrets ; la débilité de quelques hommes peut nous arracher par moments un cri de douleur, mais notre âme n’est point découragée. La France, nous le savons, ne saurait se manquer à elle-même, et nous attendons avec pleine confiance l’explosion de la vertu nationale qui se contient.

 

Peuple, rappelle-toi le mot célèbre de notre grande révolution : « Quand le droit est violé, l’insurrection est le plus saint des devoirs. » Rappelle-toi ce que Lafayette disait du héros de juillet dans la séance du 27 octobre 1831 : « Ils sont disciples de la doctrine proclamée en France en 89 sur le droit et le devoir sacré de résistance à l’oppression. » Peuple français, songe à ton devoir !

 

 

Nous serons reconnaissant à tous ceux de nos amis politiques qui découvriraient des erreurs dans notre livre de vouloir bien nous les signaler. Nous recevrons de même avec un vif plaisir toute communication sur les faits de résistance des patriotes et sur les crimes des décembriseurs que nous n’aurions pas connus. Il y a, sous ce dernier rapport, un travail que nous nous permettons de conseiller à nos amis comme très-utile et très-important. Ce serait, dans chaque département, de lire la collection du Journal élyséen pendant les mois de décembre, janvier et février : on trouvera là une mine de documents pour compléter devant l’histoire l’acte d’accusation du 2 décembre ; ce sont les propres aveux des insurgés eux-mêmes sur les violences, les iniquités et les barbaries sauvages qu’ils ont commises.

 

Nous venons d’exposer par quels crimes les insurgés du 2 décembre ont conquis la puissance. Pour achever notre pénible tâche, il nous reste à dire quel horrible usage ils ont fait du pouvoir. Ce sera l’objet d’un second ouvrage intitulé :

 

LE GOUVERNEMENT DU 2 DÉCEMBRE.

 

 

Le manuscrit de ce nouveau livre est prêt ; rien au monde ne pourra en empêcher la publication ; nous prenons l’engagement de le mettre au jour avant six semaines ou deux mois.

 

En voici le contenu :

 

 

CHAP. 1ER ARRESTATIONS EN MASSE.

 

II TRANSPORTATIONS, PONTONS.

 

III. RETABLISSEMENT DE LA PEINE DE MORT PAR LES MODÉRÉS.

 

IV. L’ASSASSINAT ORGANISÉ PAR LES SAUVEURS DE LA CIVILISATION.

 

V. L’ARMÉE.

 

VI. L’AUTORITÉ SOUS LES RESTAURATEURS DE L’EMPIRE DES LOIS.

 

VII. LA RELIGION SOUS LES AMIS DE L’ORDRE.

 

VIII. LA FAMILLE SOUS LES ENNEMIS DU SOCIALISME.

 

IX. LA PROPRIÉTÉ SOUS LES DÉFENSEURS DE LA PROPRIÉTÉ.

 

X. LE VOTE DU 20 DÉCEMBRE ET LE SUFFRAGE UNISERSEL.

 

XI. LA CONSTITUTION DE 1852.

 

            XII. LE RÉGIME DU 2 DÉCEMBRE NE PEUT DURER.

 


[1] La voix mystérieuse, Londres, 1852. [Certainement : Callet Pierre Auguste, La voix mystérieuse, les proscrits, le scrutin du 20 décembre, la constitution de 1852, les conseillers de M. Bonaparte, Londres, Jeffs, 1852, in 32.] (NDE)

 

[2] « Les cris de Vive Napoléon ! remplissent les airs, etc. » Le Pays, 16 septembre, Bourges.

 

« Partout ce n’est que bannières portant quelques-unes les mots : vive Napoléon ! mais dont la plupart allaient plus franchement au but par cette devise : Vive l’Empereur ! » Le Constitutionnel, 18 septembre, Nevers.

 

« De Grenoble à Valence tous les arcs de triomphe avaient cette inscription : Vive Napoléon III ! Ce cri se mêlait, à Valence, a celui de Vive l’Empereur ! » (dépêche télégraphique, Valence, 21 septembre.)

 

« S.A. part pour Montpellier ; elle a été saluée sur son passage, de la préfecture à la gare du chemin de fer, par les plus vives acclamations et aux cris de : Vive l’Empereur ! Vive Napoléon III ! » (dépêche télégraphique, Nîmes, 1er octobre.)

 

[3] « Hier à la cathédrale, en réponse à Monseigneur l’évêque de Nevers, le prince président a dit… » (Dépêche télégraphique, Nevers, 16 septembre.)

 

« Les rues que doit traverser le prince sont décorées et pavoisées. Tout présage une journée magnifique. Son Altesse jouit d’une santé parfaite. » (Dépêche télégraphique, Lyon, 23 septembre)

 

« La réception qui a été faite au prince, à Avignon, ne laisse rien à désirer ; elle a été admirable en tout point. Je viens de quitter Son Altesse Impériale en très-bonne santé à la limite de mon département. » (dépêche télégraphique, Avignon, 25 septembre.)

 

[4] A l’imitation de l’assassin du duc d’Enghien, l’assassin du capitaine Puygellier a créé un ministère de la police. C’est assez dire quel rôle ont repris les mouchards dans l’administration ; ils sont tout joyeux et glorieux, les voilà du gouvernement ! Aussi le marbre ne suffit pas à la rue de Jérusalem pour exprimer son admiration ; elle a voté un buste en bronze sur lequel on écrira : À Louis-Napoléon Bonaparte, les espions reconnaissants