LA RÉSISTANCE RÉPUBLICAINE EN AVEYRON

LA RÉSISTANCE RÉPUBLICAINE AU COUP D’ÉTAT DU 2 DÉCEMBRE 1851 EN AVEYRON

Mémoire de maîtrise présenté par GRÉGORY POUGET 

sous la direction de JEAN-CLAUDE SANGOÏ et JEAN RIVES 

septembre 2002

Troisième partie : Mesures et interprétations des journées de décembre 1851 en Aveyron

Chapitre XI : Les républicains vus par la droite

L’opinion de la droite s’exprime dans deux journaux : Le Journal de l’Aveyron et L’Echo de l’Aveyron qui soutiennent fréquemment de vives polémiques avec L’Aveyron Républicain. Ces journaux sont les trois principaux journaux politiques paraissant à cette époque dans le département de l’Aveyron. Les autres publications, il y en a au moins une par arrondissement, sont principalement consacrées aux annonces locales.

Le titre complet de L’Echo de l’Aveyron est L’Echo de l’Aveyron : journal religieux, politique, littéraire, agricole, commercial et d’annonces.

Fondé par Eugéne de Barrau, son propriétaire, en 1845, son premier numéro est daté du 2 avril. Ce journal est imprimé chez Ratéry. Il compte parmi ses rédacteurs le docteur Viallet, l’avocat Vigroux et Régis Acquier. Il paraît de manière régulière le mercredi et le samedi de chaque semaine.

De format 27 X 42, il se compose de quatre pages comprenant trois colonnes. La première page comporte un éditorial et des articles de la presse nationale. La deuxième page est consacrée aux nouvelles politiques et aux affaires nationales, la troisième à la chronique locale et aux faits divers ; la quatrième aux dernières nouvelles et à de la publicité.

 

Le Journal de l’Aveyron  dont le titre complet est Le Journal de l’Aveyron : feuille politique, religieuse, littéraire et d’annonces est l’organe de l’Union conservatrice. Imprimé à Rodez par Chanson puis Carrère, c’est le doyen de la presse départementale et l’un des plus importants journaux aveyronnais. Hebdomadaire entre 1796 et 1808, il devient bi-hebdomadaire entre 1832 et 1870.

De format 27 X 42, il se compose de quatre ou six pages comprenant trois colonnes.

La première page comporte un éditorial et un feuilleton, qui est parfois un roman-feuilleton. La deuxième page est consacrée aux nouvelles politiques nationales et reprend des articles de la presse nationale, la troisième à la chronique locale et aux faits divers ; la quatrième aux dernières nouvelles et à de la publicité. Des demies pages sont fréquemment insérées sous l’appellation « Supplément au Journal de l’Aveyron ». Elles concernent généralement les dernières nouvelles et des publicités.

 

 

Dès 1848, la droite aveyronnaise tente de faire assimiler les républicains radicaux aux partisans de l’idéologie communiste et à partir de cette période elle en agite constamment le spectre.

 

A  –  La propagande anti-communiste :

La propagation de la propagande

Au niveau national Adolphe Thiers est parmi les premiers à dénoncer  la menace d’une attaque généralisée contre le principe de la propriété privée. Le 27 juillet 1848, il monte à la tribune pour dénoncer le discours de Proudhon et de ses adeptes, dont il  retient surtout la formule « la propriété c’est le vol ». Le 13 septembre, il lance devant les députés, une diatribe contre le communisme,  doctrine, selon lui, basée sur la négation de toute liberté, sur une conception fausse de l’égalité. Il fait alors paraître un ouvrage, sous le titre tout simple : De la propriété.

 En septembre 1848, un congrès de la presse modérée se réunit à Tours. Une quarantaine de journaux conservateurs du Nord, du Centre-Ouest et du Sud-Ouest sont représentés. Leur objectif est de promouvoir l’union des forces conservatrices face aux socialistes dans la perspective de l’élection présidentielle du 10 décembre 1848.

En mars 1849, un second congrès a lieu à Angoulême. Le journal L’Echo de l’Aveyron l’annonce en reprenant un article du journal parisien L’Union :

« La presse modérée des départements doit se réunir en congrès à Angoulême, le 15 mars. […] Né d’une pensée de conciliation, et d’union, il veut surtout fortifier les honnêtes gens dans leur volonté de marcher d’accord, et leur préparer le terrain d’une action commune. Nous prêterons une attention sérieuse à ses travaux ; car nous avons la confiance qu’il ne peut en sortir que du bien.

Oui, il faut que l’exemple de la conciliation soit donné, non seulement dans tous les journaux de la presse modérée, mais aussi par tous les comités, par toutes les réunions du grand parti qui a pour intérêt, non moins que pour devoir, de défendre les principes éternels de l’ordre social. C’est pourquoi nous le signalons avec joie partout où il se montre [1]. »

Quelques jours plus tard, un comité de la presse modérée est constitué à Paris auquel participent les grands noms de la presse parisienne conservatrice : Le Journal des débats, Le Constitutionnel, L’Univers, L’Assemblée nationale, L’Ordre, et Le Dix-Décembre.

En mai 1849, un extrait de l’ouvrage de Thiers est vendu en plaquette sous le titre Du communisme. Les bases du discours anticommuniste y sont exposées : la défense de la propriété, la défense de la famille, la défense de la religion, en un mot la défense de l’ordre. Ce texte se veut un appel à combattre toutes les formes du communisme, avouées ou non.

Quand parait cette brochure, le comité électoral de la Rue de Poitiers est en train de préparer les élections du 13 mai 1849. Thiers y exerce une grande influence. A ses côtés se trouvent les leaders monarchistes Molé, Berryer, de Falloux, Montalembert, de Broglie, les fidèles de Louis Napoléon Bonaparte : Persigny, de Morny, Lucien Murat et beaucoup d’autres. Les dirigeants des partis antidémocratiques se proposent d’opposer, à la « propagande du mal », « la propagande du bien [2]».

« Ils [sont] entre 300 et 400 députés, notables, rédacteurs de journaux conservateurs, disposant de moyens financiers considérables, intervenant dans l’épuration du corps préfectoral et la nomination des procureurs généraux, qu’ils [choisissent] dévoués à leur cause [3]. » Parmi eux l’aveyronnais Vesin.

L’Echo de l’Aveyron mène le combat contre L’Aveyron Républicain. S’il le critique depuis longtemps, il tire alors un signal d’alarme et en appelle à l’union des forces conservatrices pour lutter contre la tentation socialiste.

« La propagande socialiste, communiste et révolutionnaire s’exerce à outrance dans le département. Les journaux et les brochures sont répandus à profusion dans les cabarets des villes et des campagnes. Des prédications sont organisées près des ateliers qui fonctionnent sur nos routes ; des chauffeurs, émissaires de cette exécrable propagande, se répandent dans tous les sens, pénètrent les villages les plus reculés, y propagent les bruits les plus calomnieux, sèment les suspicions, suscitent les haines.

Devant toutes ces menées, qui à la longue pourraient pervertir le sens public, les hommes d’ordre resteront-ils inertes et passifs ; ne trouveront-ils pas, dans leur conscience, pour s’opposer au mal, un peu de cette énergie que les pervers dépensent pour la propager ? […] On disait autrefois noblesse oblige ; il est également vrai aujourd’hui que fortune oblige. Il n’est pas dans la nature des choses qu’on puisse être les bénéficiaires d’un ordre social sans avoir des obligations à remplir ; là où il y a des droits il y a des devoirs, et c’est à la fois un droit et un devoir de se défendre. […]

Des comités organisés à Paris, sous divers noms, mais tous dans un but de conservation sociale, ont fait appel aux bons citoyens pour faire les frais d’une propagande anti-socialiste ; cet exemple devrait être imité partout, et chaque ville devrait organiser des moyens analogues [4]. »

Dans ce numéro du 18 avril 1849, le journal lance un appel pressent à une mobilisation massive contre les forces socialistes et communistes. Il déplore les progrès de la propagation des idées socialistes qui pénètrent même dans les campagnes, et plus seulement les villes ou les bourgs importants, comme auparavant. Il déplore l’inertie des conservateurs et leur rappelle qu’ils doivent s’engager dans la lutte par leurs votes, en propageant les idées modérées mais aussi en finançant la propagande anti-socialiste. A ses yeux, ses lecteurs sont les bénéficiaires de l’ordre établi, et il leur rappelle que de ce fait, il ont pour principal devoir de le défendre. Son appel est entendu et aux élections de 1849, 3 hommes se reconnaissant dans le parti de la Rue de Poitiers : les avocats Henri Rodat et Vernhette et le procureur Emile Vesin sont élus.

En juillet 1849, le comité de la Rue de Poitiers se transforme en Association pour la propagande antisocialiste et l’amélioration du sort des travailleurs. Le Messager de la semaine  est l’organe de l’Association pour la propagande antisocialiste[5].

Il lance un appel à ceux qui le soutiennent en les invitant à organiser une intense propagande anti-socialiste. Une multitude de brochures destinées à combattre les rouges, financées pour certaines par ce comité, sont éditées. Peu d’indications ont été retrouvées sur leurs auteurs. Elles sont publiées par des anonymes qui signent par des formules comme :  « un ami de la France » ou « n’importe qui [6] ». D’autres sont signées comme la célèbre La vérité aux ouvriers, aux paysans, aux soldats de Théodore Muret ou  Le Spectre rouge de 1852, publié par Romieu en avril 1851. L’ouvrage de Théodore Muret connaît une diffusion impressionnante. La vérité aux ouvriers … est tiré à près de 600 000 exemplaires, vendus en 2 mois, entre avril et mai 1849. Le Spectre rouge de 1852 est tiré à 6 000 exemplaires[7].

Si l’ouvrage de Romieu ne connaît pas la diffusion de celui de Muret,  il n’en connaît pas moins « un retentissement extraordinaire par les commentaires qu’il a suscité [8]. »

L’Echo de l’Aveyron entend l’appel du comité de la Rue de Poitiers et y répond en assurant la promotion de l’ouvrage de Théodore Muret.

« Des comités organisés à Paris, sous divers noms, mais tous dans un but de conservation sociale, ont fait appel aux bons citoyens pour faire les frais d’une propagande anti-socialiste ; cet exemple devrait être imité partout, et chaque ville devrait organiser des moyens analogues. Les comités créés en faveur de l’ordre, pénétrés de tout le bien que peut faire la brochure de M. Théodore Muret, l’ont adoptée […] [9]. »

Il en fait une grande publicité et ouvre une souscription dans ses pages[10]. Elle est, si l’on en croit ce journal, un véritable succès. Pas moins de 2 000 brochures sont commandées [11].

Leur diffusion est donc assurée par les journaux. Si la production est principalement parisienne, leur diffusion devient, par l’intermédiaire de la presse, nationale. Les journaux de province reprennent des extraits, font des comptes-rendus ou se font l’écho des journaux parisiens. Bien souvent, ils publient les meilleurs extraits de ces brochures[12].

 

Le discours « anti-communiste » 

L’anticommunisme, entre 1849 et 1851, n’a pas de « doctrine clairement constituée [13]. »

Il rassemble des discours produits par des courants politiques qui se découvrent en commun des peurs à partager. Il n’est pas seulement dirigé contre les communistes déclarés mais contre toutes les forces démocrates ou socialistes.

Les peurs déjà suscitées contre les seuls communistes autour de février 1848 sont réactivées contre tous les adversaires du parti de l’ordre.  Pour renouveler ces peurs, pour les actualiser, des mots nouveaux sont créés ou des mots anciens sont réutilisés. Les termes employés sont ceux de « partageux », « ravageurs », le nom de « rouges » (qui renvoie aux pires moments de la Terreur, aux sans-culotte de 1793), avec les mots « anarchistes », « socialistes », « utopistes », « communistes [14]». Ces termes sont interchangeables. Ils sont chargés d’opprobre et sont utilisés pour désigner le « mal nouveau », pour installer l’anxiété, pour refouler hors de l’espace public les partisans de la République Démocratique et Sociale.

Les discours fonctionnent autour de deux idées principales : d’une part, il s’agit de dénoncer une escroquerie, le discours des réformateurs qualifiés d’utopistes, et d’autre part le complot ourdi dans l’ombre par ces hommes de l’anarchie et du désordre.

Les « partageux » sont accusés de vouloir favoriser la corruption contre le labeur, d’exciter les pauvres à l’envie et au pillage, de vouloir la promiscuité sexuelle et la communauté des femmes et des enfants !!! Ils sont accusés de vouloir remettre en cause des principes que les possédants jugent intangibles, les principes de la propriété, du travail, la famille et la religion. Appelés « faux prophètes », « menteurs », « charlatans », « beaux-parleurs » et « imposteurs [15] », leurs doctrines sont déclarées « impuissantes à rien construire ». Contre ces hommes de la « subversion sociale », ces « purs démolisseurs », les écrivains du parti de l’ordre en appellent au bon sens des ouvriers et des paysans.

Le suffrage universel oblige les anticommunistes à s’intéresser aux classes populaires des villes et surtout à celles des campagnes. Les discours sont construits pour impressionner des masses supposées ignorantes et pour leur faire peur. Les rouges sont accusés de fomenter un complot et d’avoir tissé un « réseau à mailles serrées » couvrant tout le territoire français. Dans les écoles, les instituteurs sont soupçonnés de s’être mis au service des « ravageurs ». Dans les cabarets et autres lieux mal famés, dans les brochures que les colporteurs distribuent, les « rouges » propagent le poison de la discorde, de la haine contre les prêtres, de la rage contre les riches … Une jacquerie généralisée est en train de se préparer, des millions de prolétaires sont soit-disant enrégimentés… Pour le parti de l’ordre, le grand combat social s’approche et l’apparence du calme et du légalisme, affichée par les démocrates socialistes, n’est qu’une tromperie, un autre de leurs mensonges, une simple trêve.

Pour les conservateurs, les rouges attendent avec ferveur l’échéance des élections de mai 1852 pour mettre en œuvre leurs projets qu’ils résument en trois points : attaquer la propriété, détruire le pays, et, asservir la nation. Les membres du parti de l’ordre n’hésitent pas à présenter leurs adversaires comme « avides de sang humain, de pillage, de tumultes et de ruines [16]». Ils apeurent les paysans en accusant les rouges d’entretenir « l’inquiétude, le trouble dans les affaires et la misère [17]» et les bourgeois en disant qu’ils veulent « lancer les foules égarées, aveuglées par les souffrances (qu’ils ont provoquées), à l’assaut du pouvoir [18]».

Les écrivains conservateurs peuvent compter sur l’appui de l’Eglise aveyronnaise.

Les attaques contre les prêtres, les principes de l’Eglise et de la Religion catholique, professés par les apôtres de l’anarchie, suscitent un prosélytisme farouche des hommes d’église. Les communistes sont décrits comme de purs matérialistes. Ils sont soupçonnés de s’attaquer à la religion catholique et sont accusés de tourner les « affectations les plus saintes [19] » en dérision. En dénonçant dans son mandement intitulé « Respect et soumission pour l’autorité » publié au Carême de 1850 le communisme comme « la bête féroce envoyée  par l’Enfer pour ravager l’Eglise et fouler aux pieds la Société universelle [20] », Mgr Croizier, évêque de Rodez, prend la tête de la lutte anticommuniste.

 

Quels sont les effets de ce discours ?

Maurice Agulhon fait remarquer, qu’entre 1848 et 1851, il ne suffit pas de vendre ou même de faire distribuer des documents de propagande pour les faire lire, ni même de les faire lire pour convaincre. Cela amène à se poser la question de la réception des discours anticommunistes.

Quel impact ce discours, prêché dans les églises ou dans les journaux, a t’il pu avoir dans un département rural, profondément marqué par la religion catholique et de tendance politique conservatrice ?

Cette politique semble avoir pleinement réussi. La pression est tellement forte que certains candidats républicains se sentent contraints de faire des professions de foi anticommunistes. Le leader Cantagrel déclare : « Depuis dix ans le communisme se propage en France, je n’ai pas perdu une seule occasion de le combattre [21]». Carcenac, alors maire de Rodez,  s’exclame quand à lui : « On m’accuse de communisme alors que j’ai usé ma vie dans le travail industriel, à construire une fortune modeste sur laquelle j’appelle sans crainte l’examen de tous […] Je déclare que j’ignore en quoi consistent les doctrines communistes [22]. »

Mais ce constat doit être quelque peu nuancé. En Aveyron, malgré de bons scores aux élections, le comité n’a pu empêcher la progression de la diffusion des idées démocratiques ni éviter l’action de résistance en décembre.

Si Victor Schoelcher estime que la réunion de la Rue de Poitiers « n’a pas dépensé en pures pertes 5 ou 600 000 francs pour livrer une guerre de mensonges contre les démocrates socialistes [23]» rien ne permet d’attester, entre 1849 et 1851, un renforcement de la capacité des anticommunistes à convaincre.

 

B  –  Les conservateurs jugent la résistance républicaine :

Les conservateurs ne parlent jamais de coup d’Etat mais de dissolution de l’Assemblée nationale. Ils considèrent que le Président de la République a pris cette décision pour assurer le maintien de l’ordre et restaurer la paix civile mise à mal par des querelles de partis : « le chef de l’Etat faisait lui-même appel à l’expression régulière et pacifique à la volonté nationale [24]».

Ils critiquent vivement l’action des démocrates, les accusent d’avoir recouru « à la violence », et pris le risque de « créer l’anarchie [25]», mais également d’être à l’origine d’un mouvement insurrectionnel qui a conduit « au désordre [26]» et « a donné lieu aux scènes les plus affligeantes [27]».

Ils considèrent que les principes d’autorité  et de société sont supérieurs au texte constitutionnel. En conséquence à leurs yeux, il ne fallait pas se lever pour défendre la Constitution mais « maintenir les autorités chargées de veiller à sa sécurité [28]».

« On a prétendu que le préfet était immédiatement déchu de ses pouvoirs, la constitution étant violée par le chef du pouvoir exécutif, et, à l’appui de cette prévention, on a invoqué la constitution elle même. Eh bien ! La constitution dit précisément le contraire ; il suffit, pour s’en convaincre de lire son article 68 qui, dans le cas dont on parle, prononcerait tout au plus la déchéance du pouvoir exécutif, mais dont les auteurs n’ont pas même eu la pensée anarchique que, par ce fait, la société pût se trouver tout-à-coup privée de tous ses magistrats et de toutes les forces organisées pour sa défense [29]».

Le Journal de l’Aveyron aborde ici un des thèmes chers à la propagande du nouveau régime : le coup d’Etat ne met pas en cause la démocratie mais a au contraire été fait pour la sauver alors qu’elle était menacée conjointement par les royalistes et les démagogues.

Pour les conservateurs l’action des démocrates est restée un phénomène ultra minoritaire : «  la masse de la population est restée étrangère ou hostile aux efforts qui ont été faits pour la jeter dans les désordres et les malheurs de la guerre civile [30]».

 

Le journal semble se rendre compte que le coup d’Etat n’a pas déchaîné l’enthousiasme. Aussi marque t’il son soulagement lorsque sont connus les résultats du plébiscite de 1851.

« Le peuple français veut le maintien de l’autorité de Louis-Napoléon Bonaparte ! Telle est la décision suprême de la nation, échappée par miracle à la sauvage jacquerie de l’année 1852 . […] La majorité du 10 décembre s’est retrouvée plus compacte, plus nombreuse, accrue de toutes les voix que d’immenses services rendus au pays ont ralliées à Louis-Napoléon Bonaparte [31]».

La présentation des résultats lui donne une nouvelle occasion de fustiger l’action des républicains et la faiblesse de l’Assemblée royaliste :

« […] La société s’est sentie comme prise à la gorge par une poignée d’ennemis. Il lui suffisait d’un effort pour les terrasser ; mais, faute d’un mot d’ordre et d’un chef, malgré ses 750 sauveurs qui la laissaient périr sans dire ce mot, elle était à l’agonie ».

Elle lui permet aussi de célébrer les gloires de Louis Napoléon Bonaparte, l’homme de la Providence qui « a pris le commandement de l’armée de l’ordre [32]».

Le Journal de l’Aveyron publie également, sous la forme d’un feuilleton, la brochure de A. Granier de Cassagnac « Récit complet et authentique des évènements de décembre 1851 ».

Il la présente comme une brochure qui « donne des détails très curieux et jusqu’à ce jour inconnu [et qui] sont de nature à intéresser vivement [ses] lecteurs [33]. »

 

Mgr Croizier ne souhaite pas être en reste. Le 24 janvier 1852, par un mandement donné à la cathédrale de Rodez à l’occasion du Saint Temps de Carême de 1852[34], il donne sa vision des évènements de décembre.

« Nul d’entre vous n’ignore, vénérables Frères, les perfides artifices, les monstrueuses doctrines, les conspirations de toute espèce, que les ennemis de Dieu mettent en œuvre pour pervertir tous les esprits, corrompre les mœurs, faire disparaître, s’il était possible, la Religion de la face de la terre, briser tous les liens de la société civile et la détruire jusqu’à ses fondements ».

« Nous voulons dire que nous avons aperçu en quelque sorte ces cavernes obscures, ces antres profonds où se cachaient depuis longtemps des hommes pervers, des conspirateurs qui juraient sur le fer de voler, au premier signal, à la destruction de la Religion, de l’Eglise, de la propriété, de la famille et d’une autorité quelconque, et de n’épargner, s’il le fallait ni son père, ni son frère, ni les flancs mêmes qui y mirent le jour, et l’on a vu ô forfait inouï ! qui ont tenu ces exécrables serments  [35]. »

L’évêque reprend ainsi des propos tenus auparavant contre les seuls communistes.

Il ne donne pas d’information sur la résistance aveyronnaise mais met l’accent sur les lieux où la résistance a été la plus virulente. L’échéance de 1852, attendue par les conservateurs comme par les républicains, a été contrainte par l’initiative de Louis Napoléon Bonaparte. Il remercie celui-ci d’avoir mis fin à la peur du péril rouge.

« Vous le savez, les méchants ont été surpris et saisis à l’improviste, l’on a cru le moment venu, ils ont compris qu’ils ne pouvaient différer l’attaque, et qu’avons nous vu ? Les hommes s’armant pour aller renverser tous les pouvoir établis, que disons nous ? pour les égorger. Chez les populations autrefois si paisibles des campagnes, le soc innocent des hoyaux et des charrues se transforme en fer homicide, et l’incendie, et le meurtre, et la barbarie raffinée des cannibales, et le pillage organisé, et l’habit dénonçant, marquant les victimes, et le blasphème et la sacrilège haine des prêtres, et l’assouvissement effréné des passions les plus brutales, et pour tout dire d’un mot, l’enfer comme mis quelque moments sur la terre, pour nous faire détester les doctrines funestes des sophistes, ces exagérations d’un soi-disant patriotisme, qui n’est que le système agrandi des ravisseurs, des assassins et qui est à la lettre la fraternité de Caïn. Voilà ce que nous avons vu dans l’Hérault, l’Allier, la Nièvre, le Var, les Basses-Alpes et ce qu’on aurait vu sans doute dans toute la France, si l’on eût donné à la trame infernale le temps de s’ourdir et de s’achever. Voilà le dénouement affreux qu’on voulait donner à ce présage de 1852 dont on remplissait nos oreilles, et qui allait bientôt donner le glas et les funérailles du monde civilisé ! [36]. »

Ce texte se termine par une violente diatribe contre les socialistes. Soulagé par la victoire bonapartiste, il en appelle toutefois à la vigilance car à ses yeux le mal est loin d’être soigné. Si le fléau du socialisme a été stoppé par une intervention divine le mal n’est pas pour autant vaincu. Il accorde sans réserve son soutien à la politique mise en place par le Prince Président.

« Il est vrai, le grand fléau du socialisme, qui est le pillage en grand et organisé, l’assassinat en théorie et réglementé, ce grand fléau, par la miséricorde divine, a reçu un coup de massue terrible et qui l’écrase ; mais sans doute aussi il respire dans plusieurs de ses repères ; c’est un serpent, c’est une hydre dont les tronçons chercheront à se réunir ; c’est un feu qui vit sous la cendre et qui pourrait se ranimer. Comment tant de mauvaises pensées, tant d’instincts pernicieux seront-ils tout-à-coup réprimés et confondus de manière à ne se faire jamais plus aucun jour ? Le gouvernement ne manifeste pour la paix et la stabilité les meilleures et les plus louables dispositions ; il veut diminuer le nombre et l’infection des cabarets et des cafés, qui se sont propagés partout comme les noviciats des sociétés secrètes, les péristyles de ces antres de crime et de mort ; la cessation des travaux publics, au saint jour de dimanche, sera aussi un grand exemple, et pourra amener une notable amélioration dans la pratique de ce grand commandement du Ciel ; c’est par la Religion, sa pratique, sa liberté d’agir, que l’on sent en ce moment, dans les régions les plus élevées comme dans les plus communes, que l’ordre peut se rétablir, que la société, toute ébranlée, peut s’asseoir [37]. »

L’ampleur de la répression satisfait les gens de droite rassurés par l’écrasement des « rouges » et ils marquent leur gratitude au préfet en manifestant « leur reconnaissance pour l’immense service rendu, dans ces jours de terreur et d’angoisse, non seulement à la ville de Rodez, mais encore à tout le département [38]».

 

 

                             

 



[1] Arch. dép. Aveyron : PER 690. L’Echo de l’Aveyron, en date du mercredi 14 mars 1849, n°410 de la 5e année.

[2] « Comment meurt une République » : colloque organisé à Lyon en décembre 2001. Dans son allocution intitulée : 1849-1851 : l’anticommunisme en France. Le spectre rouge., François Fourn décrypte le « spectre rouge ». Il essaye de mettre en lumière le travail des anticommunistes sur l’opinion publique et le fonctionnement de leur propagande, à travers la grille d’étude suivante : les principaux acteurs d’abord, les discours qu’ils font fonctionner ensuite, enfin les effets qu’ils ont pu produire..

[3] Ibid.

[4] Arch. dép. Aveyron : PER 690. L’Echo de l’Aveyron, n°420 de la 5e année, en date du mercredi 18 avril 1849.

[5] Fourn F., op cit. Il poursuit : « le journal La Patrie  en prend la suite à partir de septembre 1850 ».

[6] Fourn F., op cit,  Aux électeurs. Où est le salut du pays, par un ami de la France, 1849 ; Le socialisme devant le bon sens populaire » ou « simples questions à MM les socialistes par n’importe qui (1850) …

[7] Fourn F., op.cit.

[8] Ibid.

[9] Arch. dép. Aveyron : PER 690. L’Echo de l’Aveyron, n°420 de la 5e année, en date du mercredi 18 avril 1849.

[10] Arch. dép. Aveyron : PER 690. L’Echo de l’Aveyron, n°413 de la 5e année,  en date du samedi 24 mars 1849 : « On souscrit au bureau de l’Echo à la publication de l’ouvrage de M. Théodore Muret, intitulé : LA VERITE aux ouvriers, aux paysans, aux soldats. Prix : 10 cent. l’exemplaire ».

[11] Arch. dép. Aveyron : PER 690. L’Echo de l’Aveyron, n°420 de la 5e année  en date du mercredi 18 avril 1849: « Notre appel a été entendu, et deux mille exemplaires de la brochure de M. Thédore Muret, LA VERITE aux ouvriers, aux paysans, aux soldats ont été enlevés en un seul jour, ainsi que les exemplaires qui nous étaient arrivés de la Visite au duc de Bordeaux, par Charles Didier ; Dieu le veut par Arlincourt ; De l’hérédité du pouvoir et Debout la Province ! par Alexandre Weill, et Le bon Messager pour 1849 ».

[12] Concernant Le Spectre Rouge de 1852, François Fourn estime que sa diffusion est surtout due au fait que « presque tous les journaux en ont donné un compte rendu ».

[13] Fourn F., op.cit.

[14] Arch. dép. Aveyron : PER 690. L’Echo de l’Aveyron et Arch. dép. Aveyron : PER 877. Journal de l’Aveyron.

[15]Arch. dép. Aveyron : PER 690. L’Echo de l’Aveyron et Arch. dép. Aveyron : PER 877. Journal de l’Aveyron .

[16] Fourn F., op. cit.

[17] Ibid.

[18] Ibid.

[19] Arch. dép. Aveyron : PER 690 : L’Echo de l’Aveyron, n°503 de la 6e année, en date du samedi 2 février 1850.

[20]Arch. dép. Aveyron : PER 690 : L’Echo de l’Aveyron, n°503 de la 6e année, en date du samedi 2 février 1850.

[21] Lajoie-Mazenc R., L’Aveyron en République(s) Inventaires, repères et Acteurs identifiés pour la traçabilité de la politique aveyronnaise 1800-2000, La Primaube,  Graphi Imprimeur, 2000, p 42.

[22] Ibid.

[23] Fourn F, op.cit, citant Schoelcher V. Histoire du crime du 2 décembre.

[24] Arch. dép. Aveyron : PER 877. Journal de l’Aveyron ( 1850-1851). N° 98 en date du samedi 6 décembre 1851. Texte inséré dans l’annexe n°29. L’Echo de l’Aveyron se contente d’en reproduire de larges extraits.

[25] Ibid.

[26] Ibid.

[27] Ibid.

[28] Ibid.

[29] Ibid.

[30] Ibid.

[31] Arch. dép. Aveyron : PER 877. Journal de l’Aveyron ( 1850-1851). N° 104 en date du samedi 27 décembre 1851.

[32]Ibid.

[33] Ibid. Elle est publiée par extrait en 6 numéros.

[34] Arch. dép. Aveyron : PER 877. Journal de l’Aveyron ( 1850-1851). N°15 de la 46e année en date du samedi 21 février 1852. Texte inséré dans l’annexe n°30.

[35] Ibid.

[36]Arch. dép. Aveyron : PER 877. Journal de l’Aveyron ( 1850-1851). N°15 de la 46e année en date du samedi 21 février 1852.

[37]Ibid.

[38] Arch. dép. Aveyron. : PER 609. L’Echo de l’Aveyron (1850-1851). N°696 en date mercredi 10 décembre 1851. Félicitations adressées par le Conseil municipal de Rodez au préfet de l’Aveyron. Texte reproduit dans l’annexe n°12.