L’année Victor Hugo

éditorial du bulletin n°20, juin 2002

L’année Victor Hugo

 

Il faut se rendre à l’évidence, l’année Victor Hugo, pour les grands médias et la plupart de nos dirigeants politiques, a servi d’écran de fumée pour occulter les nombreuses manifestations de province célébrant la résistance au coup d’État du 2 décembre 1851. Faut-il y voir l’expression d’une vieille rivalité Paris – province loin, semble-t-il, d’être éteinte ou une volonté délibérée de faire l’impasse sur cet anniversaire, pourtant extrêmement riche en leçons de civisme propres à réveiller les consciences ?

            Suite à ce silence assourdissant sur les événements consécutifs au 2 décembre 51, on pouvait espérer que le bicentenaire de la naissance de Victor Hugo réparerait cet oubli, en donnant lieu au rappel de ses engagements politiques sans concession contre Louis Napoléon.

Victor Hugo n’a t-il pas refusé toute amnistie ; jurant de ne revenir en France, qu’après la chute  de Napoléon III. Faut-il rappeler à nos « amnésiques » qu’au cours des journées des 2, 3, et 4 décembre à Paris les espions et hommes de main aux ordres des “ décembriseurs ”, comme les nomme Victor Schœlcher, le recherchaient pour l’assassiner. Faut-il de même rappeler que de nombreux républicains durent, eux aussi, quitter clandestinement la France pour échapper à la répression. Certes on évoque bien son exil au détour d’un téléfilm, d’une conférence ou d’une exposition; mais, grand dieu, pourquoi donc Victor Hugo s’était-il  exilé, aimait-il tant la solitude et l’univers insulaire ? Possédait-il une résidence secondaire dans ces îles anglo-normandes où, par goût, il fit retraite durant dix neuf années ?

Faut-il croire, finalement, monsieur Philippe Seguin quand-il nous explique que ceux qui se sont opposés à ce coup d’Etat n’allaient pas dans le sens de l’histoire ? Après tout, le suffrage universel était rétabli comme aime à nous le rappeler Madeleine Rébérioux que l’on a connue, dans le temps, plus engagée.

Le 21 avril dernier a apporté sinon une réponse à toutes ces questions, du moins une lourde sanction pour cet abandon de la mémoire et des traditions républicaines, ce mélange des genres entre la gauche et la droite qui, à en croire certains, ne feraient plus qu’une. Enfin n’assiste-t-on pas aux retombées prévisibles d’une désinformation, d’une déculturation organisée des Français en ce qui concerne leur histoire ? Avec pour conséquence une perte d’identité et de conscience politique.

Non, décidément ça ne doit pas être politiquement correct, aujourd’hui, de rappeler que des gens du peuple, des écrivains, des artistes, des savants, des hommes politiques se sont dressés contre ce coup mortel porté à la seconde République.

Il est vrai qu’on peut lire ceci dans la conclusion de Napoléon le petit : “Qu’il n’aille pas s’imaginer, parce qu’il a entassé horreurs sur horreurs, qu’il se hissera jamais à la hauteur des grands bandits historiques .(…) Non, quoiqu’il ait commis des crimes énormes, il restera mesquin. Il ne sera jamais que l’étrangleur nocturne de la liberté ; il ne sera jamais que l’homme qui a soûlé les soldats, non avec de la gloire, comme le premier Napoléon, mais avec du vin ; il ne sera jamais que le tyran pygmée d’un grand peuple. L’acabit de l’individu se refuse de fond en comble à la grandeur, même dans l’infamie .”

            Décidément c’était politiquement incorrect et cela semble, au vingt et unième siècle, le demeurer, aux yeux de notre société moderne et bien pensante. C’est sans doute pour cette raison que seul Victor Hugo l’écrivain et le poète a été, jusqu’à présent, officiellement célébré, et non le citoyen.

 

Paul CRESP

 

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