HISTOIRE DES CRIMES DU 2 DÉCEMBRE

HISTOIRE DES CRIMES DU 2 DÉCEMBRE

 

 Victor Schoelcher

 

Bruxelles, chez les principaux libraires, édition considérablement augmentée, 1852

tome II

Chapitre X : PRÉTENDUE CONSPIRATION DE L’ASSEMBLÉE CONTRE LE PRÉSIDENT.

Ainsi les décembriseurs ont violé la Constitution et dissous l’Assemblée législative ; ils ont mis Paris et trente-trois départements en état de siége ; ils ont traité la capitale du monde civilisé comme une place de guerre prise d’assaut ; ils y ont battu les maisons en brèche à coups de canon ; ils ont tiré sans sommation sur des groupes inoffensifs ; ils ont lardé, comme ils disent, et fusillé des femmes ; ils ont fouetté de jeunes hommes ! En province, ils ont de même étouffé la résistance dans les flots de sang. Ils ont publié et appliqué des décrets et des arrêtés qui resteront comme des monuments de barbarie. Ils ont emprisonné, exilé, déporté les plus illustres généraux de l’armée avec l’élite de la nation ; ils ont exercé contre une classe de citoyens des persécutions dont il n’est pas d’exemple depuis la révocation de l’édit de Nantes ; ils ont violé enfin toutes les lois divines et humaines !

 

Quel amas de forfaits !

 

Et pour les expliquer, que disent-ils ? Il convient de l’examiner.

 

Il y a dans la nature humaine une telle répugnance pour le mal, que les méchants s’avouent rarement coupables au tribunal de leur propre conscience, à plus forte raison devant les hommes. Au moment même où ils commettent le crime, ils essayent de le couvrir d’un semblant de raison. Dernier hommage du vice à la morale universelle.

 

Ainsi les conspirateurs du 2 décembre s’efforcent de se justifier en prétendant que l’Assemblée nationale conspirait contre l’Elysée. Que l’Europe le sache bien, c’est là une de ses misérables excuses que cherche la conscience troublée des malfaiteurs les plus endurcis, afin de se faire absoudre.

 

La majorité était à l’état de conspiration permanente contre la République, mais il n’y eut jamais de complot à l’Assemblée nationale contre le président. Le bon sens le dit, les faits le confirment. L’assemblée n’avait aucune espèce de raison pour songer à renverser un homme qui devait forcément quitter le pouvoir cinq on six mois plus tard, et qui, en vertu même de la Constitution, ne pouvait y remonter. La majorité a fait, de complicité avec l’ex-président, toutes les lois qui pouvaient enchaîner la liberté, ébranler le principe républicain, paralyser l’action démocratique. C’est même en donnant au pouvoir exécutif les moyens de compression dont il s’est servi pour étouffer toute résistance qu’elle a favorisé le guet-apens, qu’elle a fourni des armes aux cinq ou six mille coquins. La majorité est devenue ainsi la dupe de sa haine contre les socialistes ; elle a été le Raton du vulgaire Bertrand de l’Elysée, mais elle n’a pas plus que la minorité conspiré contre lui. Loin de là, elle a toujours refusé de le mettre en accusation, quoique la Montagne ait trois fois proposé cette mesure, et elle aurait tout droit de l’accuser d’ingratitude, si deux larrons se devaient quelque chose l’un à l’autre.

 

Les souteneurs gagés de l’attentat ont été cependant jusqu’à dire que l’on avait trouvé chez M. Baze, l’un des questeurs, les preuves de la prétendue conjuration des représentants du peuple. Voici ce que racontait le Constitutionnel du 16 décembre :

 

« La questure était, on le sait, le quartier général de la coalition.

 

Dès que l’acte du 2 décembre a éclaté, les arrestations et les recherches se sont dirigées vers la questure. On a arrêté les questeurs, l’on a saisi leurs papiers, notamment chez M. Baze.

La saisie de ces papiers a rendu évidente l’existence du complot.

 

En effet, tous les décrets relatifs à la réquisition directe étaient prêts ; on en a saisi non seulement les minutes, mais tous les duplicata et les ampliations nécessaires pour en donner communication à qui de droit ; tout cela fait à l’insu de M. Dupin, mais revêtu néanmoins du cachet de la présidence de l’Assemblée.

 

Le premier décret, celui qui confie à un général en chef le commandement des troupes chargées de protéger l’Assemblée nationale, est ainsi conçu :

 

« Le président de l’Assemblée nationale,

 

Vu l’article 32 de la Constitution, ainsi conçu :

 

L’Assemblée détermine le lieu de ses séances, elle fixe l’importance des forces militaires établies pour sa sûreté, et elle en dispose ;

 

Vu l’article 112 du décret réglementaire de l’Assemblée nationale, ainsi conçu :

 

Le président est chargé de veiller à la sûreté intérieure et extérieure de l’Assemblée nationale. A cet effet, il exerce au nom de l’Assemblée le droit confié au pouvoir législatif par l’article 32 de la Constitution, de fixer l’importante des forces militaires établies pour sa sûreté, et d’en disposer ;

Ordonne à M…. de prendre immédiatement le commandement de toutes les forces, tant de l’armée que de la garde nationale, stationnées dans la première division militaire, pour garantir la sûreté de l’Assemblée nationale.

 

Fait au palais de l’Assemblée nationale, le… »

 

 

Second décret.

 

 

« Le président de l’Assemblée nationale, etc.

 

Vu l’article 32 de la Constitution,

 

Vu l’article 112 du décret réglementaire, etc.

 

Ordonne à tout général, à tout commandant de corps ou détachement, tant de l’armée que de la garde nationale, stationné dans la première division militaire, d’obéir aux ordres du général…. chargé de garantir la sûreté de l’Assemblée nationale.

 

Fait au palais de l’Assemblée nationale, le… »

 

Tels sont les deux décrets trouvés chez un questeur. Le premier, qui nomme le général en chef, n’existe qu’en deux expéditions ; l’une destinée probablement au général en chef qui eût été nommé, l’autre au Moniteur.

Quant au second décret qui devait être communiqué aux chefs des divisions et des brigades, il en avait été fait déjà cinq ampliations. Elles sont entre les mains de l’autorité.

Est-il clair qu’on se tenait prêt pour l’événement ? On n’attendait que le jour du vote. Bien que l’Assemblée nationale eût à sa disposition un assez grand nombre d’employés, on ne s’en fiait pas à l’activité des nombreux expéditionnaires .On avait voulu que tout fût réglé, copié et timbré d’avance. Il n’eût resté à remplir que les noms et les dates laissés en blanc. Les décrets eussent été ainsi notifiés à qui de droit en un clin d’oeil. N’y a-t-il pas là tous les apprêts d’un coup de main ? »

Qu’on le remarque bien, ce grand fracas de conspiration, ces pièces probantes saisies à la questure, tout se réduit à deux ordres de réquisition en blanc ! Et il n’en résulte qu’une chose, c’est qu’on savait, à la présidence de l’Assemblée, les projets des héros de Boulogne et qu’on avait pris des dispositions pour y parer. Le général Bedeau l’a constaté. En apprenant qu’on faisait de ces pièces une charge contre M. Baze, il a écrit à M. Morny la lettre suivante, dont nous devons la communication à notre ami M. Charras :

 

« Monsieur,

 

J’apprends qu’on a trouvé chez M. Baze des pièces revêtues du cachet le la présidence de l’Assemblée nationale, et ayant pour objet de requérir les troupes, en conformité de l’art. 32 de la Constitution et de l’art. 112 de notre règlement.

 

Ces pièces ont été établies par mon ordre, le 14 octobre dernier, époque à laquelle j’étais investi des pouvoirs de président de l’Assemblée, en l’absence de M. Dupin.

 

M. Baze, questeur, subordonné au président, n’a été que le dépositaire de ces pièces.

 

J’étais alors très-décidé à faire usage de mon droit constitutionnel, et à remplir mes devoirs pour garantir l’indépendance de l’Assemblée, si, comme j’avais trop justement lieu de le craindre, on essayait contre elle ce qui plus tard a été accompli.

 

J’ai l’honneur, M. le ministre, de vous saluer.

 

Signé: BEDEAU.

 

Fort de Ham, 19 décembre 1851. »

 

 

C’est qu’effectivement le guet-apens exécuté le 2 décembre été conçu depuis longtemps. Le plan tout entier de M. Carlier, qui le proposa même, si nous sommes bien informés, au général Changarnier, comme le meilleur moyen d’en finir avec l’Assemblée et la République, envers lesquelles le général ne passait point pour nourrir des sentiments très-dévoués. Le général était alors commandant en chef de l’armée de Paris et de la garde nationale tout à la fois ; les ennemis de la République comptaient fort sur lui. Quelles que fussent ses raisons, il repoussa le plan de M. Carlier, et celui-ci alla le porter à MM. Persigny et Bonaparte. Mais, si cela est vrai, dira-t-on, pourquoi M. Carlier n’est-il pas resté à la préfecture de police, afin d’appliquer lui—même ses combinaisons ? C’est que M. Carlier a, nous ne dirons pas certains principes, ces gens-là n’ont point de principes, mais certaines idées auxquelles il tient. MM. Persigny et Bonaparte ont cru que le rétablissement du suffrage universel était un appât nécessaire à donner au peuple pour paralyser sa résistance. M. Carlier croyait, au contraire, que cette mesure était dangereuse et empêcherait la majorité de prêter son concours, ou au moins son assentiment, au crime projeté. Les deux partis ne pouvant s’entendre sur ce point, M. Carlier préféra donner sa démission.

Nous ne disons rien là qui ne soit avoué dans le livre de M. Mayer, livre évidemment écrit sous l’inspiration de l’Élysée : « M. Carlier avait signalé au président les dangers de 1852, et le remède qu’il croyait efficace. Malheureusement la restitution du suffrage universel, cette grande et héroïque justice qui a sauvé la situation, lui parut inopportune et impraticable. Il se retira. » (Histoire du 2 décembre, page 24.)

 

Selon une autre version, qui ne manque pas de vraisemblance, la retraite de M. Carlier n’aurait été qu’une feinte convenue avec l’Elysée. A l’instar du Mascarille de l’Étourdi, qui, pour mieux servir son maître, s’introduit chez son rival après des coups de bâton simulés, M. Carlier n’aurait donné sa démission avec éclat et ne se serait ensuite rapproché des chefs de la majorité que pour les mieux tromper. Ceux-ci, de leur coté, n’étaient pas sans méfiance. Il n’aurait fallu rien moins que l’intervention sous forme de lettre d’une auguste exilée, comme ils disent, pour vaincre leurs répugnances. M. Carlier fit grand bruit de sa démission, ne dissimula pas ses craintes du coup d’état, fournit des renseignements dont on put vérifier l’exactitude, et finit, grâce à cette manoeuvre, par endormir la vigilance de ses nouveaux alliés en leur représentant la tentative comme définitivement ajournée. La sécurité perfide qu’il entretint ainsi dans leur esprit a dû contribuer pour beaucoup à la réussite du coup de Jarnac.

Ce que nous venons de dire parait plus probable encore, si l’on se rappelle que M. Carlier, après avoir affiché les allures d’un mécontent, après s’être plaint hautement dans plusieurs journaux, quelques jours encore avant le crime, de l’espionnage de M. Maupas à son égard, fut nommé tout à coup, le 5 ou le 6 décembre commissaire général de l’insurrection pour les départements de la Nièvre et du Cher.

 

Dans la langue des honnêtes gens, cela s’appelle de l’habileté. La langue de l’honnêteté n’applique qu’un mot à un tel rôle : Mouchard. Quoi qu’il en soit, les projets d’attentat de l’Elysée n’étaient point un secret. Tout le monde y croyait sans les redouter, parce que personne ne pouvait imaginer que d’aussi misérables conspirateurs trouveraient des généraux assez lâches pour se faire leurs complices. Leurs desseins ne s’étaient pas seulement révélés dans des circonstances comme celle de la revue de Satory mais d’une façon plus précise encore. Qui ne se rappelle, entre autres choses la démarche faite par M Persigny auprès du général Changarnier que l’on croyait fatigué d’un repos forcé après sa destitution ? Le général n’a pas laissé ignorer les détails de cette visite ; nous lui en avons nous-mêmes entendu parler, bien que nous ne fussions pas de ses amis particuliers. L’Olivier-le-Daim de l’Elysée avait fait briller à ses yeux et lui avait clairement offert l’épée de connétable, s’il voulait se mettre à la tête du complot. Le général Changarnier, au milieu des longues conversations de Ham, n’a pas non plus caché à ses compagnons de captivité qu’au moment où il commandait en chef, M. Bonaparte lui avait proposé dix fois de l’aider à faire sauter l’Assemblée. Cela ne pouvait convenir à un homme qui n’a de goût, croyons-nous, que pour le rôle de chef d’emploi. En tous cas, dès l’instant que de pareilles ouvertures étaient faites à un personnage de l’importance de M. Changarnier, ne devaient-elles pas devenir de sa part un sujet d’accusation ? Le silence qu’il a gardé officiellement à cet égard nous semble tout au moins une faute grave dont il a été cruellement puni[1].

Après de tels précédents, quelle audace de mensonge n’y a-t-il pas à venir proclamer que la questure conspirait contre le président de la République, parce que le président de l’Assemblée se mettait en mesure de la défendre contre un coup de main si souvent annoncé !

 

Non-seulement l’Élysée n’a été provoqué à l’attentat du 2 décembre par ancun complot de l’Assemblée contre lui, mais c’est chose indéniable qu’il méditait déjà ce crime à une époque où la majorité, loin de lui être hostile, marchait complètement d’accord avec lui. Soit imprudence, soit vantardise, son historiographe particulier, son confident, en a laissé échapper l’aveu en propres termes : « Nous pouvons dire que si les événements dont nous retraçons l’histoire viennent, en fait, de se passer sous nos yeux, en principe, leur nécessité avait été reconnue et LEUR ÉCLOSION REVEE depuis le premier mois de l’année actuelle. » (Histoire du 2 décembre, page 131.)

Les conspirateurs eurent sérieusement dessein de réaliser leur projet même avec M. Carlier, au mois d’octobre, pendant la prorogation ; tout était prêt. L’exécution ne fut ajournée qu’en raison de la difficulté d’arrêter alors, tous à la fois, les représentants dont on redoutait le plus l’influence sur l’armée et sur le peuple. Déjà, à cette époque, des tentatives avaient été pratiquées auprès de plusieurs officiers supérieurs, pour les engager à entrer dans cette conjuration militaire. Il est plus que probable que le bureau de l’Assemblée fut instruit de ces démarches d’une manière indirecte. De là les énergiques et sages précautions prises par le général Bedeau qui, nous le répétons, remplaçait M. Dupin pendant la prorogation. Ce n’est point un homme du caractère de M. Bedeau qui aurait écrit légèrement : « J’avais alors trop justement lieu de craindre qu’on essayât pendant la prorogation ce qui fut accompli plus tard. » La phrase est significative, elle renferme une accusation formelle, adressée aux criminels eux-mêmes, et, à défaut d’autre témoignage, leur silence suffirait seul pour les confondre.

 

Le général Bedeau

Le général Bedeau

Pourquoi la lettre du général n’a-t-elle été insérée ni dans le Moniteur ni dans le Constitutionnel, qu’on avait chargé de prendre la questure à partie ? Pourquoi n’a-t-on pas mis en jugement M. Baze ou M. Bedeau ? Comment ! vous livrez à vos homicides conseils de guerre des milliers de citoyens pour avoir résisté à votre entreprise, et vous épargnez ceux dont les machinations, prétendez-vous, ont provoqué cette entreprise ; vous épargnez M. Baze que vous accusez, et le général Bedeau qui vous accuse ! N’est-il pas évident que vous avez eu peur ; que le complot parlementaire dont vous essayez de vous couvrir n’a jamais existé ?

 

Au surplus, si l’Assemblée conspirait contre le président de la République, pourquoi celui-ci ne l’a-t-il pas dénoncée dans un message. Certes, la morale publique aurait défendu le premier magistrat de la nation attaqué, et une majorité n’aurait pas manqué dans l’Assemblée pour livrer aux tribunaux les membres coupables. Lorsque M. Bonaparte lui-même, dans son appel au peuple, déclare qu’il y avait dans l’enceinte législative au moins « trois cents membres dont le patriotisme était pur », pouvait-il douter qu’il n’eût raison des conspirateurs ? Est-ce en violant la loi qu’on la défend ?

Après cela, il paraîtra peut-être inutile d’insister davantage sur l’inanité des projets attribués à la représentation nationale contre le président ; toutefois, comme il ne faut rien laisser d’obscur, nous voulons ajouter quelques mots.

 

Les élyséens s’en prennent plus particulièrement à la majorité, mais ils prétendent qu’il y avait coalition entre elle et la Montagne ! Le vote de la Montagne qui repoussa, le 17 novembre, la proposition des questeurs royalistes, montre assez que cette coalition n’exista jamais. Voilà cependant les conjurés qui disent, dans le Constitutionnel du 16 décembre : « Le coup avait été manqué dans la séance du 17 novembre. Le    vote de la Montagne avait ce jour-là fait défaut à la coalition. Mais on comptait bien le reconquérir. Dans ce but, on s’était mis en négociation et en marché avec la Montagne. On lui promettait, en échange de son vote pour la réquisition directe des troupes, de lui abandonner les garanties destinées à protéger les bons citoyens dans les localités les plus menacées par les bandes communistes ; on lui promettait de faire lever à peu près partout l’état de siége. C’est-à-dire que, pour se faire livrer le président de la République par la Montagne, on livrait les populations honnêtes des départements le plus gangrenés par le socialisme à l’invasion éventuelle des sociétés secrètes. »

 

Dans tout ceci, pas une syllabe de vraie. A aucune époque la Montagne et la majorité n’eurent de pourparlers sur quoi que ce soit ; les deux partis étaient trop profondément divisés, se détestaient avec trop de passion pour s’entendre jamais. Nous savons absolument tout ce qui se passait à la Montagne, nous avions l’honneur d’être un de ses trois présidents ; or, nous affirmons que la négociation en question est une audacieuse imposture, que rien de semblable n’a eu lieu. Nous mettons les conjurés au défi d’établir la vérité de leur allégation.

 

S’il est un homme de bonne foi qui ait le moindre doute à cet égard, il ne le gardera pas assurément en lisant le Bulletin dit français, publié par les royalistes. Nous républicains socialistes, nous repoussons autant l’empire que la royauté ; mais les royalistes ont encore plus d’antipathie même à cette heure contre nous que contre M. Bonaparte, et ils ne cessent pas de nous honorer de leurs injures. Tout en attaquant aujourd’hui l’ex-président, ces loyaux gentilshommes qui lui ont laissé prendre le pouvoir sans tirer leurs épées disent qu’il a posé ce dilemme à la France : « Choisis entre le socialisme et moi ; entre les brigands et le dictateur ! » (Bulletin français, p. 36)

 

Il y a, entre les démocrates et les monarchistes, blancs ou bleus, des dissidences si profondes, des causes d’éloignement si radicales, que, loin d’avoir pu s’unir au sein de la représentation nationale, il leur est même et leur sera toujours impossible de se coaliser dans la défaite.

 

Puisque nous condescendons à répondre aux impostures, nous devons en relever une autre de M. Bonaparte. Il a fait dire par M. Granier-Cassagnac, dans le Récit des Événements de Décembre : « Peu de jours avant la rentrée de l’Assemblée, des représentants appartenant au parti rouge et socialiste firent proposer au président de s’appuyer sur eux et de prendre un ministère dans leurs rangs. » (page 6.)

 

Jamais les rouges de l’Assemblée n’eurent de communication d’aucune espèce avec l’ex-président. Sa conduite avait toujours été trop louche pour qu’ils pussent s’allier à lui. On n’a pas oublié que, jugeant bien l’homme qui devait servir à commettre le crime du 2 décembre, ils signèrent, à trois reprises différentes, contre lui, une proposition de mise en accusation. M. Granier ne peut avoir écrit ce qu’il avance que sur le dire du « chef d’Etat », dont chacun le sait confident intime. Nous sommons donc, nous n’hésitons pas à sommer, au nom de la Montagne, M. Bonaparte de dire quels sont les représentants rouges qui se sont offerts à lui et au nom de qui parlaient ces faux socialistes, s’ils existent. Jusqu’à ce qu’il se soit expliqué, nous déclarons, haut et ferme, que cette fois encore il a menti. Il nous est impossible de modérer nos expressions, car c’est une insigne lâcheté, vraiment, de calomnier ainsi tout un parti, alors surtout qu’il n’a aucun moyen de répondre, alors que toute publicité lui est enlevée.

Non, quoi qu’on dise et qu’on fasse, rien ne pourra jamais atténuer la criminalité de l’acte du 2 décembre. Les coups d’état peuvent parfois, dit-on, avoir leur raison d’être dans les circonstances ; ce ne sont pas des effets sans cause. Tout dans le 2 décembre, absolument tout, au contraire, est sans cause et sans prétexte. Ce n’est pas même un coup d’état ; c’est un coup de Jarnac perpétré par des hommes qui n’ont pas hésité à jeter leur pays dans les aventures pour éviter la prison de Clichy prête à les recevoir.

 

 

Un tas d’hommes perdus de dettes et de crimes,

 

Que pressent de mes lois les ordres légitimes,

 

Et qui, désespérant de les plus éviter,

 

Si tout n’est renversé, ne sauraient subsister.

 

 

Il est utile de bien connaître les conspirateurs du 2 décembre ; même après les avoir vus à l’oeuvre, on ne sait pas tout ce qu’ils sont. Disons-le.

 


[1] Tout ce qu’on vient de lire se trouve confirmé dans la lettre par laquelle le général refuse le serment.. (Voir aux Annexes, n°1, Refus de serment.)