La résistance républicaine en Lot-et-Garonne

La résistance républicaine au coup d’Etat du 2 décembre 1851 de Louis Napoléon Bonaparte en Lot-et-Garonne

par Bertrand Carbonnier

mémoire de maîtrise sous la direction de Bernard Lachaise et Christine Bouneau

Université de Bordeaux 3 – juin 2001

Partie I : Le déclenchement de la résistance républicaine Chapitre III : La formation des foyers insurrectionnels

 

Nérac n’a pas bougé malgré la menace de la colonne dirigée par Darnospil qui n’a fait, finalement, que contourner la ville. Nous allons maintenant nous intéresser au déclenchement de l’insurrection dans les deux autres chefs-lieux d’arrondissement, Villeneuve-sur-Lot, tout d’abord, Marmande ensuite, depuis la journée du 2 décembre jusqu’au 5 décembre, date à laquelle la résistance républicaine prend de nouvelles orientations.

 

A) L’instauration d’un conseil municipal séditieux à Villeneuve-sur-Lot

 

Aussitôt la nouvelle du coup d’Etat connue le 2 décembre au soir, le conseil municipal de Villeneuve-sur-Lot s’est réuni. Il est composé du maire en exercice, Jean-Baptiste Brondeau, un propriétaire âgé de cinquante-huit ans, des conseillers municipaux Charles Philips, ingénieur, Pierre Barbès âgé de vingt-sept ans, sans-profession, Jean-Cyprien Lacombe, commandant à la retraite de soixante-cinq ans, Alexandre Caries, un propriétaire de trente ans. Gaspard Dubruel, propriétaire de quarante-sept ans est venu quelques heures plus tard se joindre à ces membres[1]. Après un discussion d’environ une heure, le conseil municipal a fait la proclamation suivante :

« En vertu de l’Article 68 de la Constitution, nous déclarons ne reconnaître d’autres pouvoirs que ceux établis par elle et invitons les citoyens à faire leur devoir en défendant la Constitution placée sous leur sauvegarde. »[2].

Le tambour frappé par le praticien Martial Boé, accompagné de trois hommes, a annoncé la proclamation de l’autorité municipale peu après minuit le 3 décembre. Puis des affiches ont été placardées dans tous les lieux publics de la ville. Le substitut du procureur de la République Nicolas Bères constate alors que « la ville jouit d’un calme étrange dû certainement à la fois à la surprise, à 1’absence de mot d’ordre et surtout d’absence de troupes disponibles »[3].

D’ailleurs, il a lui-même demandé l’envoi de troupes au préfet pour prévenir des débordements éventuels que peut entraîner la déclaration du maire et de ses adjoints.

Néanmoins, il était impossible au préfet d’envoyer des troupes sur Villeneuve-sur-Lot car celles-ci sont toutes autant insuffisantes pour assurer la défense d’Agen[4].

Déjà, aux premières heures du matin, les rues ont commencé à être sillonnées par des Villeneuvois désireux d’en savoir davantage sur les dispositions du conseil municipal. Le négociant Auguste Laborde s’est chargé d’haranguer la foule. Au même moment, le sous-préfet Vésine de Lame s’est rendu à la mairie pour y rencontrer le premier magistrat Brondeau en le suppliant d’aller retirer les affiches mais ce dernier a refusé en affirmant que « le conseil municipal siège en permanence par peur d’être dépossédé de 1 ‘Hôtel de Ville et par crainte que la ville ne subisse une dictature révolutionnaire. »

Le 3 décembre en fin de matinée, une colonne nombreuse d’environ deux-cents hommes à la tête de laquelle marchait l’ancien huissier François Pouzet, Ferdinand Cazemajor et le propriétaire Léopold Deytier est arrivé depuis Monflanquin (situé à vingt kilomètres au Nord de Villeneuve-sur-Lot) dans la ville. Composé en majorité d’ouvriers, la colonne s’est ensuite dirigée vers l’Hôtel de Ville. Pendant que ces hommes stationnaient dans la cour de la mairie, Deytier a discuté avec les membres du conseil municipal en leur reprochant, notamment, leur immobilisme. Face à cette situation, le maire et ses adjoints se sont réunis en présence des chefs de la colonne et a délibéré. A l’issue de cette séance tumultueuse, une députation composée de Brondeau, Philips, Carle et Lacombe ainsi que cinq individus se qualifiant de « délégués du peuple » Laborde, Deytier, Pouzet, l’agent de remplacement Benjamin Galban et un certain Moriol[5] se sont rendus auprès du sous-préfet car celui-ci était suspecté de cacher les dépêches arrivées depuis le 2 décembre. Vésine de Lame n’a pu que déclarer aux insurgés qu’il n’avait reçu aucune autre information en provenance du chef-lieu Agen et de Paris.

Pour calmer les velléités des républicains, le sous-préfet a pris la décision de choisir deux conseillers municipaux, à savoir Lacombe et Barbès ainsi que deux délégués du peuple, Galban et Cazemajor pour passer la nuit avec eux à la sous-préfecture au cas où de nouvelles dépêches arriveraient. C’est ainsi que le 4 décembre vers quatre heures du matin, des nouvelles arrivées à la sous-préfecture depuis Paris ont pu être apportées à l’Hôtel de Ville. Il s’agissait des trois proclamations du Président de la République. Le décret de dissolution, l’appel au peuple et à l’armée ont été affichés. Aussitôt, un grand rassemblement de plus d’une centaine de personnes a eu lieu sur la place de l’Hôtel de Ville.

Une cinquantaine d’hommes désapprouvant clairement le coup d’Etat hommes se sont rendus à la mairie car l’attentisme du conseil municipal commençait à les irriter[6]. Face à ce danger, Brondeau et les conseillers municipaux ont fait publier un avis portant que l’organisation portant sur la nécessité d’organiser une garde provisoire pour le maintien de la tranquillité et la défense de la Constitution. Un grand nombre d’habitants se sont spontanément portés volontaires. Cette mesure a pour un temps calmé la population. Toujours dans la matinée du 4 décembre, le tambour a retenti vers onze heures dans le but de rameuter les Villeneuvois pour former une colonne et marcher sur Agen. Seulement quatre-vingt personnes ont répondu à cet appel si bien que le projet a été ajourné. Une partie du plan des insurgés n’avait donc pas fonctionné.

Dans la soirée vers neuf heures, l’effervescence est devenue extrême à cause de l’incident suivant. Un gendarme de Fumel est arrivé à Villeneuve-sur-Lot porteur d’une dépêche émanant du préfet du département du Lot. Il a été arrêté par la foule et désarmé avec un pistolet braqué sur la tête. La foule a réclamé la lecture de la dépêche à voix haute. Pendant ce temps, les autorités villeneuvoises, le maire et ses adjoints sont arrivés sur les lieux et ont promptement enlevé le cachet pour calmer les ardeurs de la foule.

Dans cette dépêche, le préfet lotois rendait compte au ministre de l’Intérieur Morny de la situation de son département après l’annonce aux habitants du coup d’état. « Cahors et le département en général sont calmes » disait-il mais « à Figeac, le sous-préfet et la gendarmerie sont séquestrés ». Une certaine agitation a suivi cette lecture[7].

En prenant l’exemple de leurs homologues lotois, les insurgés ont décidé de s’emparer de la sous-préfecture de Villeneuve-sur-Lot et surtout de consigner la brigade dans sa caserne ce qui fut fait peu de temps après. Ils se sont rassemblés devant la sous-préfecture et ont prié Vésine de Lame de se démettre de ses fonctions. Celui-ci a refusé de céder à leurs injonctions pendant de nombreuses heures jusque dans la matinée du 5 décembre.

A ce moment précis une seconde proclamation signée du conseil municipal insurgé placardée dans les rues de la cité a informé la population de la déchéance de Louis Napoléon Bonaparte et la révocation de tout fonctionnaire ne répondant pas à l’appel.

Le sous-préfet a alors estimé qu’il lui était impossible de rester à son poste. Il s’est rendu à la maison centrale d’Eysses en notifiant au maire qu’il s’occuperait désormais de son administration à cet endroit. Après le conseil municipal, les républicains étaient maîtres de la sous-préfecture en cette journée du 5 décembre.

 

B) La naissance du comité insurrectionnel marmandais

 

A Marmande, le coup d’état présidentiel a été connu par les habitants le 3 décembre dans la matinée. Les gens sont venus aux nouvelles depuis les différents quartiers de la ville. Ainsi, la place d’armes située en plein coeur de la ville s’est recouverte de plusieurs centaines de personnes. Quelques conseillers municipaux se sont rendus auprès du maire en exercice Ferdinand Duffour en le priant de bien vouloir réunir d’urgence le conseil municipal..

Le maire n’a pas voulu obtempérer en avançant le fait qu’il se sent capable de contenir le peuple contre une éventuelle émeute. Peu après il a fait une proclamation aux Marmandais dans laquelle il les invitait au maintien de l’ordre et de la sécurité dans la ville. Il a refusé, en outre, de déclarer la déchéance de Louis Napoléon Bonaparte. Le maire n’ayant pu accéder à leur demande, une dizaine d’hommes conduits par l’avoué François Goyneau se sont ensuite dirigés au domicile de Paul Vergnes. Paul Vergnes est un personnage public et politique de premier plan dans la cité marmandaise. Il est âgé de cinquante-trois ans et exerce la profession d’avocat. Il a surtout assuré de nombreuses fonctions politiques puisqu’il a été tour à tour membre de l’Assemblée Constituante en 1848 et maire de la ville. En 1851, il était encore membre du conseil général du canton de Marmande et conseiller municipal. Les hommes réunis et Paul Vergnes lui-même se sont déclarés opposés aux actes du président de la République. Paul Vergnes a enjoint ses compagnons de se rendre auprès du maire et de réitérer leur demande afin qu’il réunisse le conseil municipal.

Il est très probable qu’au sortir de cette réunion, cet avocat maigre, petit et porteur de lunettes[8] est devenu le chef de la résistance républicaine au coup d’état à Marmande.

La démarche de Goyneau et Vergnes auprès du premier magistrat s’est de nouveau soldé par un échec. Au même moment le 3 décembre en fin d’après-midi, la mairie s’est trouvée assiégée par une foule d’environ cinq cents personnes[9].

L’ancien maire révoqué du Mas d’Agenais Petit-Lafitte, Gabriel Séré-Lanauze, propriétaire à Fauguerolles, Bernard Buytet aubergiste à Caumont-sur-Garonne, Jean-Baptiste Tréjaut, instituteur révoqué de Caumont-sur-Garonne et Abdon Baritaud, agent d’affaires à Longueville ont excité cette population au cri de « Vive la République démocratique et sociale ! » tout en tentant de les empêcher d’envahir la mairie.

Face à cette menace de plus en plus pesante le maire Duffour a décidé de réunir le conseil municipal mais après de deux heures de discussions, celui-ci n’a pas infléchi sa position et aucune proposition n’a été adoptée. La foule à une heure aussi tardive (il est dix heures du soir) a commencé à s’impatienter. Pour la calmer, Petit-Lafitte a proposé de désigner une délégation chargée de rencontrer le conseil et leur notifier les intentions des Marmandais massés devant la mairie. Cette délégation se composait de huit hommes, Petit-Lafitte, Buytet, Séré-Lanauze, Baritaud, Simon Séré, tonnelier à Samazan, Jean Arbouin propriétaire à Seyches, Joseph Moreau coiffeur à Marmande et de Thomas Gauthier, menuisier àMarmande. Au moment où les huit délégués se sont introduits auprès du conseil le commandant à la retraite François Bazile Peyronny est arrivé. Peyronny qui est né en 1800 à Allemans-sur-Dropt a derrière lui une longue carrière militaire puisqu’il a été nommé chef d’escadron en 1839 et qu’à ce titre il a servi en Algérie et au Maroc. Retraité de l’armée en 1846, Peyronny s’est présenté aux élections de 1848 où il a obtenu en tout quarante-huit mille suffrages dans le département.

En allant à la mairie de Marmande, il a répondu à la demande du procureur de la République qui était d’employer son influence pour pacifier la foule. Il est parvenu peu de temps après à ses fins. Pendant ce temps, Petit-Lafitte et la délégation ont sommé le conseil municipal de délibérer sur l’article 68 de la Constitution pour prononcer la déchéance de Louis Napoléon Bonaparte en invitant tous les citoyens à refuser obéissance à tout acte du pouvoir exécutif. Un accord a suivi. La déclaration rédigée par Vergnes sur une feuille volante[10] a reconnu la disgrâce du Président de la République ; elle a été signée par tous les conseillers municipaux moins le maire qui n’a pas voulu adhérer. Celui-ci restait néanmoins en place.

Peu après minuit, la résolution du conseil a été lue au peuple par Petit-Lafitte et a provoqué l’enthousiasme de la population qui s’est dispersée ensuite. Dans la matinée du 4 décembre, les principaux meneurs insurrectionnels se sont répandus dans les cantons situés aux alentours de Marmande pour inciter les gens à marcher sur la ville. Ainsi Peyronny est allé à Miramont-de-Guyenne (son lieu de résidence), Séré-Lanauze est parti pour Damazan et Petit-Lafitte vers le Mas d’Agenais. Toutes ces bourgades se trouvent à une dizaine de kilomètres de Marmande[11]. Dans le chef-lieu d’arrondissement où la mairie était vaincue, les insurgés se sont avancés vers la sous-préfecture pour forcer Pellenc à se soumettre. Vergnes, Lafitteau, Goyneau, le négociant Joseph Mouran et le géomètre Bacarisse se sont transportés auprès du sous-préfet mais ce dernier a continué d’approuver les décrets présidentiels. Bien décidé à se défendre, le sous-préfet a convoqué tous les fonctionnaires de Marmande, environ deux cents hommes du parti de l’ordre ainsi que tous les gendarmes de l’arrondissement. En outre, la garde nationale de Cocumont, un bourg localisé à seize kilomètres, est arrivée à Marmande dans le but de porter secours au sous-préfet Pellenc.

Mais la vingtaine d’hommes la composant a été interceptée et désarmée par les émeutiers.

Le sous-préfet et la délégation ont décidé de s’entendre. Le peuple garde le contrôle de la ville mais la sous-préfecture est mise en sûreté. Il est interdit à tous les citoyens de s’y aventurer.

Le lendemain 5 décembre, le conseil municipal s’est de nouveau réuni vers neuf heures du matin. Le maire Duffour est interpellé avec véhémence par Vergnes et Lafitteau sur sa position soit du parti de la Constitution soit celui du Président de la République. Le maire a confirmé sa fidélité à Louis Napoléon Bonaparte. Le conseil a prononcé la déchéance du maire Duffour ainsi que celle de deux de ses adjoints Dupont et Morin. Le maire de Marmande est parti ensuite pour Port-Sainte-Marie prendre le bateau en direction de Bordeaux pour réclamer aux autorités l’envoi de troupes sur Marmande.

Le conseil municipal, dans lequel a été adjoint Moreau, Mouran, Gergérès et Bacarisse, a nommé à l’unanimité Paul Vergnes, président, Goyneau et Mouran vice-présidents.

Paul Vergnes et ses adjoints ont pris plusieurs mesures.

Tout d’abord, ils ont introduit Peyronny dans le conseil municipal et l’ont nommé commandant de toutes les gardes nationales de l’arrondissement.

Peyronny a accepté la fonction de prendre « le commandement pour l’exercer en homme d’honneur pour défendre la Constitution et pour faire fusiller la canaille si elle veut se porter à des actes coupables »[12].

Le conseil municipal a ensuite notifié au sous-préfet sa destitution. Ce dernier a aussitôt pris la fuite en direction de Bordeaux en compagnie de l’ingénieur Joly. Puis Vergnes a ordonné au lieutenant de gendarmerie Flayelle de consigner ses brigades dans les casernes et aux employés des finances de ne pas faire de transaction sans son ordre.

Puis, les trois chefs du comité insurrectionnel ont fait une proclamation à tous les habitants de Marmande pour les informer sur la situation. Cette déclaration, placardée dans tous les lieux publics de la ville, dit ceci :

« Nous venons d’être revêtus par le conseil municipal de l’autorité communale et constitués en commission provisoire munie de tous les pouvoirs pour maintenir l’ordre et la tranquillité mais en même temps pour assurer l’exécution de la délibération du conseil, en date du trois de ce mois portant refus d’obéissance au gouvernement qui a voulu s’imposer à la France à l’aide d’un audacieux coup de main.

Nous nous sommes constitués et nous avons accepté ces pouvoirs pour la défense de la Constitution. Cette défense va être immédiatement organisée. Que tous les citoyens prêtent leur concours à cette oeuvre patriotique. La garde nationale est rétablie et la sûreté de la ville lui est confiée.

Vive la République !

Fait à Marmande, le 5 décembre 1851.

Les membres de la commission provisoire

Vergnes, Président, Goyneau et Mouran aîné »[13]

 

Maîtres de l’autorité, Paul Vergnes et le conseil municipal entendent garder la maîtrise de la ville. Ils désirent, avant tout, assurer la sécurité à Marmande car des bandes armées potentiellement incontrôlables continuent à sillonner les rues[14].

En corollaire de cette déclaration du conseil municipal, les Marmandais ont pu lire la proclamation suivante écrite par François Basile Peyronny.

« Ordre. Investi du commandement des forces républicaines de l’arrondissement de Marmande, j’invite tous les citoyens à s’armer immédiatement dans chaque commune pour protéger l’ordre et la loi. La Constitution doit être loi des lois jusqu’à ce que le peuple en ait décidé autrement dans sa souveraineté. Chaque commune après s’être organisée pour sa défense intérieure enverra de suite à Marmande, chef-lieu de 1’arrondissement, tous les citoyens disponibles.

Le commandant des gardes nationales de l’arrondissement, Peyronny. Marmande, le 5 décembre 1851. »[15]

 

En bon militaire, le maintien de l’ordre est également un enjeu primordial pour Peyronny. En cette fin de journée du 5 décembre, la ville de Marmande est donc sous la mainmise complète des insurgés. En position de force et rassurés par les motivations de leurs chefs, ces derniers n’ont pas hésité à réquisitionner chez les habitants et dans les dépôts de munitions de la poudre. Les insurgés ont pu ainsi confectionner des cartouches et fabriquer des boîtes à mitraille. Tout ceci est entrepris dans le but d’armer les cinq cents fusils pris à la sous-préfecture après le départ de Pellenc pour Bordeaux.

 

C- L’agitation dans les campagnes

 

Les républicains insurgés sont maîtres de l’autorité municipale dans sept communes rurales du département du Lot-et-Garonne le 5 décembre au matin. Il s’agit des communes du Port-Sainte-Marie, de Sainte-Livrade, de Lavardac, Xaintrailles, Caubeyres, Ambrus et Allemans-sur-Dropt. Pour plus de lisibilité, il convient de présenter le déclenchement de l’insurrection dans ces communes de façon chronologique.

 

L’annonce du coup d’Etat dans la commune du Port-Sainte-Marie s’est produite le 2 décembre à quatre heures de l’après-midi. Ce bourg de trois mille habitants au bord de la Garonne est distant de vingt kilomètres par rapport à Agen.

La municipalité du Port-Sainte-Marie est presque entièrement composé d’hommes appartenant au parti démocrate-socialiste régulièrement élus à l’occasion des élections du 13 mai 1849. Le médecin et maire Jules Compeyrot a échappé à la répression administrative organisée par le préfet Paul de Preissac après ces élections Le premier magistrat a réuni le conseil municipal portais vers neuf heures du soir toujours en cette même journée du 2 décembre. Quelques membres ont demandé la proclamation par le conseil de la déchéance du Président de la République Louis Napoléon Bonaparte et du préfet du Lot-et-Garonne mais cette requête a été interjetée à l’unanimité.

Les conseillers municipaux et le maire Jules Compeyrot ont reconnu que « la Constitution a été violée par le Président de la République ». De ce fait, ils ont décidé de battre le rappel dans le bourg afin de recruter des habitants pour y maintenir l’ordre. Environ deux cents personnes ont répondu à cet appel. Un poste de gardes armés a été installé dans le but de « défendre la Constitution contre le coup de force présidentiel ». Pendant ce temps une centaine d’insurgés patrouillait dans la commune pour assurer la tranquillité publique.

Les républicains sont donc maîtres de l’autorité dès le 3 décembre. A partir de cette date, le conseil municipal a siégé en permanence[16].

 

Plus au nord du département, dans le chef-lieu de canton de Sainte-Livrade, situé à sept kilomètres de Villeneuve-sur-Lot, un rassemblement d’une soixantaine de personnes a eu lieu au café tenu par Claverie le 3 décembre vers midi. Une opération a été décidée pour le lendemain 4 décembre. Une délégation de sept à huit personnes dont le praticien Jean Dalou, Désiré Dalaux et l’ancien gérant du journal « Le Républicain du Lot-et-Garonne » se sont rendus à l’Hôtel de Ville où se trouvait déjà le maire M. Pelissé.

Les insurgés ont sommé le conseil municipal d’intégrer en son sein deux délégués du peuple Jean Dalou et Léonce Dalou. Pendant ce temps, la foule attendait impatiemment le déroulement de la délibération devant la mairie. Le maire et ses adjoints ont refusé d’accéder aux demandes des insurgés et sous la pression de ces derniers ainsi que du rassemblement du dehors, ils ont fini par abdiquer. Le conseil municipal a été déposé dans son ensemble.

Une nouvelle commission a été installée. Elle est composée des délégués du peuple, du notaire M. Singlande, de Cornier et du géomètre Auguste Allègre. Des sentinelles armées ont été postées devant la mairie, aux portes de Sainte-Livrade ainsi que sur le pont enjambant le Lot, un lieu stratégique puisque reliant la commune à celle de Villeneuve-sur-Lot. Le pont était surveillé par une vingtaine de personnes[17].

 

Dans l’arrondissement de Nérac, les insurgés se sont emparés de l’autorité dans quatre communes dont le chef-lieu de canton Lavardac. Dans ce bourg de mille huit cents habitants, soixante-sept individus[18] ont envahi la mairie dans la matinée du 4 décembre après s’être emparés des clefs de la maison commune. L’ensemble du conseil municipal dont le maire a été déposé. Les fusils de la garde nationale ont été réquisitionnés par les insurgés pour marcher sur Agen. Dans le même canton, les républicains ont occupé la mairie de Xaintrailles. Ils étaient environ une cinquantaine venus depuis Montgaillard et de Pompiey pour aider les insurgés locaux dans leur tâche. Sous la pression de la foule, le maire en fonction a cédé sa démission. Un poste de gardes armés a ensuite été constitué dans le but de maintenir l’ordre dans la cité de Xaintrailles. La même scène s’est reproduite à Caubeyres (canton de Damazan) où le premier magistrat a délaissé ses fonctions puisqu’il a refusé de marcher sur Agen comme il lui était demandé par les insurgés. A Ambrus, petit village de trois cent vingt habitants, la situation est plus inédite puisque le maire M. Hériant s’est lui-même joint aux insurgés et a ainsi participé à la marche en direction du chef-lieu. Ses adjoints du conseil municipal ont siégé en permanence pendant ce temps-là.

 

Dans l’arrondissement de Marmande, le conseil municipal d’Allemans-sur-Dropt (canton de Lauzun) a également siégé en permanence à partir du 3 décembre. Un poste de garde a été installé devant l’Hôtel de ville « pour défendre la Constitution violée par le Président de la République ».

Ce n’est que quatre jours plus tard, le 7 décembre, que le maire M.Congouille a rendu les décisions du conseil municipal publiques. Le premier magistrat a fait une proclamation devant quatre-vingt personnes réunies. Il a déclaré que « la Constitution a été violée, qu’il n ‘y a plus de lois et que la seule autorité est celle du conseil municipal »[19].

Il a ensuite invité les habitants à se joindre aux insurgés de Marmande mais très peu s’y sont finalement rendus. Pendant les événements, aucune dépêche émanant du ministre de l’intérieur Morny et du préfet n’a été affichée à Allemans-sur-Dropt.

 

Le 5 décembre, les républicains se sont donc emparés de l’autorité municipale dans neuf communes dont deux chefs-lieux d’arrondissement, Villeneuve-sur-Lot et Marmande, trois chefs-lieux de canton à savoir Le Port-Sainte-Marie, Sainte-Livrade, et Lavardac et dans les bourgs de Xaintrailles, Caubeyres, Ambrus et Allemans-sur-Dropt. Le déclenchement de la résistance républicaine contre le coup d’Etat présidentiel est maintenant terminé. Suivons maintenant l’évolution et le déroulement de ces mouvements insurrectionnels dans les différents points du département.

 

Carte 3.1 : Les foyers insurrectionnels le 5 décembre

                                           


[1] Cf. Jean Claude Drouin, op. cit., p. 186. Gaspard Dubruel est né en 1805 à Prayssac (Lot). Il a été maire de la ville et membre du conseil général en 1848. Il a également occupé les fonctions de commissaire de la République en 1848 et 1849.

[2] ADLG, I 9U5

[3] ADLG, I 9U6, audition du témoin Nicolas Bères

[4] ADLG, 19U6

[5] Ce personnage n’a pas pu être identifié puisque aucun dossier de condamné politique ne figure à son nom aux archives. Il n’est pas même mentionné sur les listes de la commission mixte du Lot-et-Garonne.

[6] ADLG, Série I 9U6

[7] ADLG, Série 19U6

[8] Alfred Neuville, 2 décembre 1851.Les proscriptions de Marmande, Agen, 1882. C’est la description qu’en fait l’auteur. Exilé à Bruxelles jusqu’en 1859 après les événements, il est rentré à ce moment-là à Marmande ou il a repris sa place au barreau de la ville. Il a été de nouveau conseiller général sous la IIIème République. Paul Vergnes est mort en 1877 à l’âge de 79 ans.

[9] T.W. Margadant, French peasants in revolt. The insurrection of 1851, Princeton University Press, 1979

[10] Cette déclaration a été perdue.

[11] Voir la carte située en annexe.

[12] Alfred Neuville, op. cit.

[13] Voir la déclaration en annexe. L’original a été trouvé à l’imprimerie de Pelousin à Marmande mais il n’est pas de Paul Vergnes. Il a été en fait écrit par Lespinasse, ancien secrétaire de mairie chassé par Duffour et réintégré par Vergnes.

[14] Alfred Neuville, op. cit.

[15] ADLG, 4Mi51.

[16] ADLG, 19U7

[17] ADLG, 19U6

[18] ADLG, 19U3

[19] ADLG, 19U1