Le coup d’Etat dans le département de l’Ain

Le coup d’Etat dans le département de l’Ain 

(extrait des Annales de la Société d’Emulation de l’Ain)

 par F. Dagallier, avocat

 Bourg, Imprimerie Authier et Barbier, 1880

troisième partie

IV. Le plébiscite. — La répression. — La commission mixte. — Les conseils de guerre. — Exécution de Charlet.

Le Coup d’État avait réussi. Il restait à en rendre le peuple français complice en le lui faisant ratifier par un plébiscite. Les décrets du 2 décembre avaient d’abord prescrit le vote au scrutin public, avec signature sur un registre. L’armée vota suivant ce mode dans les 48 heures[1]. Mais un pareil mode de votation était si peu propre à donner au pouvoir nouveau le prestige qu’il recherchait dans un plébiscite qu’on y renonça. Le vote des 20 et 21 décembre 185l eut lieu au scrutin secret. Le parti républicain était assez décimé, la presse assez muselée, le pays assez terrorisé le résultat ne pouvait être douteux.

La formule suivante fut soumise à l’approbation du suffrage universel : « Le peuple veut le maintien de l’autorité de Louis-Napoléon Bonaparte, et lui donne les pouvoirs nécessaires pour faire une constitution d’après les bases établies dans sa proclamation du 2 décembre. »

Le scrutin donna dans l’Ain les résultats suivants :

                      Electeurs inscrits  102.438     Votants    85.399    Oui   84.819  Non   3.472

Pas une commune ne donna une majorité de non. Les seules où les suffrages furent à peu près balancés sont Challex, Vaux et Saint-Laurent-lès-Mâcon.

Même libre, le vote eût donné au Prince-Président une forte majorité, tant la France était altérée de repos et prête à l’abandon d’elle-même.

Mais si l’on songe aux conditions dans lesquelles s’accomplit ce vote, dans le silence de la presse, au milieu des arrestations et des proscriptions, sous l’oeil des gendarmes le sabre au poing dans les salles de vote, on est en droit de s’étonner qu’il se soit trouvé dans l’Ain près de 3,500 citoyens pour répondre non.

Quelques faits donneront une idée de la liberté du vote. Nous les trouvons dans les dossiers de la Commission mixte. Le 27 février 1852, cette commission plaçait sous la surveillance du ministère de la Police générale et « révoquait de ses fonctions de conseiller municipal » (sic) un propriétaire de Thézillieu, nommé Borron, « coupable d’avoir, aux élections de décembre dernier, fait tous ses efforts pour empêcher les électeurs de voter en faveur du Président de la République. »

Le 7 février elle condamnait à la même peine deux cultivateurs d’Ambronay, nommés Sevoz et Perrin, « coupables de propager très activement les doctrines les plus dangereuses ». Ces deux hommes avaient été arrêtés avant le plébiscite, et voici en quels termes le Procureur de la République de Belley, Genevois, expliquait leur arrestation : « Je n’ai aucun fait précis à articuler contre ces deux prévenus. Ils passent pour avoir des relations avec les hommes les plus exaltés de leur parti et pour avoir été des émissaires ardents dans les villages qu’ils habitent. Pour paralyser les effets de la propagande qu’eux et les leurs auraient été tentés de pratiquer lors du vote du plébiscite, j’ai introduit la poursuite dont vous êtes saisi[2]. »

De pareils faits abondent ; ces exemples suffisent.

— Ainsi affermi par le vote populaire, le gouvernement nouveau s’occupa activement de s’organiser. Les quatre mois de pouvoir dictatorial, qui s’écoulèrent du 2 décembre 1851 au 29 mars 1852, jour de la réunion des grands corps de l’Etat, furent mis à profit. Le 14 janvier 1852, Louis-Napoléon promulgua une constitution qui, sauf de légères modifications, nous a régis jusqu’en 1870. Le régime parlementaire, rétabli en France depuis la chute du premier empire, subit une nouvelle éclipse. Plus de tribune ! Un Corps législatif, pâle assemblage de candidats officiels, créatures de l’administration et valets du pouvoir, fantôme de représentation nationale privé des droits d’initiative, d’amendement et d’interpellation (dont il n’avait au reste guère souci), votant le budget par ministères, c’est-à-dire sans contrôle ! Des ministres irresponsables, réduits au rôle de simples commis ou « d’avocats gagés à l’année[3] » ; une presse soumise à l’autorisation préalable et à la suppression administrative ! Tel fut le régime que la France accepta ou subit dix-neuf ans ! C’était le despotisme tempéré par des plébiscites menteurs et des élections sophistiquées !

Une longue série de décrets dictatoriaux[4], modifiant profondément toutes les branches d’administration, compléta ce qu’on appelait « la restauration du principe d’autorité ».

Chose curieuse ! Le nouveau gouvernement avait conservé le nom de République. Un second plébiscite devait avant un an faire disparaître cette anomalie : le 2 décembre 1852, jour anniversaire de l’heureux coup de main, l’Empire était solennellement rétabli. Il n’y avait eu qu’un mot à changer à la constitution du 14 janvier 1852.

— En même temps qu’il légiférait, le Prince-Président profitait du pouvoir sans bornes qu’il tenait de l’affolement de la nation pour anéantir le parti républicain, en frappant à la fois les chefs et les soldats.

La députation de l’Ain paya largement son tribut. Outre Baudin, mort comme on sait, deux autres représentants méritèrent les honneurs de la proscription.

L’un, Roselli Mollet, fut compris dans le décret qui expulsait de France 64 représentants, les hommes d’action, ceux dont l’énergie et l’audace étaient le plus justement redoutées de l’Elysée. Citons : V. Hugo, Valentin, le colonel Charras, Testelin, Martin Nadaud, Schoelcher, Joigneaux, Esquiros, Madier-Montjau, Raspail, Bancel, Théodore Bac, Mathieu (de la Drôme), Noël Parfait, Benoît (du Rhône), Boysset (de Saône-et-Loire) et notre compatriote Frédéric Charassin, député de Saône-et-Loire, frère du constituant.

L’autre, Edgar Quinet, le profond penseur et le grand citoyen, figura avec Thiers, de Rémusat, de Lasteyrie, Duvergier de Hauranne, Emile de Girardin, Pascal Duprat, Baze, les généraux Lamoricière, Changarnier, Leflô, Bedeau, dans le décret qui éloignait momentanément du territoire français 18 représentants[5].

Cet éloignement momentané devait durer vingt ans pour cet indomptable défenseur du droit. Repoussant avec mépris les amnisties octroyées aux victimes par le crime triomphant, Edgar Quinet, comme Victor Hugo, Charras, Schoelcher, etc., devait répondre aux hommes de l’Empire : « Nous ne vous amnistions pas ! » Il voulait, remettant le pied sur le sol de la patrie, fouler une terre libre.

En même temps qu’il proscrivait les chefs du parti républicain, le gouvernement du Prince-Président ne dédaignait pas de frapper les plus humbles citoyens. Un décret du 8 décembre 1851 autorisa les préfets à faire transporter, par mesure de sûreté générale, dans une colonie pénitentiaire, à Cayenne ou en Algérie, tout individu placé sous la surveillance de la haute police reconnu coupable du délit de rupture de ban. L’article 2 de ce décret ajoute : « La même mesure sera applicable aux individus reconnus coupables d’avoir fait partie d’une société secrète. »

Avant et après le plébiscite, les autorités administratives, militaires, judiciaires déployèrent contre les citoyens suspects d’opinions républicaines un zèle sans bornes. Pendant quatre mois les arrestations continuèrent. La liberté individuelle était à la merci de la lâcheté d’un délateur ou du caprice d’un fonctionnaire.

Beaucoup de ceux qui avaient participé aux troubles de Bâgé et de Villars avaient pris la fuite : on les traqua de tous côté, on organisa la chasse aux républicains. Il fallait se prémunir contre la pitié des populations. Le colonel commandant l’état de siège dans le département de l’Ain prit l’arrêté suivant :

« Tout habitant du département de l’Ain qui donnera asile à des individus suspects ou à des insurgés sera considéré comme complice (sic) et traduit comme tel devant la juridiction militaire.

Les autorités militaires, civiles et judiciaires sont chargées de l’exécution du présent arrêté.

Bourg, le 8 janvier 1852.

Jacquemont du Donjon. »

 

Cet arrêté remarquable par le fond et la forme ne resta pas lettre morte.

Le représentant Boysset, de Saône-et-Loire, cherchant à gagner la Suisse par le Haut-Bugey, avait trouvé aide et assistance chez un des hommes les plus justement considérés de ce pays : M. Druard, maire d’Oyonnax en 1848. Celui-ci lui avait donné un guide pour le conduire à la frontière par les montagnes. A Belleydoux, une indiscrétion révéla la présence du représentant. Le maire, plein de zèle, heureux de cette capture qui devait le signaler aux faveurs du pouvoir, fit arrêter le fugitif. Enfermé dans la maison-commune, Boysset y passa, sans feu, gardé à vue, une nuit de décembre. On lui refusa même un matelas pour se coucher. Le lendemain, il était ramené à Oyonnax, d’où la gendarmerie le conduisit à Nantua. M. Druard l’accompagna pour le protéger. Il fut arrêté à son tour, traîné dans la prison de Roanne, à Lyon, et jugé par une commission militaire. Il fut acquitté, après un mois de détention, grâce à l’intervention d’un haut dignitaire de l’armée, dont la famille était alliée à la sienne[6]. Quant au maire qui croyait au moins gagner la croix en empêchant un député républicain de passer la frontière, il se trouva qu’il n’avait fait qu’une lâcheté doublée d’une maladresse, car, peu de jours après, le représentant Boysset était compris dans le décret d’expulsion.

— Des insurgés de Décembre, les uns furent jugés par les commissions militaires formées à Lyon, d’autres par les Conseils de guerre siégeant dans la même ville, d’autres enfin par la Commission mixte de l’Ain.

L’instruction de quelques poursuites fut commencée par les juges d’instruction. Les délits relevés contre les inculpés étaient ceux d’insurrection, d’excitation à la guerre civile, d’envahissement par violence de lieux publics pour y enlever des armes, etc. Les qualifications légales ne manquaient pas, et l’arsenal de nos lois répressives offrait aux tribunaux ordinaires des armes suffisantes pour faire bonne justice. Les citoyens qui avaient pris les armes contre le Coup d’Etat étaient coupables, puisqu’ils étaient vaincus Le dévouement de la magistrature au gouvernement nouveau n’était pas suspect. Des adresses de félicitations, émanées de tous les tribunaux de France, affluaient à l’Elysée, saluant dans Louis-Napoléon le sauveur de la société, de la famille, de la religion, de la propriété, etc. On pouvait compter sur elle. Le jury lui-même, cédant à l’irrésistible mouvement qui emportait le pays vers la dictature, n’eut été guère plus tendre. On avait enfin les Conseils de guerre, investis, en vertu de l’état de siège, de la connaissance des faits insurrectionnels. Tout cela ne suffisait pas aux hommes de Décembre.

Les garanties que dans tout pays civilisé la loi assure aux accusés, un débat public et contradictoire, une défense libre, tout cela était obstacle à l’accomplissement de l’oeuvre qu’on méditait.

Ce qu’on voulait atteindre, c’était les délits d’opinion. Ceux qu’on voulait frapper, c’étaient les hommes dangereux ou suspects, les socialistes, et sous ces vagues dénominations on enveloppait tous les républicains. Ou voulait détruire à jamais ce parti toujours écrasé, toujours renaissant. On voulait briser tous ceux qui, l’orage une fois passé, se fussent relevés et eussent constitué le noyau d’un parti d’opposition. On voulait, suivant l’énergique expression d’un auteur anglais[7] « émasculer la France ». De là l’institution des Commissions mixtes.

On n’arriva pas de prime abord à cette haute conception. Il y eut des tâtonnements. Un décret du 11 décembre 1851 avait institué des commissions militaires chargées de « statuer sur les cas de mise en liberté, de transportation ou de renvoi devant les Conseils de guerre, relativement aux individus inculpés d’avoir pris part à l’insurrection de Décembre 1851. »

La Commission militaire de Lyon, dont relevait notre département, était composée du chef d’escadron Veulens et des capitaines Stroltz et Merle. Elle prononça sur le sort de plusieurs de nos compatriotes. Nous n’avons sur le nombre et la nature de ces décisions aucun renseignement précis.

Le 3 février 1852 parut une circulaire collective des trois ministres de la Justice, de la Guerre et de l’intérieur[8]. Elle créait dans chaque département une commission mixte composée du préfet, du commandant militaire du département et du procureur de la République près le tribunal du chef-lieu.

Les considérants de cette circulaire sont intéressants à retenir : « Animé du désir de voir la société délivrée des pernicieux éléments qui menaçaient de la dissoudre…, le Gouvernement a pensé que pour concilier à la fois les intérêts de la justice, de la sûreté générale et de l’humanité, il ne pouvait mieux faire que de confier dans chaque département le jugement de ces inculpés à une sorte de tribunal mixte, composé de fonctionnaires de divers ordres, assez rapprochés des lieux où les faits se sont passés pour en apprécier le véritable caractère, assez haut placés dans la hiérarchie pour comprendre l’importance d’une semblable mission, en accepter résolûment la responsabilité, et offrir à la société, comme aux particuliers, toute garantie d’intelligence et d’impartialité. »

Cette Commission fonctionnait à la Préfecture et prenait ses décisions d’après les documents mis à sa disposition par les parquets ou les commissions militaires, ou simplement sur les renseignements fournis par les juges de paix, les maires, les curés, etc., ou les rapports plus ou moins désintéressés de dénonciateurs connus ou anonymes.

Le jugement par commissaires a laissé dans l’histoire de l’ancienne monarchie une trace sanglante. Flétri par les philosophes du XVIIIe siècle et par la conscience publique, il ne s’en est pas moins perpétué, sous des noms différents, jusque sous nos gouvernements modernes. Les Commissions militaires du premier Empire, les Cours prévôtales de la Restauration, les Commissions mixtes de Louis-Napoléon continuent une vieille tradition.

Dans les Commissions mixtes tout était arbitraire : la juridiction, la procédure, les délits, la pénalité. Les Cours prévôtales avaient au moins conservé les formes extérieures de la justice. Les Commission mixtes s’en affranchirent. Elles jugèrent dans le secret de cabinet, sans comparution ni interrogatoire des accusés, sans audition de témoins, sans confrontation, sans débat contradictoire, sans défense.

« Ils sont assis dans l’ombre et disent : Nous jugeons. »

(V. Hugo, les Châtiments.)

 

Les intéressés, détenus pour la plupart, ne connurent souvent l’accusation dont ils étaient l’objet qu’en apprenant la sentence qui les frappait.

Les châtiments que cet étrange tribunal était appelé à infliger variaient « suivant le degré de culpabilité, les antécédents politiques et privés, la position de famille des inculpés. » Voici l’échelle des peines d’après le nouveau Code pénal édicté par MM. Abbatucci, Saint-Arnaud et Persigny : la transportation à Cayenne ou en Algérie, l’expulsion de France, l’éloignement momentané du territoire, l’internement, c’est-à-dire l’obligation de résider dans une localité déterminée, la mise sous la surveillance de la police générale.

La Commission devait renvoyer devant les Conseils de guerre les individus convaincus de meurtre ou de tentative de meurtre. Elle pouvait enfin ordonner le renvoi des détenus en police correctionnelle ou leur mise en liberté.

La transportation à Cayenne ne pouvait être prononcée que contre les repris de justice. Notons qu’une seule condamnation antérieure, même pour délit politique, faisait un repris de justice.

L’arbitraire, on le voit, ne saurait être poussé plus loin. Des juges sans mandat, punissant de peines qui n’existent pas dans nos Codes des faits qui ne constituent ni crimes ni délits, et ne sont ni prévus ni punis par la loi !

La commission mixte de l’Ain était composée, conformément à la circulaire ministérielle, du baron Abel Rogniat, préfet de l’Ain, du colonel Jacquemont du Donjon, du 39e de ligne, commandant militaire du Département, et de Justin Béret, procureur de la République près le tribunal de Bourg.

Les originaux des procès-verbaux de ses opérations ayant été envoyés à la Commission de révision, siégeant à Paris, il n’existe aux Archives de l’Ain que des extraits de ces procès-verbaux, certifiés conformes par le préfet Abel Rogniat[9].

La Commission mixte commença ses opérations le 4 février et les termina le 28. Elle statua sur le sort de 66 individus. Parmi eux figuraient 26 insurgés de Bâgé. Tous les autres étaient des hommes qui n’avaient pris part à aucun soulèvement, contre lesquels on ne pouvait articuler aucun fait précis, mais qui dans leur village étaient connus pour républicains, avaient pris aux luttes électorales ou aux discussions des clubs une part plus ou moins active, ou avaient osé blâmer les actes de Louis-Napoléon et engager à voter non. Les haines privées trouvèrent là un moyen de s’assouvir sans danger.

Les décisions de la Commission mixte se décomposent ainsi :

Condamnations à la transportation à Cayenne :   2

 

à Lambessa :  20

 

à l’expulsion du territoire :  8

 

à la mise sous la surveillance de la police : 14

 

Total des condamnations : 44

 

Renvois en police correctionnelle : 4

 

Mises en liberté :18

 

Total :  66

 

Un communiqué inséré au Courrier de l’Ain 4u 4 mars 1852 donne bien ce chiffre de 66, mais il diffère sur quelques points de notre récapitulation, qui a été faite soigneusement, d’après les extraits certifiés conformes.

La liste des personnes que ces décisions concernent n’offrirait peut-être pas grand intérêt ; la plupart sont d’humble condition, ouvriers ou paysans.

Les 2 transportés à Cayenne étaient un journalier de Saint-Trivier-sur-Moignans et un voiturier de Bâgé. Ce dernier avait huit enfants.

Les 20 transportés à Lambessa comprenaient : 13 habitants de Bâgé, 4 de Pont-de-Vaux, 1 de Pont-d’Ain, 1 de Trévoux et 1 de Ceyzériat.

Les 8 expulsés comprenaient : 1 habitant de Belley, 1 d’Oyonnax, 2 de Pont-de-Vaux, 1 de Challex, 1 de Bâgé, 1 de Miribel et 1 de Neyron.

Les 14 placés sous la surveillance de la police générale comprenaient : 1 habitant d’Hauteville, 1 de Nantua, 3 de Thoissey, 2 d’Ambronay, 1 de Bourg, 1 de Bâgé, 1 de Prémillieu, 1 d’Étrez, 1 de Thézillieu et 2 de Lhuis.

Si l’on considère ce qu’ont fait les Commissions mixtes dans d’autres départements, on est forcé de convenir que celle de l’Ain montra de la modération[10]. L’officier supérieur qui en fit partie exprimait, quelque temps après, la répugnance qu’il avait éprouvée à remplir cette mission extra-légale et le dégoût que lui avait causé l’ardeur de délation dont il avait été témoin.

On a vu plus haut des spécimens des décisions des Commissions mixtes ; il faut en citer ici quelques autres. Voici la transcription littérale de celle qui concerne Maillet, d’après les extraits qui sont aux Archives :

« La Commission mixte du département de l’Ain a, par décision du 11 février 1852, ordonné que le sieur Maillet, coupable : 1° d’avoir recruté ostensiblement pour le socialisme ; 2° d’avoir puissamment contribué à organiser la bande qui s’est portée de Bâgé à Mâcon, le 5 décembre dernier, pour le pillage de cette ville (!) ; 3° d’avoir disparu de son domicile, emportant ses minutes et les dépôts d’argent qui lui étaient confiés[11] ; 4° qu’il a été révoqué de ses fonctions (sic) ; 5° d’avoir fait partie des sociétés secrètes ; 6° d’être un homme très dangereux pour la société, serait transporté à Lambessa. »

Un honorable pharmacien de Thoissey, M. Ferdinand Ravet, aujourd’hui membre du Conseil municipal de Bourg, qui avait déjà subi deux incarcérations, lors de la réaction de 1849 et 1850, fut arrêté après le Coup d’Etat, traîné à la prison de Roanne, à Lyon, relaxé après un mois de détention, et placé sous la surveillance de la police comme « inculpé de professer les plus dangereuses doctrines. » Il avait « gâté l’esprit public », et, en 1848, poussé le mépris des lois divines et humaines jusqu’à donner lecture en public « des journaux les plus fougueux, du Bulletin de la République[12] et autres horreurs de ce genre. » On reconnaissait cependant que « malgré ses mauvaises doctrines », il avait par son énergie, en 1848, préservé du pillage le collège congréganiste de Thoissey, menacé par un rassemblement hostile.

Un habitant de Lhuis, J.-Cl. Blanc, était frappé comme « coupable de propagande socialiste. » En réalité, il colportait des brochures protestantes pour le compte d’une société évangélique de Lyon, qui lui écrivait : « Si, comme je le présume, vous avez pitié de cette multitude d’âmes qui vivent sans Dieu et sans espérance, vous ne voudrez pas vous reposer quand vous saurez que vous pouvez faire du bien à quelques-unes de ces âmes… Ce que nous désirons le plus, c’est de placer les livres saints ; les brochures ne sont que l’accessoire[13]. » Le prosélytisme protestant n’était pas plus en faveur que la propagande républicaine. Le libre examen, base et raison d’être du protestantisme, est proche parent du libéralisme politique.

La plupart des autres citoyens frappés étaient coupables « de professer des opinions socialistes, d’avoir proféré des propos séditieux, d’avoir eu des relations avec les représentants montagnards, d’avoir colporté des journaux, d’être des hommes dangereux, etc. »

Un décret du 5 mars 1852 rendit exécutoires les décisions prises par les Commissions mixtes, et disposa que tout individu expulsé ou éloigné momentanément du territoire, qui serait rentré en France sans autorisation, pourrait être, par mesure administrative, transporté en Algérie ou à la Guyane française.

Plus tard enfin, trois commissaires extraordinaires furent chargés de parcourir les départements et de « réviser les condamnations prononcées par les Commissions mixtes. » C’étaient le général Canrobert, le colonel Espinasse et le conseiller d’Etat Quentin-Bauchart. Ce dernier vint à Bourg, le 25 avril. Deux condamnés à la transportation à Lambessa et deux condamnés à l’expulsion virent leur peine commuée en celle de la surveillance de la police ou de l’internement.

Les individus qui furent l’objet de mesures de clémence durent signer la déclaration suivante : « Je soussigné déclare sur l’honneur accepter avec reconnaissance la grâce qui m’est faite par le prince Louis-Napoléon, et m’engage à ne plus faire partie des sociétés secrètes, à respecter les lois et à être fidèle au gouvernement que le pays s’est donné par le vote des 20 et 21 décembre 1851. » On n’achetait sa grâce qu’au prix d’une abjuration.

— Le lendemain du jour où la Commission mixte avait clos le cours de ses opérations, le peuple français procédait à l’élection de ses députés au Corps législatif dont Louis-Napoléon avait bien voulu le gratifier par sa constitution du 14 janvier. Les trois candidats officiels (Vincent de Lormet, de Jonage et Bodin) furent élus sans concurrents.

M. Chevrier-Corcelles, président-honoraire du Tribunal, ancien député, monarchiste constitutionnel, homme universellement estimé, avait posé sa candidature. La préfecture le menaça, s’il persistait, de révoquer tous ses amis occupant des fonctions publiques. M. Chevrier-Corcelles se désista par une lettre fort digne, insérée au Courrier de l’Ain du 28 février, dans laquelle il exprime la perte de ses illusions à l’égard du gouvernement nouveau.

Notons cependant que la ville de Bourg donna spontanément 535 voix[14] à l’avocat républicain Bochard, ex-membre de la Constituante et de la Législative. Le parti républicain n’était donc pas tout-à-fait mort ici.

Quelque temps après, trois conseillers municipaux refusèrent le serment prescrit. C’étaient les ex-représentants Bochard et Charassin et M. Dusserre, négociant. Ils furent considérés comme démissionnaires.

— On aurait une idée fort incomplète de ce que fut chez nous la réaction qui suivit le 2 décembre, si l’on ne considérait que l’oeuvre de la Commission mixte. Il faut, en effet, prendre garde à la multiplicité des juridictions qui connurent de faits souvent identiques : tribunaux correctionnels, commissions militaires, commissions mixtes et conseils de guerre. Nous manquons de renseignements sur la commission militaire et la commission mixte de Lyon, qui jugèrent plusieurs habitants du département de l’Ain. Un Lyonnais qui voudrait bien faire pour le Rhône ce que nous faisons pour l’Ain fournirait à l’histoire d’utiles renseignements.

Ce furent les conseils de guerre qui connurent des affaires de Villars et d’Anglefort.

Les accusés de Villars, au nombre de 57[15], tant détenus que fugitifs, furent jugés par le 1er Conseil de guerre de la 6e division militaire, présidé par le lieutenant-colonel Boulaber, du 3e régiment de cuirassiers. Les débats furent longs, à cause du nombre des inculpés. La question de la légitimité du soulèvement ne fut pas abordée et ne pouvait pas l’être. Un Coup d’Etat victorieux ne se laisse pas discuter, et les avocats eussent pris place au banc des accusés avant d’avoir pu convaincre les juges militaires. Le jugement fut rendu le 17 juin 1852. Six accusés furent condamnés à la déportation dans une enceinte fortifiée, 8 à la déportation simple, 17 à une détention variant dé 5 à 15 ans, et 13 à un emprisonnement variant de 6 mois à 3 ans. Les autres furent acquittés. Les condamnés étant tenus solidairement des dépens du procès criminel, l’un d’eux particulièrement solvable fut poursuivi pour la totalité des frais et eut à payer, dit-on, près de 10,000 fr.

Le jugement de l’affaire d’Anglefort donna lieu à plus de péripéties. Trois des acteurs de la scène du 5 décembre avaient été arrêtés : Charlet, Champin et Pothier. Ils comparurent devant le 1er Conseil de guerre, présidé par le lieutenant-colonel Revon, du 2e dragons. Il y avait avec eux le patron de bateaux de Seyssel, qui avait dû leur fournir une barque. Le principal accusé, Charlet, celui que Guichard mourant avait désigné comme son meurtrier, se défendit d’être l’auteur de la mort du douanier. Le coup mortel avait été porté, disait-il, par un cinquième compagnon dont il ne donna le nom qu’au prêtre qui l’assista à ses derniers moments. On contesta l’existence de ce cinquième personnage qui s’appelait Veuillace. Cependant les douaniers avaient vu au moins cinq individus. Le 28 janvier, le Conseil rendit un jugement qui prononçait la peine de mort par contumace contre l’accusé Perrier fugitif (probablement noyé dans le Rhône), celle des travaux forcés à perpétuité contre Charlet et Champin, et celle de vingt années de la même peine contre Pothier. Le patron de bateau était acquitté.

Tout semblait fini. Il n’en fut rien. Le commissaire du gouvernement, capitaine Merle, se pourvut en révision contre cette sentence, pour diverses irrégularités et notamment parce que le Conseil avait omis de prononcer contre Pothier, sous-officier du 13e de ligne, la peine de la dégradation militaire.

Le pourvoi fut accueilli, le premier jugement annulé et le procès recommença devant le 2e Conseil de guerre, présidé par le colonel Ambert, du 2e dragons. Le 19 mars 1852, les trois accusés furent condamnés à mort. Un vice de forme dans la procédure allait-il donc leur coûter la vie ? Ils formèrent à leur tour un pourvoi en révision. On les amena à s’en désister en leur faisant espérer leur grâce. La peine de Champin et de Pothier fut en effet commuée en celle des travaux forcés à perpétuité. Celle de Charlet fut maintenue.

Outre ces deux affaires, les Conseils de guerre de Lyon eurent à statuer sur diverses poursuites se rattachant aux événements de Décembre. Voici, d’après des renseignements puisés dans le Courrier de l’Ain et certainement incomplets, le relevé total de leurs décisions :

     Condamnations à mort  4

 

          à la déportation dans une enceinte fortifiée  6

          à la déportation simple   8

 

          à la détention  18

 

          au bannissement   1

          à l’emprisonnement   21

 

Total des condamnations  58

Acquittements   15

                        Total  73

 

Si l’on ajoute ce chiffre aux 66 décisions de la Commission mixte, on voit que le nombre des poursuites pour le département de l’Ain a été de 139. Il est certain que ce chiffre est au-dessous de la réalité. On relève dans les rapports de la gendarmerie, qui sont aux Archives, plus de 160 arrestations, pour les quatre mois qui ont suivi le Coup d’Etat[16].

Les plus heureux en étaient quittes pour une détention préventive, qui ne fut presque jamais inférieure à deux mois. Qu’on calcule la somme de souffrances, de ruines morales et matérielles que cela représente pour les familles qui étaient frappées !

— L’exécution de Charlet fournit à ce récit un lugubre épilogue. Comme ses deux camarades il s’était désisté de son pourvoi en révision, dans l’espoir d’obtenir une commutation de peine. Elle lui fut refusée. Il fallait à M. Bonaparte une exécution capitale, six mois après le triomphe incontesté de son crime de lèse-nation.

Charlet resta 100 jours entiers sons le coup de la condamnation à mort qui le frappait. Enfin, il fut transféré à Belley, lieu fixé pour l’exécution. Il rencontra là un jeune prêtre de 25 ans, l’abbé Marchal, alors dans toute l’ardeur de sa foi, plein de l’esprit de l’Evangile, ennemi de toutes les tyrannies spirituelles ou temporelles, rêvant l’accord du catholicisme et de la liberté, et qui depuis, guéri de ces décevantes illusions, a rompu avec Rome. Charlet était protestant. L’abbé Marchal entreprit de le convertir : il y réussit. Charlet avait trouvé dans ce prêtre un républicain détestant comme lui le criminel du 2 décembre : cette communauté de sentiments les unit. Au bout de quelques heures, le missionnaire et son premier pénitent s’aimaient comme des frères. Ils passèrent ensemble la nuit qui précéda le supplice. Il faut lire le touchant récit de la conversion et de la mort de Charlet que M. Marehal a publié sous le titre de : Les vingt dernières heures d’un condamné, récit reproduit en partie dans la si attachante autobiographie qu’il a intitulée : Souvenirs d’un missionnaire. Charlet reçut les sacrements, puis on causa longuement. Il raconta son histoire.

Charlet était un grand et beau jeune homme de 29 ans, plein d’ardeur et d’enthousiasme, qui avait acquis par ses lectures une demi-instruction. Il avait eu l’existence la plus aventureuse et avait habité successivement l’Angleterre, la Suisse, la France. Il s’était laissé entraîner dans la funeste insurrection de Juin 1848, si perfidement provoquée par la dissolution brutale et intempestive des ateliers nationaux. Echappé aux Conseils de guerre, il s’était réfugié à Genève où il vivait avec sa mère. A la nouvelle du Coup d’Etat, répondant à l’appel de Baudin, il était accouru à la défense de la République. On sait le reste.

La nuit entière se passa en entretiens intimes, familiers, fraternels. Le jeune prêtre s’était pris à aimer de toute son âme cet infortuné qui était sa conquête.

« Vers trois heures du matin, nous dit l’abbé Marchal, le geôlier apporta une bouteille de bon vin pour donner du courage à la victime. Il n’y avait qu’un verre. « — Apportez un autre verre, s’écria le condamné, je veux que mon père, mon ami, trinque avec moi. — Inutile d’apporter un autre verre, mon ami, nous boirons dans le même, ce sera la coupe de la fraternité ! » Il me contraignit à boire le premier. « Je bois, lui dis-je, en l’honneur des anges qui s’apprêtent à vous recevoir dans leurs rangs, comme un frère. — Et moi, je bois, s’écria-t-il, à la santé de tous ceux qui abhorrent les tyrans ! »

« Je le calmai de mon mieux en dirigeant toutes ses pensées vers le ciel. Il me pria de lui couper une touffe de ses beaux cheveux pour l’envoyer à sa mère et me confia comme souvenirs quelques petits objets, tels que sa pipe et son peigne. A quatre heures, on vint le chercher pour lui faire la toilette suprême. A cinq heures précises, nous montions les degrés de l’échafaud[17]. »

C’était le 29 juin 1852. La ville de Belley, qui depuis 20 ans n’avait pas vu d’exécution capitale, put contempler l’instrument de mort dressé sur la place des Terreaux. Une foule immense, évaluée à 10,000 personnes, était accourue des campagnes voisines.

Charlet eut jusqu’au dernier moment la plus ferme attitude. Il se rendit à pied, accompagné de son confesseur, de la prison à l’échafaud, fendant la foule pressée sur son passage, et gravit sans trembler les marches de la guillotine.

« Quand je lui fis baiser pour la première fois le crucifix, continue l’abbé Marchal, il murmura : « A la bonne heure ! Celui-là est mort pour nous et n’a jamais fait mourir personne. Il nous a apporté la liberté, et cette liberté les tyrans l’étouffent. — Vous oubliez, mon ami, que Jésus est mort en priant pour ses bourreaux, et nous sommes au moment suprême. — C’est vrai, dit-il, et je vous remercie de m’en faire souvenir. Puisse le bon Dieu me pardonner comme je pardonne à ceux qui veulent ma tête ! » Puis se tournant vers la multitude : « Frères, adieu ! Puisse à jamais mon sang effacer l’échafaud ! »

Ce furent ses dernières paroles. Son confesseur lui avait fait promettre de ne pas crier : Vive la République !

Quelques secondes après sa tête roulait dans le fatal panier, et la foule se dissipait profondément émue par cet affreux spectacle d’un jeune homme plein de bravoure mourant sur l’échafaud pour n’avoir pas voulu désespérer de la République.

 

V. Conclusion

L’impression qui se dégage de cette rapide étude est, nous le sentons vivement, une impression de tristesse. Les quatre années qui s’écoulent du 24 février 1848 au 2 décembre 1851 nous offrent le spectacle d’une société surprise par une crise politique et sociale, qu’elle n’a su ni prévoir, ni prévenir. D’abord frappée de stupeur, cette société cherche à s’accommoder d’une forme de gouvernement qu’elle a tenue jusque-là pour suspecte ; mais effrayée bientôt par le désordre de la rue et le déchaînement des revendications socialistes, elle perd tout sang-froid et réclame à grands cris l’ordre et la sécurité, prête à payer ces biens du prix qu’on exigera. Louis Bonaparte les lui promit, moyennant l’abandon d’elle-même : le marché fut conclu. Affligeant spectacle, mais instructif !

Plusieurs causes ont amené la chute de la seconde République. On vient de montrer le crime qui l’a tuée ; il reste à indiquer ce qui a pu rendre ce crime possible.

Avant tout, il faut noter l’agitation socialiste qui suivit la révolution de Février. Ce fut un malheur pour la République de 1848 que son avènement coïncidât avec l’explosion des doctrines socialistes, et que cette révolution politique se compliquât dune agitation sociale. Les réformateurs[18], habiles à faire la critique des économistes et le tableau des misères et des vices de la société actuelle, impuissants à indiquer un remède efficace et pratique aux maux qu’ils excellaient à peindre, allumèrent par leurs prédications les convoitises des classes déshéritées et mirent en alarme tous les intérêts.

La fondation de la République en France était une tâche assez ardue pour absorber les forces des vaillants citoyens qui l’avaient entreprise ; bien téméraires étaient ceux qui chaque matin sommaient le gouvernement provisoire de résoudre la question sociale. L’étude des questions économiques, l’application des réformes tendant à améliorer le sort des classes laborieuses exigent un temps calme et un gouvernement stable. Ce n’est pas dans la tourmente de Février que pouvaient être étudiés et résolus ces difficiles problèmes. Toute cette agitation inopportune jeta l’inquiétude dans les esprits. Plus d’un trembla pour la sécurité de sa personne et de ses biens ; le fantôme du partageux hanta l’imagination du bourgeois et du propriétaire rural. Aux terreurs sincères se joignirent les terreurs feintes. Ce n’étaient pas les moins bruyantes.

A côté de ces dangereux théoriciens, les agitateurs, les chefs d’émeute[19], par leur continuel appel à la force, préparèrent d’une autre façon le triomphe de la force. Le 15 Mai a servi le 2 Décembre.

D’autre part, les auteurs de la Constitution (on l’a dit en commençant, il faut le répéter ici), créèrent un Président qui représentait le peuple au même titre que l’Assemblée : c’était constituer un dualisme plein de périls qui devait avoir infailliblement ses conséquences tôt ou tard. « Ceci tuera cela », dirait Hugo.

L’élection d’un Bonaparte à la présidence de la République, le triomphe d’une majorité monarchiste aux élections législatives de mai 1849, l’épouvantable réaction qui suivit le 13 juin, particulièrement chez nous, sont autant d’étapes vers le Coup d’Etat.

Enfin, il est permis de douter que le parti républicain fût alors, pris dans son ensemble, un parti de gouvernement. On se plaît à rendre ici hommage à sa sincérité, son désintéressement, à son courage ; mais on ne peut s’empêcher de déplorer son goût pour les théories absolues et les utopies, ses divisions, son manque de clairvoyance et d’esprit politique. Ils étaient rares, à cette époque (quoiqu’il y en eût cependant) les républicains capables de comprendre qu’on ne transforme pas en un jour, avec quelques décrets, une nation vieille de quatorze siècles ; que la politique est une science qui a ses règles et ses lois ; que le programme le plus vaste et le plus radical n’exclut dans son application ni l’habileté, ni la prudence. C’était, on l’a dit justement, l’âge héroïque du parti républicain !

Puisse l’exemple de nos pères nous être un enseignement ! Puisse la vue des fautes qu’ils ont commises nous empêcher d’y tomber à notre tour ! Mais en les jugeant en pleine indépendance, ne soyons pas ingrats pour ceux qui ont combattu le bon combat, et nous ont, au prix de tant d’efforts, préparé des jours meilleurs.

La République de 1848 n’a pas été stérile : elle a laissé des conquêtes durables dont nous recueillons les fruits. Sans parler de l’abolition de l’esclavage aux colonies, elle nous a dotés (un peu prématurément, le second Empire l’a montré) du suffrage universel, en soi le mode de manifestation et l’exercice à la fois le plus simple et le plus parfait de la souveraineté nationale, l’instrument par excellence de la lutte légale et pacifique, l’arme qui, comme la lance d’Achille, sait guérir les blessures qu’elle a faites. Si le suffrage universel a montré à ses débuts l’inexpérience d’un enfant qui sort des langes ou d’un esclave qu’on vient d’affranchir, il a depuis atteint sa virilité. Instruit par de dures épreuves, il ne séparera plus désormais, dans son attachement, ces deux biens également nécessaires à une nation civilisée : l’ordre et la liberté. Il trouvera dans la République parlementaire la forme de gouvernement la plus propre à lui garantir ces bienfaits et à réaliser les dernières conséquences de la Révolution de 1789, par l’organisation d’une démocratie pacifique, ordonnée, libérale et progressive.

 

 

Appendice

Liste des personnes jugées par la Commission mixte.

 

 

Condamnés à la transportation à Cayenne.

 

Dubois (Jean-Baptiste), 42 ans, voiturier à Bâgé.

Rollet (Benoît), 52 ans, journalier à St-Trivier-sur-Moignans.

 

 

Condamnés à la transportation à Lambessa.

 

Maillet (Emile), notaire à Bâgé (fugitif).

Nillon (Joseph), cordonnier id. (id.)

Niermont (François), 36 ans, charpentier à Bâgé.

Denisson (Joseph), 35 ans, menuisier id.

Clairet (Jean-François), marchand id. (fugitif).

Gonod (François), 35 ans, marchand-cloutier à Bâgé.

Ferry (Pierre), cabaretier et tisserand      id.

Baudier (Claude), 40 ans, sans profession    id.

Wenger (Barthélemy), tailleur id.

Dubuis dit Colosse, tisserand id. (fugitif).

Dubois (Alphonse), 24 ans, clerc de notaire id (peine commuée en surveillance)

Guérin, de Bâgé-le-Châtel (fugitif).

Burtin, de Pont-de-Veyle (id)

Dufour (Claude), aîné, menuisier à Pont-de-Vaux (fugitif).

Dufour (Claude-Marie),        id.                    id.                 (id).

Vallet (Joseph),       charpentier                                            id.                 (id).

Pizerat, 45 ans, plâtrier à Mâcon (gracié).

Vuitton (Victor), dit Martin, 33 ans, ferblantier à Pont-d’Ain.

Jetton (Bernard), 40 ans, tailleur de pierres à Trévoux.

Chastel (Philibert), 33 ans, id.                à Ceyzériat (fugitif).

 

 

Condamnés à l’expulsion.

 

Dufour (Denis), 28 ans, plâtrier à Pont-de-Vaux (5 ans).

Vallet (Philibert), cadet, 30 ans, tisserand id. (id).

Chapel (Louis-Alphonse), 23 ans, ouvrier en peignes à Oyonnax.

Lépine (Jean-François), 58 ans, propriétaire à Challex (10 ans) (peine commuée en internement à Nancy).

Moreaux (Francisque) dit Saint-Jean, 22 ans, charpentier à Bâgé (5 ans) (peine commuée en surveillance).

Perraud (André), tailleur d’habits à Miribel (fugitif).

Nique (Joseph), 40 ans, fabricant de velours à Neyron.

Zine (Joseph), 38 ans, plâtrier à Belley (Piémontais)

 

 

Placés sous la surveillance du Ministère de la police générale.

 

Bavet (Charles-Marie-Ferdinand), 44 ans, pharmacien à Thoissey.

Giboz, ex-employé des Contributions indirectes                                                         id.

Berger (Antoine-Joseph), 63 ans, ex-greffier de la justice de paix id.

Sevoz (Joseph), 46 ans, cultivateur à Ambronay.

Perrin (Henry), 29 ans,                                      id.                                            id.

Guigard (Anthelme), 53 ans, propriétaire-cultivateur à Lhuis.

Blanc (Jean-Claude), 43 ans, cordonnier                              id.

Guy (César), 21 ans, propriétaire à Hauteville.

Millet (Charles-Joseph), 28 ans, avocat à Nantua.

Thion dit Chastel, scieur de long à Bourg (fugitif)

Pierreclos (Claude-Marie), 29 ans, maréchal-ferrant à Bâgé.

Gramusset (César), 25 ans, cultivateur à Prémillieu (gracié.)

Decourt, propriétaire-cultivateur à Etrez (élève de Grignon)

Borron (André), propriétaire-cultivateur à Thézillieu.

 

 

Renvoyés en police correctionnelle.

 

Maire dit Bernard (Joseph), 41 ans, cultivateur Echallon. (Outrages à un maire et à un brigadier forestier, 40 jours de prison.)

Jacquemet (Louis-Joseph), 32 ans, cultivateur à Pouilly-St-Genis. (Injures envers le général Castellane, 10 jours de prison.)

Parriaud (J.-B.), de Reyssouze.

Fleur.

 

 

Mis en liberté après deux mois au moins d’incarcération.

 

Dubost (Maurice), 37 ans, serrurier-forgeron à Bâgé.

Jomin (Aimé), 44 ans, forgeron                      id

Jomin (Antonin), 46 ans, charron                id

Mome (Jean-Marie), 20 ans, tisserand                                                          id.

Larollière (Gabriel) dit Liote, 48 ans, charpentier      id.

Fenillet (Pierre), 21 ans,                                                                  id.

Jullin (Jean), 36 ans, cultivateur                                                       id.

Gervais (Claude) dit le Borgne ou Trois-Yeux, 36 ans, manoeuvre id.

Bourrandi (Philibert), 20 ans, charpentier         id.

Scott (Alphonse), 22 ans, tailleur de pierres                id.

Kusner (Marie-François), 36 ans, serrurier à Nantua.

Hugonnet (François), 37 ans, cordonnier                        id.

Chevalier (François), 33 ans, forgeron                           id.

Christophe (Claude), 20 ans, ouvrier en sangles à Montluel.

Borel (Henry), 20 ans, imprimeur sur étoffes                         id.

Meunier (Alexandre), 24 ans, ouvrier en soies                        id.

Charlin (Benoît), 25 ans, ex-employé la Sous-préfecture de Belley.

Rabuel (Jean-Philibert), 32 ans, maître-charpentier à Ceyzériat.

 



[1] Vote de l’armée de terre : 303,290 oui et 37,359 non.

Vote de l’armée de mer : 15,979        5.128

Il se trouva donc dans l’armée française plus de 42.000 militaires qui eurent le courage de signer de leur nom un vote négatif. L’armée était proportionnellement beaucoup plus républicaine que la nation. Le vote total de la population civile donna 7,439,216 oui et seulement 640,737 non.

[2] Lettre du 31 janvier 1852. (Archives de l’Ain.)

[3] Serrigny : Compétence administrative, t. I, p. 112.

[4] Ces décrets-lois, dont plusieurs subsistent encore, concernaient outre les mesures dites de sûreté générale, telles que les proscriptions des députés et la confiscation des biens de la famille d’Orléans, la presse, les réunions publiques, la garde nationale, les cafés et cabarets, les titres de noblesse, l’élection des députés, le Conseil d’Etat, la décentralisation administrative, l’instruction publique, les commissions administratives des hospices, les sociétés de secours mutuels, la magistrature (limite d’âge fixée à 70 ans), les congrégations et communautés religieuses de femmes, le Crédit foncier, la Légion d’honneur etc. et jusqu’aux élections du barreau !

[5] Ces décrets portent la double date du 29 décembre 1851 et du 9 janvier 1852.

[6] Le maréchal Vaillant.

[7] Sir A.-V. Kinglake. Op. cit., p. 85.

[8] Abbatucci, Leroy dit de St-Arnaud, Fialin dit de Persigny.

[9] Ces extraits ne mentionnent pas le nom du greffier. Il est de notoriété publique à Bourg que ces fonctions furent remplies par M. Chicod, ancien greffier du Tribunal, qui, dit-on, les aurait sollicitées. Le même personnage fut maire imposé de Bourg après le 24 mai 1873.

[10] La Commission mixte du Var prononça 2,945 décisions, dont 718 transportations en Algérie ; celle des Basses-Alpes 1,994, dont 953 transportations.

[11] Ces allégations ne sauraient, on le comprend, être acceptées sans examen. Il est probable que si Maillet avait commis des délits de droit commun, on l’eût traduit devant les tribunaux ordinaires. Une pièce du dossier explique que si Maillet a emporté des minutes, c’était pour faire le recouvrement de frais d’actes à lui dus.

[12] Journal semi-officiel du gouvernement provisoire, inspiré par Ledru-Rollin et rédigé en grande partie par Mme George Sand.

[13] Archives de l’Ain.

[14] Le candidat officiel, Vincent de Lormet, en eut 661.

[15] Un autre document dit 62.

[16] De 1848 à 1854 il y eut 121 habitants de l’Ain jugés par les Conseils de guerre de Lyon.(Archives)

[17] Souvenirs d’un Missionnaire, par l’abbé Marchal, p. 59.

[18] Les Proudhon, les Cabet, les L. Blanc, les Pierre Leroux, etc.

[19] Les Barbès, les Blanqui, les Raspail, les Sobrier, etc.