HISTOIRE DES CRIMES DU 2 DÉCEMBRE

HISTOIRE DES CRIMES DU 2 DÉCEMBRE

 Victor Schoelcher

Bruxelles, chez les principaux libraires, édition considérablement augmentée, 1852

tome II

ANNEXES

N° 4. — Refus d’amnistie.

 

LETTRE DU CITOYEN JOLY.

 

M. le rédacteur en chef des journaux L’Eclair et l’Emancipation.

Vous dites dans la correspondance particulière de votre journal, à propos du décret qui autorise la rentrée en France de quelques représentants : « M. Joly se trouvait déjà à Paris, il y a trois mois environ, en vertu d’une autorisation spéciale. En 1814, il était volontaire royal dans le Midi. »

Ces deux assertions malveillantes et calomnieuses sont bien dans l’esprit de votre journal, depuis qu’il a fait volte-face. Je n’ai jamais obtenu ni sollicité, après les décrets infâmes du 9 janvier, l’autorisation de rester à Paris : j’écrivis quelques jours après à M. le préfet de police pour lui demander un passe-port, en lui déclarant que je resterais quelques jours à Paris pour régler mes affaires ; c’est ce que j’ai fait, à travers les agents de la basse police qui ne m’ont pas perdu de vue un seul instant ; leur présence continuelle autour de moi a été la seule réponse que j’ai reçue. Voilà ce que vous appelez une autorisation spéciale.

Au moment de quitter Paris, M. le ministre de la police me fit appeler et m’offrit gracieusement de me laisser en France. Cet offre, je l’ai repoussée avec assez de force pour l’empêcher d’aller plus loin et de m’en dire davantage ; j’étais convaincu que ces gens-là ne peuvent proposer et offrir que des choses qu’un homme d’honneur ne peut entendre sans colère et ne peut accepter sans honte ; ils cherchent à tout rabaisser à leur niveau. Je suis parti pour Bruxelles, que je n’ai pas quitté un seul jour.

Je n’ai jamais été volontaire royaliste, monsieur, mais vous vous êtes fait volontaire bonapartiste, à partir de cette date. Votre correspondant parle de choses qu’il sait peu : à l’époque où les volontaires royaux défendaient tant bien que mal leur roi légitime, au pont de la Drôme, sous leur chef, le capitaine Hantpoul, grand-référendaire du sénat pour avoir été grand-tavernier à Satory, mes amis et moi nous proclamions, le 29 mars, la chute des Bourbons aînés dans le département de l’Aude, patrie de cette illustration militaire, et la mienne. Les volontaires royaux retournèrent un à un, débandés, venant se réfugier sous le drapeau tricolore arboré dans tout le Midi ; voilà ce qu’ignore sans doute votre correspondant de Paris ; il faut l’avertir, autrement il est capable de vous dire que c’est moi qui ai assassiné le général Ramel à Toulouse, et le maréchal Brune à Avignon ; c’est peut-être pour cela que j’ai été condamné à mort par contumace en 1825 et non pas pour avoir voulu renverser Louis XVIII.

 

JOLY, Représentant de Saône-et-Loire.

Bruxelles, le 9 août 1852

 

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LETTRE DU CITOYEN BELIN.

 

Monsieur le rédacteur de l’Emancipation,

La correspondance de Paris, reproduite dans votre numéro d’aujourd’hui, 9 août, contient cette phrase : « MM. Belin et autres ont demandé leur grâce et adhèrent, dit-on, au gouvernement napoléonien. »

Je proteste de toute mon énergie contre cette allégation outrageante. L’arbitraire est dans l’amnistie comme il l’a été dans la proscription. Mes amis savent qu’il ne m’a pas pour complice, et que les décrets qui frappent, comme ceux qui amnistient, ne font que fortifier mon ardeur et ma foi républicaine.

J’ai l’honneur de vous saluer.

Belin,

Représentant de la Drôme.

Bruxelles, le 9 août 1852.

 

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LETTRE DU CITOYEN AUBANEL MAURICE.

 

M. le ministre de la police en France.

 

Monsieur,

C’est avec la plus grande surprise et la plus vive indignation que j’ai vu dans un journal figurer mon nom parmi ceux qui sont autorisés à rentrer en France.

Obscur soldat de la démocratie, je me suis levé, comme je le ferai partout et toujours, contre le parjure et le traître — contre Bonaparte ; j’ai fait mon devoir comme mes frères et mes amis. Plus heureux qu’eux, j’ai échappé aux fusillades et aux déportations : aussi, puisant dans le malheur et dans l’exil une force nouvelle, j’attends avec calme et résignation le jour de la justice et de la rémunération.

A cette autorisation de rentrer en France, voici ma réponse :

D’amnistie, je n’en veux pas.

Pour accepter quelque chose d’un pouvoir quelconque, il faut reconnaître ce pouvoir, et moi je le nie. — Cette atroce et infâme tyrannie — ce règne du sabre et du goupillon, — cette bande d’aventuriers et de parjure, cette cohorte de fonctionnaire repus, qui se vendent à tous les régimes : —- voilà ce pouvoir qui déshonore la France et que je nie de toutes les puissances de mon âme.

Je termine en vous déclarant que je ne veux rentrer dans ma patrie qu’avec la Liberté.

A bon entendeur, salut.

 

AUBANEL MAURICE.

 

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LETTRE DU CITOYEN MANAU.

 

A M. le rédacteur en chef de l’Indépendance belge.

 

Monsieur,

Votre correspondant fait figurer mon nom en bas d’une prétendue liste de quinze amnistiés, dressée par M. Belmontet, à l’occasion de sa fête, et acceptée, après dîner, au dessert, par M. Bonaparte, sur la foi de son ami, qui lui aurait répondu de ceux dont il proposait la grâce. Il ajoute que les quinze protégés de M. Belmontet sont rendus à leurs familles.

Pour mon compte, monsieur, j’ignore s’il est vrai que je sois compris dans une liste quelconque d’amnistiés. Il est certain du moins que je suis toujours à Londres, et qu’aucun avis officiel ou même officieux ne m’a appris que les portes de la patrie me soient ouvertes. Mais, dans tous les cas, je déclare que je n’ai autorisé personne, pas même M. Belmontet, à solliciter ma rentrée en France, et à répondre de moi à M. Bonaparte.

Expulsé de mon pays par la force brutale, j’ai conservé au fond de mon âme toute l’énergie de mes convictions républicaines, toute ma foi en l’avenir prochain de la justice et du droit.

L’exil n’a fait que fortifier ma haine et mon mépris pour le parjure du 2 décembre et pour ses complices. Je ne lui demande rien. Je n’attends rien d’eux.

Tels sont mes sentiments. Je ne m’en laisserai jamais attribuer d’autres, en permettant à M. Belmontet de se faire ma caution.

 

J.-P. MANAU, avocat

Londres, le 9 septembre 1852.