Le Travailleur du Languedoc

article publié dans le Bulletin de l’Association 1851 pour la mémoire des résistances républicaines, 72, janvier-février-mars 2016

De 1851 à 1941

Face à la répression vichyste, le Travailleur du Languedoc qui renaît dans la clandestinité se ressource au souvenir de 1851

 

Organe du parti communiste en Languedoc avant la guerre de 1939-1945 , Le Travailleur du Languedoc, né en 1925, avait été interdit immédiatement après le pacte germano-soviétique d’août 1939 et avait cessé de paraître après le numéro du 26 août 1939. Il reparaît dans la clandestinité sous la forme d’un modeste recto-verso ronéoté en mars 1941[1] et son premier éditorial est particulièrement intéressant et original dans la presse communiste clandestine de l’époque. Sous le titre Terre d’Oc, terre de liberté, A l’action pour le rapatriement des déportés, le journal veut combattre d’abord l’effet négatif qu’avait pu avoir la rencontre entre Pétain et Franco à Montpellier en décembre précédent, rencontre qui avait été accompagnée d’un grand concours de peuple, vanté par la presse aux ordres du régime. « Le bon peuple du Languedoc ne mérite pas ça » –écrit le journal.  « On n’a jamais fait bon ménage avec les tyrans en Languedoc. » Et Le Travailleur rappelle la lutte de nos ancêtres contre les seigneurs comme les Trencavel, contre les papes (au moment de la croisade des Albigeois) contre les rois (au temps des camisards et des révolutionnaires). « Les capitalistes d’aujourd’hui, aussi tyranniques   que les maîtres d’antan savent tout cela » constate le journal, et ils utilisent «  tous les procédés de coercition contre le peuple ». Le Travailleur du Languedoc dénonce les milliers d’internements et même de déportation en Algérie qui ont frappé les militants communistes, citant même nommément quelques déportés de la région.

Revenant ensuite sur l’histoire, il consacre un paragraphe significatif au mouvement de décembre 1851 :

« Dans une période qui ressemblait beaucoup à celle que nous vivons, en 1851, le Languedoc fit une opposition des plus vives au coup d’Etat de Napoléon le petit. On se battit notamment à Béziers où accoururent des gros bourgs environnants, de Capestang, Pézenas, Villeneuve etc.. des milliers de républicains armés de leurs fusils de chasse. Après la défaite, des commissions spéciales firent emprisonner ou déporter des centaines de citoyens. Le monument Casimir Péret à Béziers glorifie les martyrs. Il est peu de villages de chez nous où quelques familles ne s’honorent de compter un déporté parmi ses ancêtres. Ce grand exemple ne fut jamais oublié en Languedoc. La Commune, l’affaire Dreyfus ont vu ressurgir la vieille flamme jamais éteinte des traditions de lutte.

Et c’est ce peuple languedocien qui a passionnément soutenu l’Espagne républicaine que l’on nous montre acclamant l’assassin Franco. !!! C’est ce peuple si ardemment républicain que l’on nous montre acclamant Pétain fossoyeur de la République, grand pourvoyeur de prisons et de camps de concentration. ! Allons donc…

Mais à l’heure prochaine du règlement de compte, le Languedoc, le vrai, montrera qu’on ne l’insulte pas en vain dans ses plus chères traditions et dans ses sentiments les plus profonds ».

Ce texte dont on ignore l’auteur, s’inspire de la politique de réinvestissement du passé démocratique français qui avait été entreprise par le Parti communiste au moment du Front populaire (et notamment à l’occasion du cent cinquantenaire de la Révolution française en 1939). Les références historiques dans le combat politique sont fréquentes. Elles situent la lutte quotidienne dans une plus longue durée et lui donnent du souffle. Mais il y a dans toute référence historique des aspects discutables puisque les situations historiques ne sont jamais comparables. Il n’était certes pas inutile de rappeler en 1941 le passé de luttes du Languedoc, surtout au moment où le régime de Vichy après avoir été toléré par une majorité de Français, commençait à être plus impopulaire. Il n’était pas non plus injustifié de considérer que le véritable coup d’Etat accompli par Pétain en juillet 1940 pour mettre fin à la République avait quelque chose à voir avec celui de Louis-Napoléon en 1851, même si les circonstances en 1940 étaient bien différentes du fait de la défaite et de l’invasion de la France. Louis- Napoléon aussi avait obtenu (ou extorqué) une adhésion momentanée de l’opinion, sanctionnée par les plébiscites de 1851 et de 1852. En revanche, la répression anticommuniste avait commencé non pas après la chute de la République, mais avant, dès septembre 1939, et Vichy en avait pris seulement le relais, en la durcissant d’ailleurs. C’est pourquoi sans doute l’article attribuait cette répression aux « capitalistes » en général plutôt qu’à tel ou tel régime.

La référence au « vrai Languedoc », démocratique, peut aussi être nuancée. « Vrai » sans doute, ce Languedoc lorsqu’il qu’il défend d’authentiques valeurs. Mais dans l’histoire du Languedoc, les forces de progrès et de conservation ou de réaction ont constamment lutté, triomphé tour à tour et font toutes deux partie de ses « traditions ». Ce qui est vrai cependant, c’est que les forces de progrès avaient fini par triompher durablement (du moins, le pensait -on) avec la III ème République, et même donné naissance à l’image d’un « Midi rouge ».

Heureusement, les forces démocratiques de 1941 n’auront pas à attendre aussi longtemps que les vaincus de 1851 pour voir renaître la République et les libertés. En mars 1941 pourtant, annoncer « l’heure proche du règlement de compte » pouvait paraître bien optimiste. Et si la victoire a été obtenue, cela n’a pas été dû aux seules luttes, certes bien réelles, du peuple languedocien, mais à un combat international d’ampleur gigantesque.

Sortant de la clandestinité Le Travailleur du Languedoc reparaîtra librement le 24 septembre 1944.

Raymond Huard

 

[1] Ce numéro est conservé à la Bibliothèque nationale de France sous la cote Res-G-1470 (802)