L’insurrection à Vinon

Bulletin de l’Association 1851-2001

N°12 – oct.-nov.2000

 

L’insurrection de décembre 1851 à Vinon

 

Avec l’aimable autorisation de Nicole FAURE, nous présentons ici l’essentiel du travail qu’elle a consacré, avec la participation de Laurence Joly, à Vinon, localité varoise aux confins des Basses Alpes et des Bouches-du-Rhône. Précocement et résolument acquise aux idées de la démocratie avancée, la population vinonnaise s’engagera massivement dans l’entreprise insurrectionnelle, et sera pour de longues années ensuite tenue en main par un pouvoir qui, après avoir brisé la résistance des armes, voudra aussi briser celle des consciences. R.M.

 

Au moment où va se déclencher l’insurrection de décembre 1851, le village compte 1232 habitants, dont près d’une centaine vivent dans des fermes isolées. Il y a peu d’étrangers, seulement sept Italiens sont recensés.

284 vivent de la terre (188 propriétaires cultivateurs, 9 fermiers, 8 fermiers propriétaires, 2 métayers propriétaires, 57 journaliers propriétaires, 18 domestiques, 2 bûcherons charbonniers), 65 de l’artisanat et du commerce. On dénombre 1 pensionné de l’Etat, 3 fonctionnaires et magistrats, 1 médecin, 2 instituteurs, 1 ecclésiastique.

 

L’atmosphère politique à Vinon

L’adhésion d’une partie des Vinonnais à des idées avancées n’est pas nouvelle. Aux municipales de 1840 (au suffrage censitaire) le parti réformiste obtient 58 voix et le parti conservateur 32 voix.

Le village se réjouit de la proclamation de la République, qui se concrétise le 4 novembre par la promulgation d’une nouvelle constitution. L’enthousiasme de la communauté vinonnaise pour le nouveau régime est sensible dans la décision du Conseil Municipal du 14 novembre 1848. Pour fêter l’avènement de la République avec tout l’éclat que mérite cet événement, la commune va allouer la somme de cent quatre-vingt francs à la célébration de la fête.

Il faut noter qu’à partir de la séance du 15 mai 1848, la composition du Conseil Municipal se trouve modifiée sans qu’aucun procès-verbal ne fasse mention de nouvelles nominations. Joachim Capon, qui avait été nommé maire le 4 juillet 1847, a cédé la place à Victor Roussenq. Les signatures des nouveaux conseillers paraissent très maladroites, comparativement à celles de leurs prédécesseurs. Sans doute les nouveaux administrateurs de la commune sont-ils issus de milieux modestes.

Pour l’élection du président de la République, le 10 décembre 1848, les Vinonnais doivent se rendre à Ginasservis, distant de 7 km. La 2ème section du canton de Rians, qui comprend les communes de Ginasservis et de Vinon, a voté de la façon suivante :

Ledru-Rollin, 241, Cavaignac, 136, Bonaparte, 5, Changarnier, 1.

 

Chambrées et société secrète

Comme la plupart des villages voisins, Vinon dispose d’un nombre important de débits de boisson, qui sont bien plus fréquentés par les villageois que par les voyageurs. C’est une coutume qui depuis longtemps rassemble les hommes autour d’un verre, pour discuter à certaines heures de la journée. Au-delà de l’aspect social, la fréquentation des cafés s’inscrit aussi dans le domaine politique. Aussi ces lieux sont-ils surveillés. Les arrière-salles des cabarets servent parfois de lieu de réunion politique. Ces pièces sont appelées « chambro » ou « chambreto »; par extension, « chambreto » va bientôt désigner des réunions semi-secrètes. Celles-ci vont tout aussi bien se tenir chez un particulier.

« Le 11 août 1849, le procureur général du parquet d’Aix-en-Provence signale au préfet du Var que le substitut de Brignoles doit lui remettre un dossier concernant une société qui se réunit à Vinon chez le sieur Marc Colombet, adjoint au maire, et qui avait été dénoncée comme un véritable club politique.

Le juge de paix de Rians a fait une descente à l’improviste dans le local de cette société et le procureur doit reconnaître « qu’il ne s’y trouvait aucun de ces emblèmes séditieux dont on avait parlé. Les membres de la réunion ont dit qu’ils ne se réunissaient que pour boire et chanter et aussi pour s’entretenir des affaires de la commune ». Le procureur conclut qu’il n’est donc pas possible de poursuivre cette société comme un club politique. Mais comme elle est composée d’individus d’une opinion démagogique exaltée, elle paraît au procureur menaçante pour la tranquillité publique. « Si les temps redevenaient troubles et orageux, elle risquerait de reprendre son caractère de club politique et d’exercer une action funeste sur l’esprit et les dispositions des habitants ». Le procureur laisse au préfet le soin de prendre une décision.

Le 12 août 1849 le préfet prend un arrêté ordonnant la fermeture de la société se réunissant chez Colombet. En fait depuis la visite impromptue du juge de paix, il n’y a plus de réunion chez lui. Il écrit au sous-préfet pour dénoncer ses calomniateurs, qui sont aussi ses adversaires politiques, de vouloir simplement reprendre le pouvoir dans la commune. Mais les renseignements que communique le juge de paix au sous-préfet vont entraîner sa révocation. En effet, bien que menant une vie privée irréprochable, et ne souhaitant pas la disparition de la religion, de la famille et de la propriété, il a des opinions politiques très avancées. D’après le juge de paix , « il est dans l’erreur à cause de la lecture de journaux subversifs qui ont été répandus avec profusion, avant les dernières élections (celles du 13 mai 1849) dans les communes rurales ».

Colombet est victime de dénonciations, car bien sûr, les rivalités politiques sont très vives dans le village, d’autant plus que les deux camps s’opposent à propos de l’existence d’un droit de propriété de la commune sur certains terrains.

 

L’affaire des biens communaux

La propriété des Iscles formées par le cours irrégulier du Verdon et de la Durance a souvent fait problème dans l’histoire de Vinon. Les querelles à ce propos entre les seigneurs vinonnais et la Communauté remontent à l’année 1490.

Par des transactions de 1679 et de 1757 intervenues entre l’Ordre de Malte, qui possédait le fief de la commune de Vinon et les Consuls et habitants de cette commune, celle-ci fut maintenue dans la propriété pleine et entière des iscles formées par le Verdon, et de celles qui se formeraient à l’avenir et à jamais. Ces droits de la commune ont été reconnus et consacrés par un arrêté de la Cour Royale d’Aix du 24 février 1824. D’autre part, une transaction de 1626 reconnaît la commune de Vinon propriétaire des iscles formées le long de la Durance.

En 1848 la commune persuadée de ses droits sur ces terrains souhaite en vendre une partie. En effet, seule la vente de terrains peut constituer des recettes suffisantes pour que la commune puisse poursuivre les travaux d’endiguement du Verdon.

La rivière est une formidable richesse pour l’agriculture, mais ses crues régulières sont catastrophiques pour les récoltes, et l’histoire des Vinonnais est d’abord celle de leur lutte contre les caprices du Verdon.

Le 15 mai 1848 le conseil municipal décide de partager les biens communaux entre les habitants du village, afin qu’ils soient cultivés. Ce partage s’avère illégal, comme le signalera le préfet le 17 septembre 1848.

Mais certains agriculteurs ont commencé à défricher une partie des iscles de la Durance. Il s’agit de Garcin, Tassy et Colombet. La famille De Brossard (Achille De Brossard faisait partie de l’ancien conseil municipal) va revendiquer la propriété de ces îlots devant la justice avec de solides arguments : en 1740 une partie des iscles de la Durance appartenait à la famille De Brossard. Trouvant inadmissible ces prétentions, la commune, qui souhaite vendre une partie de ces terrains, entre en procès avec les frères De Brossard.

Tous les agriculteurs du village, en particulier les plus pauvres, face à l’attitude de ces propriétaires et de leurs partisans (qui votent pour des candidats modérés) vont adopter les idées du parti adverse, pensant qu’ils atteindraient plus rapidement leur but (récupérer les biens communaux) si le parti de la Montagne arrivait au pouvoir.

Cette possibilité de récupérer les biens communaux, si les républicains se trouvaient au pouvoir, est un argument utilisé par la société secrète de Vinon, pour rallier de nombreux agriculteurs à ses idées.

Ainsi, beaucoup de Vinonnais partant pour Aups le 7 décembre 1851, croiront de bonne foi que c’est un moyen pour eux d’obtenir l’établissement des droits communaux sur les terrains qui font depuis si longtemps objet de litiges.

 

L’insurrection

 

La « prise de la mairie » et le départ

À Vinon, la nouvelle du coup d’Etat est connue le 5 décembre, date à laquelle les membres de la société secrète se réunissent pour en discuter. Sans doute a-t-il aussi été question des actions à envisager pour réagir contre ce coup porté à la République. D’après les renseignements qu’il a récoltés, le juge de paix de Rians affirme que le 5 décembre vers neuf heures du soir, une cinquantaine d’individus appartenant à la société secrète, se sont réunis chez un dénommé Palanque pour décider du déroulement des futurs événements.

En fait, l’ordre de partir pour Draguignan va venir de La Verdière où Edouard Charles, un rentier de 45 ans, dirige le mouvement des insurgés. Dans cette commune, dès le 6 décembre, la population est en effervescence. Une lettre anonyme qui parviendra dans les bureaux de la Présidence de la République accuse les insurgés, au nombre approximatif de 200, d’avoir déchiré la proclamation du Président de la République, d’en avoir affiché une autre et d’avoir crié à tue-tête dans les rues : « Vive les Rouges, vive la Sociale, à bas les Blancs, du sang jusqu’au coude, des guillotines à vapeur », en promenant un drapeau rouge. Le dénonciateur rajoute que des actes de violence ont été commis contre le maire, le buraliste, le distributeur des postes et les dames religieuses. L’auteur de la lettre, qui donne une liste de noms, demande à ce qu’elle soit recopiée afin qu’il ne soit pas reconnu.

 

Texte de la proclamation affichée à La Verdière le 6 décembre 1851

Par un décret, daté du 2 décembre, le Président de la République, violant la Constitution, a dissous l’assemblée.

Par l’article 110 de la Constitution, le peuple, au patriotisme duquel cette Constitution était confiée, a le Droit et le Devoir de protester, de résister même par la force à ces tentatives inconstitutionnelles.

Plein de notre droit, fort dans notre conscience de Républicain, nous proclamons dès ce jour le Président Louis Napoléon traître à ses serments et à ses devoirs et le mettons lui et son gouvernement hors la loi.

Citoyens, habitants de la commune de la Verdière, en accomplissant ce devoir en vertu de la loi qui nous y autorise, nous ne voulons que résister à un pouvoir imposé et provocateur, et maintenir la tranquillité que l’élu du 10 décembre a voulu compromettre dans sa coupable ambition.

Que tout citoyen reste donc ferme et résolu dans son droit, calme dans son attitude et protecteur pour tous les intérêts comme pour toutes les personnes.

Le triomphe de la République est à ce prix.

Vive la République Démocratique et Sociale.

Édouard Charles.

 

 

À Vinon le départ des insurgés se fera dans une atmosphère plus calme.

Ce n’est que le dimanche 7 décembre au matin que les républicains de Vinon commencent à agir.

D’après le procès-verbal dressé par le maire ce même jour, une vingtaine de Vinonnais se sont présentés chez lui vers 8 heures, pour demander les clefs de la mairie afin de s’emparer des armes qui y étaient enfermées.

Le maire s’oppose à cette demande et les individus se dispersent. Vers 10 heures, une bande plus importante s’approche de la mairie. Cette fois le maire ne peut pas leur résister, ils entrent et s’emparent des armes.

Il est probable que Victor Roussenq, le maire, aura donné les clefs bien plus facilement qu’il ne le relate dans le procès-verbal destiné au procureur de la République. Il était républicain et bien que les témoignages aient manqué, faisait sûrement partie de la société secrète. De plus son entourage était particulièrement compromettant : Fabre, président de la société secrète, était son gendre, Siméon, chef de la colonne des insurgés, était son ami intime, Guis, lui aussi très compromis aux yeux des autorités, était son adjoint. Ceci dit, il a sans doute joué un rôle apaisant pendant l’insurrection et par la suite.

Pour en revenir à la suite des événements, il a également remis les clés du clocher et le tocsin a sonné. Une réunion va se tenir sur les aires où un nommé Audan de Gréoux (Basses Alpes) donne lecture d’une lettre de monsieur Charles. Cette lettre ordonne aux habitants de Vinon d’aller le rejoindre à La Verdière. Un poste de garde est établi à la mairie et une soixantaine d’hommes partent pour La Verdière sous les ordres de Joseph Siméon qui porte le drapeau rouge.

Tous les Vinonnais ne sont pas partis de gaieté de cœur. Un rapport du 4 février 1852, fait par le juge de paix au procureur de la République, nous donne une illustration des conflits apparus au sein de la population.

Le 7 décembre au matin, Jean Sèveran voit arriver chez lui son cousin Joseph Sèveran, armé d’un fusil, et la femme de Joseph, qui lui demandent de rejoindre les insurgés. Face à son refus, ils le menacent d’être fusillé s’il persiste à rester. Conduit de force à la mairie, il obtiendra d’y demeurer pour monter la garde, grâce à l’intervention de Siméon. Devant ce qu’elle considérait comme une incroyable lâcheté la femme de Joseph Sèveran lui déclara qu’il n’avait ni cœur ni courage, que si son mari ne devait pas partir, elle le chasserait à coups de pieds. Elle va d’ailleurs précipiter le départ de la colonne et l’accompagner un moment. Le juge de paix écrit : « C’est une femme d’une exaltation peu commune, une mère de famille à qui une bonne leçon serait bien appliquée ». Elle ne sera pas inquiétée.

Certains participeront à l’insurrection sous l’effet de menaces ou de promesses (la fameuse récupération des biens communaux). Une bonne partie cependant agit consciemment, avec une volonté farouche de préserver la République et de mettre les républicains au pouvoir.

 

Le périple de la colonne vinonnaise

Arrivée à La Verdière, la colonne reçoit l’ordre de marcher sur Draguignan pour y faire une démonstration pacifique. Ils se rendent jusqu’à Barjols où ils passeront la nuit. Le 8 décembre, ils arrivent à Salernes, où ils logeront à l’auberge Ferrat en payant 1F10 chacun. Ils arrivent à Aups le mardi 9 au soir. Dans cette commune dans laquelle son beau-frère habite et qu’il connaît bien, Siméon Joseph, le chef des Vinonnais, va accompagner monsieur Charles pour réquisitionner quelques objets utiles à sa troupe. Il avouera être allé chez Arnaud, quincaillerie, et chez Gérard, cordonnier, et avoir obtenu d’eux des bas, des blouses, des tricots et trois paires de souliers. Il a promis à ces commerçants que la commune de Vinon paierait ultérieurement.

Le mercredi 10 décembre quand la colonne militaire arrive à Aups, les Vinonnais se trouvent sur le cours. Certains ne sont même pas armés, ou bien ont un fusil mais pas de munitions, tel Casimir Grambois. Ceux qui ont une arme ne s’en serviront pas.

Siméon est un des premiers à s’enfuir. Il n’est pas interpellé par la troupe et va même rester encore deux jours à Aups chez son beau-frère. La plupart des Vinonnais rentrent chez eux sur le champ, accompagnés de monsieur Charles de La Verdière qui s’enfuira et sera jugé par contumace.

Quelques-uns seront faits prisonniers sur place comme France Jean-Baptiste ou Constantin Bienvenu.

Les conséquences de la participation vinonnaise au soulèvement varois ne vont pas tarder à se faire sentir.

 

La répression

D’une part, certains Vinonnais ont déjà été arrêtés à Aups par la troupe, d’autre part certains n’ont fait qu’un bref séjour à Vinon au retour d’Aups et sont allés se réfugier dans un village voisin, tel Rambert Mathias qui va demeurer quelque temps à Valensole (Basses Alpes), jusqu’à ce que les autorités remettent la main sur lui et l’arrêtent.

Les noms des insurgés sont rapidement connus. Dès le 9 décembre, le préfet demande au maire de Vinon de lui communiquer la liste des personnes qui se sont absentées de la commune depuis le 7 décembre.

Le 14 décembre Victor Roussenq envoie au préfet une liste de 54 noms. Il précise qu’à son avis, ces hommes n’avaient aucun projet déterminé. Il écrit : « Plusieurs n’ont marché que par curiosité ou pour faire comme les autres et un assez grand nombre sans savoir ni pourquoi ni dans quel but ».

Les dénonciations auraient de toute façon permis de faire un inventaire précis des insurgés. Et dès le 16 décembre, le parquet d’Aix en Provence signale au préfet que le maire de Vinon protège les insurgés et qu’il a favorisé le départ pour Aups. Le procureur général conseille au préfet de prendre les mesures qui s’imposent contre Roussenq.

De plus, le 18 décembre, monsieur De Brossard (conseiller municipal avant mai 1848) écrit au préfet, accusant Roussenq d’avoir donné volontairement les clés de la mairie aux insurgés et de faire partie de la société secrète.

Il accuse l’adjoint Julien Guis d’avoir déchiré les dépêches annonçant le retour à l’ordre dans tout le pays. Il accuse aussi, sans les nommer, des Vinonnais d’avoir tenté d’assassiner un partisan de l’ordre qui affichait ces dépêches. Constatant que les élections du 20 décembre ne peuvent se faire avec un tel conseil municipal, il demande au préfet de nommer une commission municipale provisoire et désigne pour en faire partie Capon Joachim, Roux Casimir, Giraud Jean Baptiste. Les deux derniers sont les seuls membres conservateurs du conseil municipal en place.

La colonne militaire, qui passe de village en village, est à Vinon le 22 décembre et ordonne la dissolution du conseil municipal qui est remplacé par une commission administrative de trois membres. Le capitaine Blondel, commandant la gendarmerie du Var, décide tout d’abord d’arrêter 74 personnes, mais ne sachant pas comment faire transférer autant de prisonniers, il ne garde en état d’arrestation que 24 d’entre eux.

À partir de là, la machine administrative va s’attacher à remettre de l’ordre dans la commune. Le 3 janvier 1852 le préfet nomme une nouvelle commission municipale provisoire qui écarte pour de longues années les républicains des affaires communales. Sont nommés membres de cette commission : Capon Joachim, président, Roux Casimir, Giraud Jean-Baptiste, De Brossard Achille, Giraud Joseph.

Le juge de paix enquête pour connaître les noms de tous ceux qui, d’après lui, devraient être poursuivis. Il a connaissance de l’organisation des sociétés secrètes du canton par les déclarations que lui ont faites divers membres de ces sociétés, mais aussi par la rumeur publique qui est porteuse de toutes les calomnies.

Le 13 janvier 1852, le juge communique au procureur de la République les noms des responsables de la société secrète. Il est particulièrement virulent à l’encontre de Sébastien Roux qui selon lui « a embauché la majeure partie du canton » (dans les sociétés secrètes) et se trouve encore en liberté.

Le 30 janvier c’est le procureur général d’Aix-en-Provence qui donne au procureur de la République de Brignoles une série de renseignements sur Joseph Siméon.

Au cours du mois de janvier, le juge de paix procède à certains interrogatoires et transmet les informations au procureur de la république. Le 22 janvier, il annonce qu’en vertu de l’autorisation qui lui avait été donnée, il a fait arrêter ceux des insurgés ou membres des sociétés secrètes qui lui paraissaient les plus dangereux. En effet, le brigadier Imbert et un gendarme ont conduit à Rians Roux Sébastien, Blanc Gustave, Pardigon Auguste, Séveran Joseph et Arnaud Joseph. De brigade en brigade, ils seront ensuite transférés à Brignoles.

Dans le même temps, certaines personnes interviennent pour réclamer l’indulgence de la justice. C’est ainsi que le 9 janvier, le curé de Grasse écrit au juge pour lui demander d’être indulgent vis-à-vis de Siméon Joseph, arguant qu’il a tout fait pour éviter les excès de la part de sa troupe.

Le 15 janvier Baptistine Rigaud, épouse de Rigaud Casimir, envoie au procureur de la République un certificat du maire Capon précisant que Rigaud n’avait pas arrêté le courrier, comme on l’en avait accusé.

Et bien sûr, à côté, les dénonciations vont bon train, qui reprochent notamment à la justice de laisser Victor Roussenq en liberté. Celui-ci est accusé par Joachim Capon d’intimider par la menace ceux qui pourraient faire des révélations sur son compte. Mais jamais le juge de paix ne se prononcera en faveur de son arrestation.

Au début du mois de février, tous ceux qui sont gênants à cause de leurs opinions politiques, sont en prison et attendent leur jugement. Tout est en place pour que la justice répressive mise en place par le pouvoir remplisse ses fonctions : éliminer du pays tous ceux dont les idées risquent de mettre en péril le pouvoir de Bonaparte.

Certains Vinonnais sont détenus à Brignoles et d’autres à Draguignan. Dans les deux villes, l’interrogatoire est mené par le juge du tribunal de première instance ou plutôt par un délégué du juge. Les motifs de l’arrestation sont donnés par la commission militaire de Draguignan. Ils sont de plusieurs ordres. Les inculpés se voient d’abord reprocher des faits, et l’accusation est du type : – Est allé à Aups. – Est allé à Aups armé d’un fusil. – A suivi la colonne des insurgés jusqu’à Salernes. – Faisait partie du rassemblement qui a pris la mairie le dimanche 7 décembre. – A réquisitionné certains objets dans des magasins.

Mais l’ordre dans lequel se déroulent les interrogatoires montre bien que ce qui paraît essentiel au juge est l’appartenance éventuelle à la société secrète de l’accusé et son rôle dans l’affiliation d’autres membres. Les accusations sont ainsi libellées : – Faisait partie de la société secrète. – Président de la société secrète. – A fait plusieurs affiliations. – A assisté à une (ou deux) affiliation(s).

Bien sûr, pour beaucoup ces deux types d’accusation se combinent. S’y rajoutent des éléments vagues et très subjectifs : – Exalté. – Très exalté. – Très dangereux.

Il ressort de la lecture des interrogatoires que les juges ne s’intéressent guère aux seuls faits qui pourraient être légalement reprochés et qui sont :

– La réquisition de divers articles vestimentaires chez des commerçants par les deux chefs vinonnais Pardigon et Siméon.

– Le vol à la mairie de cinq fusils, d’un tambour, d’un drapeau et de la clé du clocher. Ces objets n’avaient toujours pas été restitués le 23 janvier 1852, mais on ne savait pas précisément quelles étaient les personnes qui les avaient emportés.

Pour le reste, il ne semble pas qu’il y ait eu véritablement de violences ni à Vinon, ni à Aups, de la part des Vinonnais.

Ce sont donc ceux dont les opinions étaient les plus dérangeantes et qui avaient le plus d’influence qui allaient être sévèrement punis.

La commission départementale qui avait ordre de faire diligence, va statuer rapidement sur le sort des accusés, au vu des pièces du dossier. Les cas des trente-huit Vinonnais sont traités en un seul jour le 23 février 1852. Ceux qui sont considérés comme des meneurs capables d’influencer leur entourage seront condamnés à un séjour de 5 ans en Algérie ou à 3 ans d’exil.

Arnaud Joseph, cultivateur, 35 ans, internement. Bremond Joseph, boulanger, 27 ans, surveillance. Bienvenu Constantin, cultivateur, 26 ans, surveillance. Blanc Gustave, cultivateur, 20 ans, surveillance. Constantin Joseph, cultivateur, 25 ans, Algérie 5 ans. Colombet Marc, propriétaire, 52 ans, surveillance. Coulomb Antoine, voiturier, 36 ans, surveillance. Chaise Nicolas, cultivateur, 35 ans, surveillance. Dast François, cultivateur, 31 ans, surveillance. France Julien, cultivateur, 33 ans, internement. France Jean-Baptiste, cultivateur, 18 ans, internement. Ferraud Honoré, berger, 33 ans, surveillance. Fabre Joseph, instituteur, 28 ans, Algérie 5 ans. Grambois Casimir, cordier, 33 ans, surveillance. Grambois André, cultivateur, 40, surveillance. Grambois Maximin, cordier, 51 ans, Algérie 5 ans. Gouin Ferdinand, cultivateur, 22 ans, Algérie 5 ans. Guis Julien, perruquier, 28 ans, exil 3 ans. Jouvin Joseph, cultivateur, 21 ans, internement. Gautier Joseph, cultivateur, 50 ans, surveillance. Maurras André, cultivateur, 38 ans, internement. Maurras Siméon, cultivateur, 22 ans, internement. Maurel Joseph, cultivateur, 24 ans, Algérie 5 ans. Mayen Marius, cultivateur, 30 ans, Algérie 5 ans. Nevier Paul, cultivateur, 36 ans, surveillance. Perrache Jean-Baptiste, cultivateur, 28 ans, internement.

 

Grâces et commutations de peine

Les mesures de grâce commencent à se manifester dès avril 1852 avec la mission de Quentin Beauchard dans le Var, qui commue la presque totalité des peines d’internement. D’autres grâces suivirent en septembre au cours de la visite présidentielle, puis lors du rétablissement de l’empire.

Pendant les années qui suivent, certains condamnés verront leur peine allégée, certains seront même graciés. Mais au cours de cette période la correspondance administrative montre bien que la surveillance des anciens insurgés ne se relâche guère.

En juillet 1852, le maire, Joachim Capon, informe la préfecture que Brémond, placé sous la surveillance de la haute police pour cause politique, a quitté la commune le 11 juillet pour se rendre dans les Bouches-du-Rhône. Or, il n’avait pas le droit de changer de département sans autorisation du préfet. Le sous-préfet de Brignoles qui prend l’affaire en main découvre que le dénommé Robert a commis la même imprudence que Brémond. Il estime que pour l’exemple ils doivent être arrêtés. Un arrêté préfectoral du 26 juillet 1852 ordonne l’internement des deux coupables hors du département. Le ministère consulté désigne la ville de Gap (Hautes-Alpes) comme lieu d’internement.

La mesure est sévère si l’on sait que la commune de Saint-Paul, effectivement située dans les Bouches-du-Rhône, n’est qu’à treize kilomètres de Vinon et que le propriétaire du château de Cadarache est intervenu en faveur de Robert. Il avait engagé ce dernier pour moissonner, sans penser aux conséquences que pouvait entraîner un éloignement de trois quarts de lieue du village.

Certains condamnés commencent par demander le droit de se rendre pour un temps dans leur famille. Sibon Martin, interné à Draguignan, demande le 15 octobre 1852 au maire d’obtenir du préfet une autorisation de faire un séjour à Vinon pour s’y occuper de ses affaires, dont ses parents très âgés ne peuvent pas s’occuper. Sa lettre est accompagnée d’un avis favorable du commissaire de police. Il obtiendra de passer un mois à Vinon. Le 7 janvier 1853 il écrit au préfet pour le remercier. Par la même occasion, il lui demande l’autorisation de rester chez lui. Il invoque sa conduite irréprochable et affirme qu’il regrette amèrement les erreurs qu’il a commises. Le maire et le juge de paix donnent un avis favorable à une remise de peine. Ce n’est que le 22 août 1854 que celle-ci deviendra effective.

Certains hésitent à déposer un recours en grâce et c’est quelqu’un de la famille qui s’en charge. C’est ce que va faire le père de Guis Julien. Mais le préfet répond au ministre qu’il n’y a pas lieu de donner suite à cette demande, les opinions politiques de l’intéressé n’ayant pas changé. Le sous-préfet questionné indique que Guis ne veut pas renoncer à son passé. Pourtant en 1855 Guis ainsi que Colombet envoient au ministre un recours en grâce. De plus ils figurent sur un état adressé par la préfecture au ministre, contenant le nom de ceux qu’il est possible de gracier.

Mais d’après les renseignements fournis au ministère par le parquet de Draguignan, « malgré la réserve dont ils s’entourent journellement, ils n’ont pu réussir à dissimuler leurs relations avec leurs anciens amis politiques et les espérances coupables qu’ils entretiennent pour l’avenir ».

Entre temps le nouveau sous-préfet de Brignoles informe le préfet que contrairement à ce qu’avait prétendu son prédécesseur, Guis et Colombet sont des hommes dangereux et qui ont une certaine influence dans le parti démagogique de Vinon.

Roux Sébastien, transporté, va choisir de rester en Algérie. En août 1855 il demande l’autorisation de rentrer à Vinon pour un mois afin d’y régler des affaires d’intérêt. Déjà toute sa famille est en Algérie. En septembre 1855 il obtient l’autorisation de résider en Algérie en restant soumis à la surveillance. Au cours de l’été 1858, il séjourne quelque temps à Vinon pour y vendre une propriété. Le montant de cette vente doit lui permettre d’exploiter une concession de terrain qui lui a été accordée dans la province de Constantine.

Dans l’ensemble, une surveillance, attestée par la correspondance entre juge de paix, sous-préfet et préfet, a continué à s’exercer sur tous ceux qui à un moment donné, avaient manifesté des idées qui ne convenaient pas au pouvoir impérial.

 

Nicole FAURE