Régime présidentiel et régime consulaire

Envol, FOL Ardèche, juin 2010

1848, 1851, 2010… Régime présidentiel et régime consulaire

 par René Merle

Ces quelques lignes, qui n’apprendront rien aux historiens, mais peuvent être utiles aux citoyens, s’inscrivent dans la très nécessaire mission de conscientisation civique de l’Association 1851.

  

La constitution de la Seconde République

La constitution promulguée en novembre 1848 était fondée sur une absolue séparation du pouvoir législatif (l’Assemblée Nationale) et du pouvoir exécutif (le Président de la République), tous deux tirant leur légitimité du suffrage universel (masculin)[1].

Élu pour quatre ans, le Président ne peut solliciter immédiatement un second mandat.

Le Président est à la fois chef de l’État (il nomme les fonctionnaires, dirige la diplomatie, dispose de la force armée), et chef du gouvernement (il nomme et révoque les ministres, qui ne sont responsables que devant lui).

Le Président a l’initiative des lois, que discute et vote l’Assemblée. Le Président les promulgue.

Le Président et son gouvernement ne sont pas responsables devant l’Assemblée. Mais le Président ne peut dissoudre l’Assemblée.

Il est facile d’imaginer à quelle impasse constitutionnelle pouvait conduire une opposition frontale entre les deux pouvoirs. Les pères de la constitution se réclamaient de l’exemple américain, exemple peu pertinent dans la mesure où les États-Unis, par leur structure fédérale et la fonction arbitrale du pouvoir judiciaire, équilibraient chaque pouvoir de contre-pouvoirs efficaces. Rien de tel en France.

 

Cependant, les constitutions valant grandement par les hommes qui les mettent en œuvre, les constituants de 1848 n’imaginaient pas de conflit entre l’Assemblée et le Président. Leur texte, voté alors que l’état de siège promulgué en juin 1848 était encore en vigueur, était taillé pour le candidat officiel de cette assemblée « modérée », le général Cavaignac, qui avait sauvé l’Ordre bourgeois en juin, et dont l’élection apparaissait assurée.

On sait ce qu’il en advint. En décembre 1848, le raz-de-marée électoral en faveur du candidat-surprise, Louis Napoléon, balaya Cavaignac. Et bientôt les élections législatives d’avril 1849 allaient mettre en place une assemblée franchement conservatrice.

Pour se tailler une popularité à bon compte, le jeu du Président sera alors de se démarquer de décisions réactionnaires de l’Assemblée (notamment l’amputation du suffrage universel), mais aussi d’essayer d’amadouer l’Assemblée afin d’obtenir la possibilité de se représenter en 1852. Le refus de celle-ci précipitera la décision de coup d’État (accompagnée du rétablissement du suffrage universel). 

 

La position des Démocrates socialistes (1849-1851).

En décembre 1851, les insurgés démocrates socialistes, dont nous célébrons la mémoire, se levèrent pour défendre la constitution, violentée par celui qui devait la défendre.

Pour autant, c’est d’une constitution bien amendée dont ils rêvaient.

Conscients des dangers de césarisme, les démocrates socialistes avaient clairement exprimé, lors des élections générales de 1849, et à nouveau à l’occasion des élections partielles suivantes, leur souhait de restreindre les pouvoirs du Président et de les faire contrôler par l’Assemblée. À terme, ils envisageaient même que le Président ne soit plus élu au suffrage universel direct.

 

De la constitution de 1848 à la constitution actuelle.

La méfiance à l’égard du pouvoir présidentiel habita les pères de la Troisième République, dont beaucoup avaient connu 1851. Ainsi fut mis en place, non sans mal, un régime parlementaire, caractérisé par la responsabilité du gouvernement devant le parlement, et par l’effacement de la fonction présidentielle.

Cependant la nostalgie d’un pouvoir exécutif fort motiva durablement nombre d’opposants conservateurs. Charles de Gaulle tentera, sans succès, de la mettre en œuvre en 1945-1946.

Il y réussira en 1958 – 1962. La Cinquième république a d’abord un régime semi parlementaire (le gouvernement est responsable devant le parlement) au pouvoir présidentiel renforcé. Mais avec l’élection du Président au suffrage universel (1962), celui-ci acquiert un niveau national de légitimité qui écrase celui de l’Assemblée, dont il maîtrise le destin par le droit de dissolution.

Ceux qui, sans mettre en cause notre constitution, s’effarent de « l’hyper présidentialisation » actuelle, ne veulent pas voir que cette dérive pousse jusqu’au bout la logique de la Cinquième République. Nous y avons souvent insisté[2]. Logique que les prudences, les rapports de force, les cohabitations, ont pu atténuer, mais qui, dès l’origine, était dénoncée par les opposants à la constitution de 1958 – 1962.

Le passage au quinquennat, l’inversion du calendrier électoral, l’effacement de la fonction de premier ministre aidant, nous voici dans un régime où l’absence de contre-pouvoirs est flagrante.

La récente révision de la constitution, présentée comme un rééquilibrage des pouvoirs, a de fait encore accru ceux du Président de la République[3]. Régime hyper présidentiel ? La formule signifierait qu’il existe encore un régime présidentiel, alors que, chez nombre de commentateurs, ce type de pouvoir, en référence au pouvoir mis en place par Bonaparte en 1800, est désigné par le terme beaucoup plus parlant de « pouvoir consulaire ».

Les Français sont, semble-t-il, attachés à l’élection du Président au suffrage universel. Le bon sens démocratique voudrait que cet attachement s’accompagne de l’attachement à un vrai équilibre des pouvoirs.

Or, la logique de la présidentialisation est telle que, au sein des grandes formations politiques, le choix du ou de la futur/e Président/e l’emporte sur l’élaboration d’un programme allant dans le sens de ce rééquilibrage.

L’expérience nous a pourtant appris, avec l’itinéraire de François Mitterrand, que les plus fermes adversaires de notre constitution peuvent s’y couler avec délices une fois au pouvoir. Faute d’engagements solennels devant le pays, le risque est grand qu’il en soit de même en 2012, au cas où un/e opposant/e d’aujourd’hui l’emporterait.

 

René Merle

26 février 2010

 



[1] Sur la Seconde République et sa constitution, on lira les contributions de Raymond HUARD dans deux ouvrages collectifs, La passion de la République, Éditions sociales, 1992, et La Révolution de 1848 en France et en Europe, Éditions sociales, 1998

[2] Cf. par exemple l’éditorial du Bulletin de l’Association 1851, avril 2003, René Merle, « À propos du pouvoir présidentiel ».  et de nombreux articles suivants.

[3] On lira avec profit, sur ce sujet, la « Lettre n°16 » du sénateur du Var Pierre-Yves Collombat :

http://www.collombat-py.fr/Default.aspx?PageContentID=716&tabid=635