Marc-Antoine Brillier

Étude biographique sur Marc-Antoine Brillier

ancien représentant du peuple (1809-1888)

par Claude Berthet, Lyon, 1908

PREMIÈRE PARTIE

 

VII     ASSEMBLÉE NATIONALE

 

 

Les élections pour l’Assemblée nationale devaient se faire au scrutin de liste, et le département de l’Isère nommait douze députés. Le pays en partie envahi, tout désorganisé, et dont la population virile appelée à combattre était hors de ses foyers, dut, en moins de dix jours, se préparer à une opération qui allait décider de la paix ou de la guerre. Le décret électoral était muet sur les pouvoirs et la durée de l’Assemblée. Les électeurs ne songeaient guère, en effet, à donner mandat aux candidats de préparer une constitution. Leur unique préoccupation était de savoir si les hostilités cesseraient ou continueraient, et, il faut bien l’avouer, l’opinion dominante dans ce malheureux pays si terriblement éprouvé, était en faveur de la paix.

 

Les républicains avancés soutenaient la politique de Gambetta et la guerre à outrance, ce qui nuisit à leur succès. Et comme, partout, les bonapartistes étaient exclus des listes, le courant pacifique profita aux monarchistes qui, dissimulant leur drapeau, s’étaient bornés à se prononcer en masse pour la cessation de la guerre.

 

Dans l’Isère, les républicains emportèrent sept sièges sur douze, avec une moyenne de 66.000 voix ; les cinq monarchistes élus le furent avec une moyenne de 57.000 voix. Brillier et quatre autres républicains échouèrent.

 

Thiers fut élu dans 26 départements, par plus de deux millions de voix ; Gambetta dans 9, en Alsace et en Lorraine où l’on voyait en lui un inflexible défenseur, et dans les centres populeux.

 

L’Assemblée nationale se réunit le 12 février à Bordeaux. Le lendemain, le gouvernement de la Défense nationale lui remettait ses pouvoirs. Le 17 février, après avoir écouté l’éloquente protestation des représentants de l’Alsace et de la Lorraine, l’Assemblée vota, à la presque unanimité, une proposition nommant Thiers, Chef du Pouvoir exécutif de la République française.

 

Le 21, les négociations furent entamées à Versailles entre Thiers et Bismarck, et les préliminaires de paix, signés le 20, furent ratifiés le 29, après un débat mouvementé des plus douloureux, par 548 voix contre 107. Sur ce vote, les députés des provinces cédées à l’Allemagne démissionnèrent, privant ainsi le parti républicain d’une vingtaine de voix qui, plus tard, à la chute de Thiers, auraient pu changer le cours des choses.

 

La paix conclue, l’Assemblée fixa son siège à Versailles. Cette mesure, jointe à diverses autres causes, irrita Paris et amena le soulèvement du 18 mars suivi de la proclamation de la Commune. Le mouvement eut un écho dans quelques villes seulement, mais tomba à peu près partout de lui-même en province. Il prit au contraire à Paris des proportions formidables. La garnison de Paris se retira sur Versailles. Thiers renforça l’armée à l’aide des régiments rentrant de captivité, et refit le siège de la capitale. Deux mois après, la Commune était vaincue, et, le 21 mai, les troupes du gouvernement entraient dans Paris. On n’a pas oublié les horreurs de cette guerre civile succédant à la guerre étrangère : les incendies, les massacres, les fusillades durèrent une semaine ; les insurgés, cernés, mirent le feu à Paris, qui faillit être détruit.

 

Cette lutte atroce entre Français avait profondément ému le pays et, de divers côtés, les municipalités des villes avaient tenté d’y mettre fin. Le conseil municipal de Vienne, pour sa part, avait envoyé à la fois à l’Assemblée nationale et à la Commune de Paris l’adresse suivante, rédigée par son président, Brillier :

 

La patrie, ensanglantée et ruinée par la guerre étrangère, est près de succomber sous les coups de la guerre civile. Cessez ce combat fratricide, nous vous en supplions. Rappelez-vous que si, dans les guerres de peuple à peuple, le vaincu est parfois glorifié à l’égal du vainqueur, dans les guerres civiles, où il arrive souvent que le frère combat contre le frère, le fils contre son père, l’effusion du sang inspire une telle horreur que, parfois, le vainqueur est maudit autant que le vaincu.

 

Conciliation ou armistice, voilà ce que nous vous demandons avec les plus vives instances.

 

Et pourquoi la conciliation serait-elle impossible ? Une seule chose suffirait peut-être pour l’obtenir : l’affirmation de la République et du droit communal par les élus du 8 février, affirmation qu’ils mettaient dans leurs circulaires lorsqu’ils étaient candidats.

 

Que l’Assemblée de Versailles daigne essayer de ce moyen de pacification.

 

Pour faire cesser la guerre étrangère, elle a cédé deux provinces et promis cinq milliards à la Prusse. Que ne doit-elle pas faire pour mettre fin à la guerre civile ?

 

Enfin, si la conciliation est impossible, qu’un armistice soit conclu et qu’il soit fait appel au suffrage universel, qui nommera pour la France une Constituante, et pour Paris un Conseil municipal.

 

 

Cette éloquente intervention ne fut pas plus écoutée d’un côté que de l’autre.

 

 

Les tendances rétrogrades qui se révélaient dans l’Assemblée n’avaient pas été sans alarmer les populations et, de divers côtés, celles-ci tinrent à protester d’avance contre toute contestation de la forme républicaine adoptée par le nouvel état de choses. A Vienne, le conseil municipal présidé par Brillier votait, dès le 12 avril 1871, une autre adresse, rédigée encore par son président, et destinée à être envoyée à l’Assemblée, nationale et au Chef du pouvoir exécutif :

 

Le Conseil municipal,

 

Considérant que l’ordre est un des premiers besoins du peuple, une condition essentielle de son bonheur ;

 

Considérant que l’ordre vrai, le seul durable, c’est le respect du droit de tous et de chacun ; que la violation du droit ne peut fonder qu’un ordre apparent et trompeur, et qu’elle est une provocation permanente aux revendications violentes, à l’insurrection ;

 

Considérant que le peuple a incontestablement le droit de se gouverner lui-même, ou par des mandataires de son choix ; que ce droit souverain est inaliénable et ne peut jamais devenir la propriété d’un homme ou d’une famille ;

 

Considérant que la République démocratique n’est autre chose que ce droit souverain inaliénable mis en pratique, se réalisant en un gouvernement du peuple par des mandataires de son choix ; d’où il résulte qu’attaquer la République c’est attaquer la souveraineté du peuple et exciter à la guerre civile, et que défendre la République, c’est défendre le droit et l’ordre ;

 

Considérant que ces principes, hors de toute controverse pour la constitution de l’Etat libre, régissent par les mêmes raisons les droits de la commune,

 

Affirme, à l’unanimité, que la République est la seule forme de gouvernement conciliable avec la souveraineté du peuple, avec le suffrage universel et l’ordre public vrai, et qu’il la soutiendra de tout son pouvoir ;

 

Affirme également que les communes ont le droit de s’administrer librement, et proteste contre toute atteinte qui pourrait être portée à ce droit par l’Assemblée nationale.

 

 

Ces protestations avaient leur utilité, en face de l’attitude de plus en plus réactionnaire de l’Assemblée, qui poursuivait les hommes du gouvernement de la Défense nationale d’enquêtes répétées et plus ou moins impartiales, qui abolissait les lois d’exil contre les prétendants, rétablissait le cautionnement des journaux, et affirmait en toute occasion son esprit clérical et rétrograde.

 

Très activement, au milieu de ces conflits d’opinions, le gouvernement de Thiers s’occupait de la libération du territoire, et faisait voter un emprunt de deux milliards et demi, la moitié de la rançon, qui, le 28 juin, en une seule journée, était couvert presque deux fois.

 

Le 2 juillet 1871, eurent lieu, dans toute la France, 114 élections partielles destinées à combler les vides que les décès et les démissions avaient laissés clans l’Assemblée. Eclairé par les manœuvres des monarchistes issus du scrutin du 8 février, le pays s’était ressaisi, et les élections du 2 juillet furent un grand succès pour les républicains, surtout dans les départements. Dans l’Isère, l’option de Casimir-Perier pour l’Aube avait laissé un siège vacant ; les électeurs y nommèrent le colonel Denfert-Rochereau, le défenseur de Belfort, qui fut en même temps élu dans la Charente-Inférieure.

 

Un peu plus tard, Gambetta déposa une proposition tendant à la dissolution de l’Assemblée, dont le mandat était terminé par la conclusion de la paix. Mais cette motion n’eut l’assentiment ni de l’Assemblée, ni du gouvernement, sous l’inspiration duquel un membre du centre gauche demanda que le Chef du Pouvoir exécutif prit le titre de Président de la République. L’Assemblée vota cette résolution, et en profita pour s’attribuer le pouvoir constituant que les républicains lui contestaient.

 

 

Cependant, grâce à la confiance que Thiers avait su inspirer, même à l’ennemi, les allemands, après un nouvel arrangement, commençaient l’évacuation du territoire. Peu à peu, le calme renaissait et les affaires reprenaient.

 

Vinrent, le 8 octobre, les élections des conseils généraux d’après la loi récemment votée. Elles furent un nouveau et grand succès pour le parti républicain, et portèrent un coup terrible aux espérances des monarchistes. Brillier fut élu dans l’Isère pour représenter le canton de Vienne (sud).

 

 

On vient de voir que le colonel Denfert-Rochereau avait, au 2 juillet, été élu simultanément dans l’Isère et la Charente-Inférieure. Il opta pour ce dernier département, et une nouvelle élection partielle eut lieu, le 7 janvier 1872, pour le remplacer dans l’Isère. Le congrès républicain du département choisit pour candidat Brillier ; celui-ci adressa aux électeurs la déclaration suivante, reflétant avec une concision douloureuse ses angoisses patriotiques :

 

Mes chers concitoyens, le Congrès républicain de l’Isère m’a fait l’honneur de me choisir pour son candidat. J’ai accepté.

 

Je ne vous parlerai pas de mes opinions politiques, je crois qu’elles vous sont connues ; je vous dirai seulement que j’aime ma patrie et que j’ai le coeur navré en songeant aux désastres qu’elle a subies, à l’humiliation qui lui est infligée par la présence de l’ennemi sur son territoire, aux insultes qui lui sont adressées par Bismarck.

 

Si j’avais l’honneur d’être député, j’aiderais le pays de toutes mes forces à sortir, par les voies pacifiques, de la situation déplorable où il se trouve ; j’appuierais un système politique tendant résolument à effacer les traces de nos discordes civiles, à affermir la République, qui doit être forte pour nous sauver, qui ne peut être forte si son existence est constamment mise en question.

 

J’appuierais un système financier qui chercherait ses res sources dans des économies sur le budget des dépenses, plu tôt que dans des impôts nouveaux.

 

Brillier,

 

Membre du Conseil général, ancien représentant de l’Isère à l’Assemblée constituante et à l’Assemblée législative.

 

 

Brillier fut élu par 66.130 voix.

 

Le congrès qui l’avait choisi déclarait, en le présentant aux électeurs de l’Isère, que son élection signifiait : Conservation de la République — Dissolution de l’Assemblée — Amnistie.

 

 

En arrivant à l’Assemblée, il se fit inscrire au groupe de l’Union républicaine, où il retrouva un certain nombre de ses anciens collègues des assemblées de 1848.

 

A ce moment, le comte de Chambord rompait une première fois avec les orléanistes et quittait la France. Dans l’Assemblée, on abordait la réforme de la loi militaire et la discussion des nouveaux impôts nécessités par les frais de la guerre. Le 28 juillet 1872, s’effectuait le grand emprunt de trois milliards, couvert quatorze fois.

 

En province, sous la parole ardente de Gambetta, qui commençait sa tournée de propagande en faveur de la dissolution, le mouvement hostile à l’Assemblée s’accentuait.

 

De son côté, la majorité monarchiste, devenue audacieuse et agissante, s’exaspérait contre le pays, et commençait à parler d’un gouvernement de combat comme seul capable d’arrêter les progrès du radicalisme. Une interpellation de la droite sur la politique générale provoqua, le 24 mai, la chute du cabinet, et, par contre-coup, la démission de Thiers, à la grande satisfaction de la coalition cléricale, qui lui donna pour successeur à la présidence de la République le maréchal de Mac-Mahon.

 

Au cours de ces graves événements, Brillier refusa son vote à toutes les mesures ou propositions réactionnaires, notamment à l’ordre du jour qui amena le coup d’État parlementaire du 24 mai.

 

Quelques jours avant, il avait, avec seize conseillers généraux de l’Isère, envoyé au Président Thiers l’adresse suivante, où se révélait déjà l’inquiétude produite par les menées des anciens partis :

 

A Monsieur Thiers, Président de la République. Monsieur le Président,

 

L’oeuvre de la libération du territoire, conduite par vous avec autant de prudence que d’habileté, et votre message du 13 novembre affirmant la République comme gouvernement légal du pays, protégé dès lors par les lois de l’État contre les factions hostiles, avaient produit un immense soulagement et donné confiance dans l’avenir.

 

Le pays vous en a exprimé sa sincère et vive reconnaissance.

 

Mais l’incertitude et la crainte agitent de nouveau les esprits. Le message est-il abandonné, renié par le gouvernement ? La République est-elle livrée sans défense aux attaques de ses ennemis ? L’ère des révolutions, qu’on croyait close, va-t-elle se rouvrir à courte échéance ? Voilà ce que le pays se demande avec inquiétude.

 

Il se demande quels sont les desseins du gouvernement à l’égard du suffrage universel ?

 

Le droit électoral est corrélatif du devoir imposé à tout Français de défendre la patrie. La loi du 31 mai rappelle de douloureux souvenirs. Elle a facilité le coup d’État du 2 décembre, qui a eu de si terribles et si funestes conséquences. Le pays craint tout ce qui pourrait ressembler à la loi du 31 mai. Il ne veut pas qu’on touche au .suffrage universel.

 

Toutes les communes, petites et grandes, sont très attachées à leurs franchises municipales, au droit de nommer leurs conseillers municipaux et leurs maires. Elles ont un intérêt solidaire à son maintien ; elles s’alarment lorsqu’il est supprimé dans une localité, craignant qu’il ne subisse le même sort dans les autres.

 

Les soussignés, agissant comme citoyens, vous prient, Monsieur le Président de la République, d’agréer, en même temps que leurs sentiments contraires à toute tentative qui, sous couleur de réglementation du vote, aurait pour effet de mutiler le suffrage universel, l’hommage de leur profond respect.

 

 

Alarmé à juste titre pour l’existence de la République, par la chute de Thiers et la reprise des tentatives de fusion qui suivirent, ce même conseil général adressait le 30 août 1873, au Président Mac-Mahon, une lettre ouverte débutant ainsi :

 

Monsieur le Président, lorsque, le 24 mai dernier, un vote de l’Assemblée vous a appelé à la présidence de la République, vous avez déclaré à la France qu’il ne serait pas touché aux institutions existantes.

 

Votre parole d’honnête homme et de soldat a rassuré le pays qu’alarme toujours un changement de gouvernement ; il n’est, en effet, venu à l’idée de personne que cet engagement ne serait pas rigoureusement tenu. Et, permettez-nous de vous dire, Monsieur le Président, que, dans votre glorieuse carrière, il n’y a rien assurément de plus glorieux que ce témoignage unanime de confiance et de respect d’un grand peuple que tant d’événements portent à la défiance.

 

Après avoir éloquemment rappelé les appréhensions et les inquiétudes du pays républicain, la lettre se terminait ainsi :

 

C’est à vous, Monsieur le Président, de voir, dans votre haute sagesse, ce qu’il convient de faire pour ramener le pays à cette confiante sécurité que vos loyales déclarations lui avaient inspirée.

 

 

 

Enfin, c’est aussi dans le même sentiment que, à l’heure où le parti monarchiste montrait le plus d’audace dans la poursuite d’une restauration dont la nation ne voulait pas, les sept députés républicains de l’Isère envoyèrent un peu plus tard, aux électeurs, la déclaration qui suit :

 

Aux Électeurs de l’Isère,

 

Les députés soussignés, consultés par un grand nombre d’électeurs sur les événements qui se préparent, croient devoir, à défaut de communications orales qu’ils désireraient, mais qui leur semblent difficiles, faire la déclaration suivante :

 

Les soussignés ont été nommés par des électeurs devant lesquels la forme du gouvernement n’était pas en question, et sous les auspices d’un comité qui s’appelait : Comité républicain de l’ordre et de la liberté.

 

Le maintien de la République n’est, à leurs yeux, que le strict accomplissement de leur mandat.

 

L’Assemblée qui a acclamé à Bordeaux M. Thiers, déclarant que « quand il s’agira de décider de nos destinées, le jugement sera prononcé, non par une minorité, mais par la majorité des citoyens, c’est-à-dire par la volonté nationale elle-même » ; l’Assemblée ne saurait aujourd’hui établir la monarchie, sans substituer à cette volonté régulièrement exprimée sa volonté propre, et sans manquer aux engagements pris en face du pays.

 

L’esprit vrai de conservation, le sentiment de son devoir, le soin de sa mémoire inspireront ses décisions au moment suprême ; elle refusera de s’engager dans une voie aussi pleine de périls.

 

Grenoble, le 7 octobre 1873.

 

Breton, Brillier, De Combarieu, Eymard-Duvernay, Michal-Ladichère, F. Reymond, Riondet.

 

 

A toutes ces démarches, à toutes ces adresses, qui traduisent si fermement l’esprit d’indépendance des patriotiques populations de l’Isère, Brillier prenait une part active, quand il n’en était pas l’inspirateur, et son concours contribuait partout à rassurer les timides, à entraîner les indécis et à faire l’union. Son passé, son inflexible droiture, ses longs et brillants services rendus à la cause démocratique, en faisaient le drapeau du parti républicain dans toute la région dauphinoise.

 

On voit que son action ne se bornait point aux seuls travaux parlementaires, mais qu’elle s’exerçait également au dehors, dans ce milieu où il était entouré des sympathies et du respect de tous, et où les conseils de sa profonde expérience, de sa haute sagesse politique étaient toujours écoutés.

 

 

Peu après le renversement de Thiers, Brillier avait été choisi comme président par le groupe important de l’Union républicaine qui, avec son effectif de 90 membres, réunissait les personnalités les plus marquantes de la gauche avancée et suivait la politique gambettiste. C’était encore un hommage rendu à la rare valeur et à la vie intègre et si digne de ce bon républicain, de ce ferme patriote, de ce courageux compagnon de Baudin. A cette occasion, il reçut d’un certain nombre d’habitants de Vienne une touchante adresse inspirée, dans sa naïve louange, de la plus entière sincérité, et toute spontanée ; en voici les termes :

 

A Monsieur Brillier, député de l’Isère,

 

Monsieur, c’est avec un vif sentiment de joie et d’orgueil que nous venons d’apprendre votre nomination de président de l’extrême gauche.

 

L’Union Républicaine, en vous nommant à ce poste, a su apprécier et récompenser le citoyen inébranlable dans ses convictions, et qui a consacré toute sa vie à la défense des grands principes démocratiques.

 

Permettez donc à ceux qui vous connaissent, vous apprécient et surtout vous aiment, de ne pas laisser passer une semblable occasion sans féliciter chaudement et sincèrement le patriote qui porte si haut et si ferme le drapeau de l’indépendance et de la République !

 

En terminant, nous disons : heureuses les cités qui possèdent des hommes tels que vous ; ils en sont l’honneur et la gloire !

 

Vienne, le 7 juin 1873.

 

Suivent les signatures.

 

 

Brillier, en remerciant ses concitoyens, leur disait :

 

… Les monarchistes voudraient bien faire la monarchie, mais ils ne peuvent pas ; il n’y a qu’une place et ils sont trois qui la convoitent. Toute transaction entre eux paraît impossible sur ce point, parce qu’ils savent très bien que celui à qui l’on céderait la place s’empresserait, dès qu’il l’aurait obtenue, de bannir ses concurrents. Un roi ne supporte pas la présence dans ses Etats d’une autre famille qui a occupé le même trône.

 

Cela veut-il dire que nous devions nous abandonner à une aveugle confiance ? Assurément non. Nous devons être, au contraire, plus que jamais défiants et vigilants. S’il n’y a pas à craindre un coup de majorité de la part de l’Assemblée, il peut y avoir à craindre un coup de main de la part de l’un des partis monarchistes. Toutefois, cela ne parait pas probable pour le moment.

 

 

Cette situation, qu’avec sa clairvoyance habituelle Brillier signalait, préoccupait vivement la masse électorale qui, partout, restait dans une attitude de réserve hostile vis-à-vis de la nouvelle administration. L’Assemblée, pendant ce temps, accumulait les mesures cléricales, ce qui n’était pas pour lui ramener les électeurs. Les députés de la droite avaient constitué, à Paris, une sorte de comité de salut public royaliste dirigeant la propagande en vue de préparer le retour d’Henri V. Un moment, le danger s’aggrava au point que l’on put craindre la guerre civile, la droite monarchiste s’obstinant dans sa tentative de restauration, et l’ensemble de la nation s’irritant de ces préparatifs dirigés contre sa volonté souveraine.

 

Ce soulèvement général de l’opinion finit par avoir raison des meneurs. De son côté, le comte de Chambord, renseigné sans doute sur l’accueil que lui réserverait la France, déclara refuser nettement de se séparer du drapeau blanc. Ce fut la condamnation définitive de cette seconde et dangereuse tentative royaliste.

 

A défaut de la royauté, la majorité vota alors le septennat. Puis elle s’attaqua au suffrage universel, d’abord par une loi remettant au gouvernement la nomination des maires, ensuite en rétablissant le scrutin uninominal comme sous l’Empire, et en essayant, sans toutefois y réussir, de reculer l’électorat à vingt-cinq ans d’âge. Le pays répondait à ces mesures rétrogrades en continuant d’élire partout des républicains à d’imposantes majorités.

 

 

 

Poursuivant le rôle de Constituante qu’elle s’est attribué, l’Assemblée, par la voie de sa Commission des Trente, prépare l’organisation constitutionnelle du pays, et l’année 1874 s’écoule en accentuant chaque jour davantage la désagrégation du régime de l’ordre moral.

 

Au début de 1875, on aborde la discussion des lois constitutionnelles. Opposés d’abord à l’adoption de lois émanées d’une Assemblée usurpatrice du pouvoir constituant, les républicains avancés modifient leur attitude en présence du danger extérieur qui, tout à coup, est venu menacer la France. En Allemagne, en effet, le parti militaire n’avait pas assisté avec indifférence à la reconstitution rapide des forces françaises, et il en était venu à se demander s’il n’y aurait pas intérêt, pour la suprématie allemande, à arrêter cette réorganisation avant qu’elle s’achevât et portât ses fruits.

Devant le danger national, l’accord de tous les républicains entraîna les plus modérés, et l’amendement Wallon reconnaissant la République fut adopté à une voix de majorité. Après ce résultat considérable, et de longues discussions au cours desquelles le centre gauche montra une fermeté qui entraîna une fraction du centre droit, l’ensemble des lois constitutionnelles organisant les pouvoirs publics fut enfin définitivement voté le 25 février, par 425 voix contre 254.

 

On sait que, d’autre part, l’intervention de la Russie mit fin aux velléités agressives de l’Allemagne.

 

 

Brillier qui, à trois reprises : en 1848, en 1849 et en 1872, avait siégé dans les grandes assemblées délibérantes issues directement du suffrage universel, n’avait point, tout d’abord, admis la nécessité d’une seconde Chambre. Le mode de recrutement du Sénat, et, particulièrement, l’institution des inamovibles, n’avaient pas non plus recueilli son adhésion. Mais, le vote de principe émis, il avait un trop juste sentiment de la situation et trop de sagesse politique pour faire échec à des lois qui, tout imparfaites qu’elles fussent, n’en consacraient pas moins définitivement la forme républicaine des institutions. Il vota donc, dans leur ensemble, les lois constitutionnelles.

 

Étant donné l’esprit monarchique de la majorité, il n’avait pu, la plupart du temps, qu’associer ses votes à ceux de l’opposition républicaine, dont il restait l’un des plus fermes représentants.

 

Un incident., qui se produisit trois ans plus tard au Sénat, et que Brillier avait consigné dans ses notes, vint éclairer un côté resté dans l’ombre des intrigues qui se   nouèrent autour de Mac-Mahon, au moment de la discussion des lois constitutionnelles, et révéler une circonstance peu connue qui, en outre des considérations développées plus haut, détermina l’Assemblée à voter ces lois.

 

Dans une réunion de l’extrême gauche du Sénat, tenue le 9 mai 1878, dit Brillier, M. Victor Hugo, à l’occasion de l’interprétation d’un article de la Constitution, déclare que cette Constitution est détestable, mais qu’il l’aurait votée, eu égard aux circonstances.

 

M. Testelin, qui préside la réunion, répond que le vote de cette détestable Constitution est le résultat d’un marché ; six généraux étaient allés trouver le Président de la République, pour lui proposer de chasser l’Assemblée. Le Président de la République, par respect pour la parole donnée, repoussa cette proposition ; mais il était prêt à se démettre.

 

Le secrétaire de M. Buffet, ministre, en prévint quelques membres de la gauche, et notamment M. Testelin.

 

Si l’on avait refusé de voter la Constitution telle qu’elle était présentée, les droites auraient immédiatement voté la proposition Malartre, par laquelle l’Assemblée aurait donné à ses pouvoirs une durée égale à ceux du Président de la République.