La résistance en pays saint-maximinois

article publié dans Pays Sainte-Baume, n°9, septembre 2001

LA RÉSISTANCE AU COUP D’ÉTAT DE 1851 DANS LE PAYS 

SAINT-MAXIMINOIS

 

 

par Alain Decanis

La place Martin Bidouré à St Maximin (photo Jean-Marie Guillon)

LE CONTEXTE

 

 

 

Le 24 février 1848, sous la pression du peuple, le dernier des rois de France, Louis-Philippe, abdique. Il met ainsi fin à la monarchie de Juillet, ce qui engendre le ralliement de pratiquement toutes les classes dirigeantes à la République.

 

Plus que dans un climat de véritable révolution, c’est plutôt dans la confusion qu’un gouvernement provisoire, proclame la 2ème République.

 

Le 23 avril se déroulent les élections de l’Assemblée nationale constituante, au suffrage universel et par scrutin de liste. Les résultats sont favorables aux républicains modérés qui nomment une commission exécutive de cinq membres pour gouverner (Arago, Garnier-Pagès, Marie, Ledru-Rollin et Lamartine).

 

Cependant, cette dernière, se trouve très vite confrontée à des difficultés à la fois financières et économiques qui génèrent des troubles sociaux. Après les émeutes de juin, l’Assemblée constituante remplace la commission par un seul chef de l’exécutif. C’est un républicain modéré, le général Cavaignac, qui est nommé à ce poste.

 

Dans ce contexte d’insatisfaction générale, les élections municipales et des conseillers généraux qui se déroulent respectivement en juillet et en août, donnent une large majorité aux conservateurs qui se sont organisés autour du « parti de l’Ordre ».

 

Le 4 novembre 1848 est adopté la nouvelle Constitution. Elle donne l’exécutif à un Président de la République élu au suffrage universel direct pour quatre ans et dont le mandat n’est pas renouvelable, et le pouvoir législatif, à une assemblée unique élue pour trois ans au scrutin de liste.

 

Les élections présidentielles, qui se déroulent les 10 et 11 décembre sont, à la surprise générale, un triomphe pour Louis Napoléon Bonaparte qui recueille 74.2% des suffrages contre 19.5% au général Cavaignac, 4.8% au républicain radical Ledru-Rollin, 0.5% au socialiste Raspail et 0.2% à Lamartine.

 

Il est à noter que seuls quatre départements, dont le Var, placent Cavaignac en tête.

 

L’élection de l’Assemblée législative, qui a lieu quelques mois plus tard, le 13 mai 1849, montre le partage de l’opinion entre le « parti de l’Ordre » et les démocrates-socialistes.

 

Dans notre département les démocrates emportent quatre sièges sur les sept à pourvoir.

 

Mais Louis Napoléon Bonaparte, que l’on commence à appeler « le prince Napoléon », mène une politique très personnelle qui ne tarde pas à le placer en situation conflictuelle avec l’Assemblée.

 

A l’approche de l’échéance de 1852, il tente d’obtenir une révision de la Constitution qui lui permettrait d’être rééligible, mais il ne parvient pas à trouver suffisamment de soutien à l’Assemblée pour mener à bien son projet.

 

De leur côté, les démocrates-socialistes préparent avec un succès croissant, les élections présidentielles et législatives prévues pour mai 1852, notamment en organisant, le réseau des sociétés secrètes de « la Jeune Montagne ».

 

 

 

LA SOCIETE SECRETE DE LA JEUNE MONTAGNE A SAINT-MAXIMIN

 

 

 

Les premières sociétés secrètes de Montagnards sont organisées dans le courant  de l’année 1848. Elles sont clandestines plus par nécessité, la loi restreignant la liberté d’association, que par volonté délibérée. Contrairement aux anciennes sociétés secrètes de la Charbonnerie, qui existaient sous la Restauration, elles ne visent pas à prendre le pouvoir par les armes, mais à préparer les élections de 1852.

 

L’Etat major de « La Jeune Montagne », dirigé par l’ancien maire d’Avignon qui a siégé sur les bancs de la Constituante, Alphonse Gent, est composé essentiellement d’hommes qui se sont illustrés dans les luttes politiques, dont Michel de Bourges, natif de Pourrières.

 

Fin octobre 1850, Alphonse Gent, ainsi que les principaux dirigeants de « La Jeune Montagne » sont arrêtés. Dans les jours suivants, plusieurs cadres départementaux sont également jetés en prison.

 

Bien que décapité, le réseau des sociétés secrètes continue de se développer dans tout le sud-est ainsi que dans quelques localités du sud-ouest et de la Nièvre.

 

C’est en cette période que Pierre Jean Joseph Moulet, un marchand de bois de 52 ans, met en place la société secrète de Saint-Maximin. Il est en relation avec un responsable de Marseille, Louis Rique.

 

Lors des très nombreuses cérémonies d’affiliation que Pierre Jean Joseph Moulet préside dans la commune, c’est la main sur deux couteaux placés en croix, qu’il fait prêter au récipiendaire le serment : « Moi, homme libre, je jure au nom des martyrs de la démocratie, d’armer mon bras contre la tyrannie, de prêter secours à un frère dans le cas de nécessité, de donner la mort à un frère s’il venait à trahir son serment et de me soumettre à la mort si je le trahissais moi-même ».

 

Après avoir pris acte du serment, il lui déclare solennellement : « Au nom de la montagne, je te reçois montagnard ».

 

Ensuite, il communique au nouveau frère montagnard les mots d’ordre qui sont changés régulièrement (les derniers en date ont été : action, activité, avenir) et les signes de reconnaissance (façon de se serrer la main, façon de se saluer avec un chapeau).

 

Les sociétés secrètes de « La Jeune Montagne » sont toutes organisées sur le même modèle.

 

Elles comprennent un président, un vice-président, des capitaines, et des chefs de section dirigeant chacun des groupes d’environ dix hommes.

 

La société secrète de Saint-Maximin dont le président est Pierre Jean Joseph Moulet et le vice-président Joachim Roux, facteur rural, compte jusqu’à 250 membres, répartis en 25 sections.

 

En décembre 1850, une première assemblée générale réunit au café de Jean Joseph Marius Augier dit « Mirel » environ 60 participants.

 

Le lendemain de la quinzaine 1851, plus de cent Montagnards regroupés dans le café de Joseph Tassy entendent Pierre Jean Joseph Moulet leur lire une lettre de Louis Rique de Marseille, l’informant que « le coup est prêt à éclater ».

 

A la mi-novembre 1851, une troisième réunion est convoquée de nuit, à la campagne de Joseph Gasquet ouvrier buraliste. Il n’y a qu’une centaine de présents seulement. L’objet de la réunion est de remplacer, conformément aux instructions reçues, le président de la société secrète par une commission de trois membres. L’assemblée élit Pierre Jean Joseph Moulet , Joachim Roux et Joseph Laurent Giraud dit « Gratalan »,  perruquier.

 

C’est également Pierre Jean Joseph Moulet qui organise les sociétés secrètes de Nans, Pourcieux et Ollières.

 

 

 

LE COUP D’ETAT

 

 

 

Pour conserver le pouvoir Louis Napoléon choisit de réaliser un coup d’Etat qu’il fixe symboliquement à la date anniversaire de la victoire d’Austerlitz.

 

Dans la journée du 2 décembre 1851, sont apposées, sur les murs de la capitale, des affiches imprimées au cours de la nuit précédente. Elles reproduisent deux décrets : l’un dissout l’Assemblée Nationale et décrète l’état de siège, l’autre appelle les Français à un plébiscite pour reconnaître l’autorité de Louis Napoléon. Au petit matin de nombreux députés sont arrêtés et les quelques tentatives de soulèvement du peuple parisien, notamment à l’initiative de Victor Schoelcher, Victor Hugo ou Jules Favre, sont vites réprimées par la troupe. Le député Alphonse Baudin est tué sur les barricades, mais dans sa très grande majorité, la population de la capitale ne résiste pas au coup d’Etat.

 

Le jour même la nouvelle est transmise par le télégraphe optique dans toutes les préfectures, et le lendemain elle est annoncée dans les chefs-lieux par voie d’affiches et se répand comme une traînée de poudre. L’émotion est considérable dans tout le département.

 

Dès le 4 décembre, Pierre Jean Joseph Moulet informe quelques hommes rassemblés dans le café Augier, qu’à Brignoles on vient de changer la municipalité et, qu’à Saint-Maximin, il faut en faire autant.

 

Il demande à Lazare Rasquin de se rendre à Pourcieux, pour informer Philémon Boyer, chef de la société secrète de cette localité, que le Président a dissous l’assemblée, et que c’est le moment de s’insurger.

 

François Gagnard de son côté se rend à Seillons pour demander aux membres de la société secrète de se tenir prêts à marcher sur Saint-Maximin.

 

Dans l’après-midi du 5 décembre, sous le commandement de Moulet, une troupe d’hommes armés, renforcée par des éléments de Seillons, Ollières et Brue, s’empare de la mairie de Saint-Maximin, destitue le maire et met en place une commission municipale, avec à sa tête Joseph Lucien Gasquet, le receveur buraliste, qui est nommé maire insurrectionnel..

 

Au cours de cette même journée, les républicains de Pourcieux se rendent à la mairie, et conformément aux ordres reçus, installent une commission avec à sa tête Léonce Remusat.

 

Le lendemain 6 décembre, c’est au tour de la mairie d’Ollières de tomber entre les mains des insurgés. Jean Baptiste Fabre en est nommé maire.

 

Pendant ce temps, à Saint-Maximin, des postes de garde sont installés aux portes de la ville, sur les principaux axes routiers, afin de contrôler la circulation des personnes et plus particulièrement des courriers.

 

Dans la nuit du 5 au 6 décembre, Marius Thomassin, chef de l’un de ces postes, procède à l’arrestation du gendarme Senes venu de Saint-Zacharie.

 

Le 6 décembre, Lazare Rasquin, chef d’un poste installé sur la route d’Aix, arrête un courrier et lui confisque trois plis adressés au sous-préfet et au procureur de la République.

 

Le 7 décembre, une troupe de 50 à 60 personnes, commandée par Girardet, se rend à Bras. A leur arrivée, on leur dit que le maire est à Saint-Maximin, ils s’installent alors dans la mairie.

 

Dans la journée du 8 décembre, Pierre Jean Joseph Moulet annonce aux insurgés « S’il y a des hommes de bonne volonté, ils peuvent aller au camp de Salernes, mais je ne force personne. » Seuls quelques jeunes se font inscrire. On ne sait s’ils ont eu le temps de se mettre en marche pour rejoindre la colonne insurrectionnelle établit à Salernes car, dans le courant de cette même journée, une armée venue de Marseille entre dans Saint-Maximin, rétablit la municipalité et réalise une première série d’arrestations.

 

 

 

LA REPRESSION

 

 

 

Le lundi 8 décembre, c’est environ 3000 insurgés, représentant de nombreuses communes du département, qui sont regroupés à Salernes.

 

Le lendemain, ils se mettent en marche pour se rendre à Aups, où de nouveaux contingents se joignent à eux. Arrivé dans la commune, un détachement est envoyé à Tourtour pour surveiller la route de Draguignan, tandis que le gros de la troupe s’installe dans la cité.

 

Mais le 10 décembre, tôt dans la matinée, une colonne militaire importante arrivant de Draguignan atteint Tourtour. Le chef du détachement insurgé s’affole et ordonne le « sauve-qui- peut », sans faire prévenir Aups de l’arrivée imminente de cette troupe.

 

Quelques heures plus tard les militaires surprennent les insurgés dans Aups. Au cours du combat qui tourne rapidement à la déroute pour les républicains, plusieurs dizaines d’insurgés trouvent la mort. D’autres sont exécutés sommairement.

 

Au cours des jours suivants une gigantesque chasse à l’homme est organisée dans les campagnes et villages. Le plus souvent à la suite de dénonciations, les forces répressives procèdent à de nombreuses arrestations dans un climat de terreur.

 

C’est au total, 3147 Varois qui sont arrêtés et jugés par une commission mixte formée du préfet Pastoureau, du général Levaillant, commandant militaire du département et du procureur de la République de Draguignan Bigorie-Laschamps : 1356 d’entre eux sont remis en liberté (parfois sous surveillance, c’est à dire assigné à résidence dans sa commune qu’il ne peut quitter sans autorisation du maire ; plusieurs maires trop conciliants sont rappelés à l’ordre par le préfet), 169 sont renvoyés devant des conseils de guerre ou de police correctionnelle, 321 sont expulsés plus ou moins momentanément du territoire, 506 sont contraints à résidence dans une localité éloignée, 790 sont condamnés à la déportation en Algérie et 5 à Cayenne.