Les Mayons

Les Mayons – 1851 – Au pays de la dame en rouge

par Bernard Lonjon

quatrième partie : Et après ?

Nos Mayonnais libérés, nous aurions voulu avoir la pudeur de ne pas suivre leur évolution et les laisser panser leurs blessures. Pourtant nous les retrouverons, eux et leurs fils, avec la République renaissante, participer à la construction du village dans leur contradiction voire leur opposition.

 

Le hameau sera libéré de la dépendance lucoise par le décret impérial du 7 novembre 1863. Dès lors, son histoire sera celle d’un combat mené pour sa constitution en commune dotée des édifices publics et des voies de communication nécessaires à son existence.

 

Dans le cheminement de l’histoire du village, beaucoup nous porte à penser que les clivages subsistèrent de longues années durant, même au sein des familles. La succession des différents conseils municipaux en est une illustration.

 

Faisant suite à la proclamation de la République, il est significatif que la commission de cinq membres instituée le 18 septembre 1870 par le préfet, soit composée de deux anciens insurgés, d’un fils d’insurgé et d’un instigateur du mouvement.

 

La municipalité républicaine qui conquiert [1] l’Hôtel de ville en octobre 1875 désigne comme maire Anicet Muraire et Albert Ollivier [2], premier adjoint, tous deux fils d’insurgés. Ils formeront un duo municipal de longues années durant.

 

La réapparition des clubs mérite une attention particulière.

 

En 1860, le préfet autorise, après avis favorable du maire du Luc, vingt Mayonnais à « se constituer en cercle sous la dénomination cercle de Saint-Jean[3] « . Sur ces vingt Mayonnais, onze sont d’anciens insurgés dont le président, tous passés devant les tribunaux.

 

« Ils promettent de ne pas s’occuper de politique et de se livrer à aucun jeu de hasard ».

 

« Ils s’engagent à concourir en toute circonstance au maintien de l’ordre et de la bonne harmonie entre les gens et de déférer immédiatement à toute réquisition de l’autorité locale qui proclamerait le concours des adhérents du cercle pour protéger les personnes ou les propriétés en cas de désordre ou de sinistre », selon les formules constitutives de ces cercles.

 

 

Le 19 juin 1862, le préfet autorise l’ouverture d’un autre cercle, de Saint-Pierre [4]celui-là, suivant les mêmes articles constitutifs.

 

Sur les dix huit adhérents, ils sont cinq anciens insurgés dont le président.

 

Deux autres cercles se constituent en 1872 :

 

Quatre  anciens insurgés sur  dix adhérents font partie du premier.

 

Les adhérents du second ont une moyenne d’âge de 25 ans.

 

Observons la participation active des anciens insurgés au fonctionnement de ces cercles, héritage sans doute du militantisme d’avant 1851, même si ces sociétés n’ont plus rien à voir avec les chambrées d’alors.

 

Pourtant, la chronologie de leur constitution, comme celle des conseils municipaux d’ailleurs ne traduit-elle pas des fissures au sein de la famille républicaine de 1851 ?

 

Trente ans après, la reconnaissance par la République des insurgés comme victimes, sera l’occasion de fournir à la commission départementale chargée de décider le bénéfice et fixer le montant de l’indemnisation à verser [5], des appréciations qui expriment la diversification des voies empruntées par chacun. Ils ne se sont pas « toujours trouvés ensemble sur la brèche aux moments les plus critiques pour donner des réunions en campagne dans des maisons particulières », selon les termes des insurgés chargés de fournir en 1881 des observations sur leurs compagnons de lutte.

 

Plus que ces divergences, retenons le maintien d’un militantisme actif pour la diffusion des idées et la constitution d’un fonds républicain hérité de 1851 qui viendra au pouvoir avec la génération des fils.

 

La reconnaissance des insurgés par la Nation est tardive. Aux Mayons, l’indemnisation des victimes est l’occasion d’un geste de leur part dont la valeur symbolique est à la mesure des idéaux alors défendus.

 

 

 

En promettant, lors de la séance du conseil municipal d’octobre 1880, de verser 15% du montant de la première année de pension qui pourrait leur être versée, ils ajoutent au legs d’Hyppolite Giraud, la contribution des Mayonnais à l’acquisition d’une horloge au village[6].

 

Durant cette période de construction, la nouvelle place à l’entrée du village sera baptisée Place de la République. Elle deviendra avec l’édification du monument aux morts après la première guerre, place de la Victoire.

 

135 ans après, la municipalité Christian Vergari, dans sa deuxième mandature scandera à nouveau le souvenir de 1851 en donnant à une rue le nom de Solange Lonjon.

 

Et maintenant, à l’heure du 150 ème anniversaire, que reste-t-il du souvenir ?

 

Une génération aujourd’hui disparue aurait-elle pu nuancer le sentiment d’ignorance constaté et la réduction de l’événement à la perception d’une pension.

 

Pensionnés a pu alors être un autre vocable possible pour désigner les descendants de ceux que l’on a appelé insurgés, proscrits, victimes, résistants, autant de qualificatifs qui jalonnent l’évolution des approches.

 

Cet oubli collectif, au fil du temps, caractéristique de l’érosion de la mémoire des actes même les plus nobles, est-ce un voile volontairement jeté par une communauté sur une action pourtant majeure, est-il lié à la pudeur propre aux sociétés rurales, est-ce la disparition des familles de quelques acteurs essentiels, est-ce la conséquence des mutations sociologiques subies par nos villages, est-ce le sentiment de culpabilité que certaines familles ont pu ressentir d’avoir un ancêtre proscrit ?

 

Sans doute un amalgame de tous et d’autres.

 

Reste alors à nous interroger sur la capacité que nous aurions à nous mobiliser pour défendre des idéaux et des valeurs que le temps risque de menacer.

 


[1]  selon le terme choisi par P. Maurel dans sa monographie des Mayons

[2] : on connaît déjà Anicet Muraire. Albert Ollivier est le fils de Jean Baptiste Ollivier qui fut transporté en Algérie.

[3] Saint-Jean est le saint protecteur principal du village.

[4]Saint-Pierre, est avec Saint-Joseph déjà vu, le troisième Saint protecteur du village.

[5] La loi du 30 juillet 1881 accorde « une rente viagère incessible et insaisissable » aux victimes et à leurs descendants au vu d’un dossier examiné au chef-lieu du département par une commission composée du préfet, de 3 membres du conseil général désignés par le préfet et de 3 délégués élus désignés par les intéressés. Ces rentes varient de 100 à 1200 francs par an. (Aux Mayons, aucune ne dépassera 100 francs),

[6] La tradition orale par la voix de Marguerite Berenguier, nous a transmis ces vers qui auraient mérité d’être gravés sur la cloche :

 

« Vivo l’argen dei prisoun

 

Qu’a fa véni l’orelogi ei Mayouns

 

Emé lis escu de Palite Giraou

 

Qu’en fa piqua lou mataou.

 

Vive l’argent des prisons,

 

Qui a fait venir l’horloge aux Mayons

 

Et les écus d’Hyppolite Giraud

 

Qui ont fait frapper le marteau.