LE COUP D’ETAT DU 2 DECEMBRE

LE COUP D’ÉTAT DU 2 DÉCEMBRE 1851

 

PAR LES AUTEURS DU DICTIONNAIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

[Joseph Décembre et Edmond Allonier]

 

3e ÉDITION PARIS 1868

 

DÉCEMBRE-ALONNIER, LIBRAIRE-ÉDITEUR

VIII

A l’Elysée. Pièces officielles.

 

Vers onze heures, le Président de la République, M. Mocquart, MM. de Morny, de Maupas et Saint-Arnaud se trouvaient de nouveau réunis dans les salons de l’Elysée assistant à une conférence définitive. Louis-Napoléon venait de signer le décret qui appelait M. de Morny au ministère de l’intérieur, en remplacement de M. de Thorigny, M de Béville, officier d’ordonnance parut un instant pour prendre les pièces qui devaient être portées à l’imprimerie nationale, et les confier au général Fleury, spécialement chargé de faire exécuter cette première partie du programme du coup d’Etat.

 

« Après le départ de M. de Béville, MM. de Morny, Maupas et de Saint-Arnaud résumèrent toutes les mesures qui devaient s’exécuter simultanément, ou se succéder. Bientôt le prince Louis-Napoléon lève la séance. M. de Morny, s’adressant à ses collègues, leur dit simplement :

 

Il est bien entendu, messieurs, que chacun de nous y laisse sa peau.

 

— La mienne est déjà bien usée, répliqua M. Mocquart, et je n’ai pas grand’chose à perdre.

 

Rien d’inaccoutumé dans cette demeure silencieuse, dont le calme et la solitude eussent déconcerté tous les soupçons…

 

Après le départ de MM. de Morny, Maupas, de Saint-Arnaud, le prince s’aperçut que le ministre de la guerre à laissé sur la table une pièce importante, et il charge M. Mocquart de la lui porter sans retard.

 

M. Mocquart trouve le ministre dans son cabinet, en robe de chambre.

 

— Général, vous n’êtes pas en costume de guerre ?

 

— Se reposer la nuit, c’est le moyen d’être en bonne disposition le lendemain matin.

 

Le ministre et le chef de cabinet du prince restent ensemble une demi-heure, à se promener de long en large dans l’appartement, et surtout à rire de la figure que feraient le lendemain les deux plus petits hommes de l’Assemblée législative, MM. Thiers et Baze, lorsqu’ils se verraient faits prisonniers, en chemise.

 

Le prince, resté seul, se coucha et donna l’ordre de le réveiller à cinq heures, au besoin pendant la nuit[1]. »

 

Voyons maintenant ce qui se passait à l’imprimerie nationale où s’accomplit le premier acte du coup d’Etat. Vers minuit, une compagnie de gendarmerie mobile était venue occuper l’imprimerie nationale, sans bruit et avec assez de prudence pour ne répandre aucune alarme dans le quartier. Ordre avait été donné au capitaine, M. de Laroche d’Oisy, d’obéir aveuglément au directeur de l’établissement, quoi qu’il pût lui commander. M. Fleury, qui surveillait l’exécution de cette mesure, avait fait prévenir le directeur de l’imprimerie de se trouver à son poste à onze heures du soir, pour un travail urgent. Bientôt un fiacre entre dans la cour. M. de Béville, en uniforme et muni de deux pistolets, en descend, et se rend auprès du directeur de l’établissement, au moment même où la compagnie de gendarmerie pénétrait dans la cour.

 

« Il est minuit ! raconte M. Bélouino. Qu’à peu de chose tient le sort d’une révolution ! On peut supposer mille causes, et des plus simples, qui eussent fait sombrer, dans l’océan des rues de Paris, ce nouvel esquif portant César et sa fortune. M. de Béville, colonel d’état-major et officier d’ordonnance du prince, descendit du fiacre avec un paquet cacheté, contenant les décrets et proclamations, de la main même de Louis-Napoléon, avec sa signature, celles de deux de ses ministres et de M. de Maupas. On remise la voiture. Le cocher est enfermé dans une salle basse… Heureusement, tout se passait à l’abri des regards, car quiconque eût pu voir la physionomie de cette scène nocturne, eût compris qu’un grand événement se préparait. On charge silencieusement les armes, puis des sentinelles sont placées partout, aux portes, aux fenêtres.

 

— Si quelqu’un sort ou s’approche d’une fenêtre, vous ferez feu, leur dit-on.

 

Chaque sentinelle, l’oeil attentif et la main sur son arme, veille sur ce qui se fait[2]. »

 

M. Véron rapporte encore le détail lugubre qui suit :

 

« Un de ces vieux soldats, en visitant la batterie de son fusil, disait gaiement :

 

Allons, mon vieux camarade, nous aussi, nous allons causer politique[3]. »

 

Les ouvriers, consignés depuis la veille pour un travail urgent, sont sous la surveillance du directeur et du colonel de Béville. Les manuscrits avaient été découpés de telle sorte que les compositeurs ne puissent deviner le sens de la matière qu’ils composaient. Malgré cette précaution, ils conçurent de la méfiance ; quelques-uns même se refusèrent au travail ; mais on plaça auprès de chacun d’eux deux agents de police, et il fallut obéir.

 

« Tout est terminé à trois heures et demie. On réunit les gendarmes et on leur lit les pièces imprimées. Il faut comprimer leur enthousiasme. Pendant que le capitaine continue de veiller à ce que personne ne puisse sortir de l’établissement, le même fiacre qui avait amené le colonel de Béville, le conduisait avec les imprimés à la préfecture de police. M. de Saint-Georges l’accompagnait[4]. »

 

Les afficheurs de la préfecture de police, qui avaient été convoqués de fort bonne heure, reçurent les décrets et les proclamations ; ils se répandirent aussitôt dans tous les quartiers, escortés par des sergents de ville.

 

Bientôt après on lisait sur les murs de la capitale les pièces suivantes :

 

PROCLAMATION DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE.

 

APPEL AU PEUPLE.

 

Français !

 

La situation actuelle ne peut durer plus longtemps. Chaque jour qui s’écoule aggrave les dangers du pays. L’Assemblée, qui devait être le plus ferme appui de l’ordre est devenue un foyer de complots. Le patriotisme de trois cents de ces membres n’a pu arrêter ses fatales tendances.

 

Au lieu de faire des lois dans l’intérêt général, elle forge des armes pour la guerre civile ; elle attente au pouvoir que je tiens directement du Peuple ; elle encourage toutes les mauvaises passions ; elle compromet le repos de la France : je l’ai dissoute, et je rends le Peuple entier juge entre elle et moi.

 

La Constitution, vous le savez, avait été faite dans le but d’affaiblir d’avance le pouvoir que vous alliez me confier. Six millions de suffrages furent une éclatante protestation contre elle, et cependant je l’ai fidèlement observée. Les provocations, les calomnies, les outrages, m’ont trouvé impassible. Mais, aujourd’hui que le pacte fondamental n’est plus respecté de ceux-là même qui l’invoquent sans cesse, et que les hommes qui ont déjà perdu deux monarchies veulent me lier les mains, afin de renverser la République, mon devoir est de déjouer leurs perfides projets, de maintenir la République, et de sauver le pays en invoquant le jugement solennel du seul souverain que je reconnaisse en France, le Peuple.

 

Je fais donc un appel loyal à la nation tout entière, et je vous dis : Si vous voulez continuer cet état de malaise qui nous dégrade et compromet notre avenir, choisisse-z un autre à ma place, car je ne veux plus d’un pouvoir qui est impuissant à faire le bien, me rend responsable d’actes que je ne puis empêcher, et m’enchaîne au gouvernail quand je vois le vaisseau courir vers l’abîme.

 

Si, au contraire, vous avez encore confiance en moi, donnez-moi les moyens d’accomplir la grande mission que je tiens de vous.

 

Cette mission consiste à fermer l’ère des révolutions en satisfaisant les besoins légitimes du peuple, et en le protégeant contre les passions subversives. Elle consiste surtout à créer des institutions qui survivent aux hommes, et qui soient enfin des fondations sur lesquelles on puisse asseoir quelque chose de durable.

 

Persuadé que l’instabilité du pouvoir, que la prépondérance d’une seule Assemblée sont des causes permanentes de trouble et de discorde, je soumets à vos suffrages les bases fondamentales suivantes d’une Constitution que les Assemblées développeront plus tard :

 

1° Un chef responsable nommé pour dix ans ;

 

2° Des ministres dépendants du pouvoir exécutif seul ;

 

3° Un conseil d’Etat formé des hommes les plus distingués, préparant les lois et en soutenant la discussion devant le Corps législatif ;

 

4° Un Corps législatif discutant et votant les lois, nommé par le suffrage universel, sans scrutin de liste qui fausse l’élection ;

 

5° Une seconde Assemblée formée de toutes les illustrations du pays, pouvoir modérateur, gardien du pacte fondamental et des libertés publiques.

 

Ce système créé par le premier consul au commencement du siècle, a déjà donné à la France le repos et la prospérité ; il les lui garantirait encore.

 

Telle est ma conviction profonde. Si vous la partagez, déclarez-le par vos suffrages ; si, au contraire, vous préférez un gouvernement sans force, monarchique ou républicain, emprunté à je ne sais quel passé ou à quel avenir chimérique, répondez négativement.

 

Ainsi donc, pour la première fois depuis 1804, vous voterez en connaissance de cause, en sachant bien pour qui et pour quoi.

 

Si je n’obtiens pas la majorité de vos suffrages, alors je provoquerai la réunion d’une nouvelle Assemblée, et je lui remettrai le mandat que j’ai reçu de vous.

 

Mais, si vous croyez que la cause dont mon nom est le symbole, c’est-à-dire, la France régénérée par la Révolution de 89 et organisée par l’empereur, est toujours la vôtre, proclamez-le en consacrant les pouvoirs que je vous demande.

 

Alors la France et l’Europe seront préservées de l’anarchie, les obstacles s’aplaniront, les rivalités auront disparu, car tous respecteront, dans l’arrêt du peuple, le décret de la Providence.

 

Fait au palais de l’Elysée, le 2 décembre 1851.

 

Louis-Napoléon Bonaparte.

 

 

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS.

 

Le Président de la République décrète :

 

Art. 1er L’Assemblée nationale est dissoute.

 

Art. 2. Le suffrage universel est rétabli. La loi du 31 mai est abrogée.

 

Art. 3. Le Peuple français est convoqué dans ses comices à partir du 14 décembre jusqu’au 21 décembre suivant.

 

Art. 4. L’état de siége est décrété dans l’étendue de la première division militaire.

 

Art. 5. Le conseil d’État est dissous.

 

Art. 6. Le ministre de l’intérieur est chargé de l’exécution du présent décret.

 

Fait au palais de l’Elysée, le 2 décembre 1851.

 

Louis-Napoléon Bonaparte.

 

Le Ministre de l’intérieur,

 

De Morny.

 

 

PROCLAMATION DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE.

 

A l’armée.

 

Soldats !

 

Soyez fiers de votre mission, vous sauverez la patrie, car je compte sur vous, non pour violer les lois, mais pour faire respecter la première loi du pays, la souveraineté nationale, dont je suis le légitime représentant.

 

Depuis longtemps vous souffriez comme moi des obstacles qui s’opposaient, et au bien que je voulais vous faire et aux démonstrations de votre sympathie en ma faveur. Ces obstacles sont brisés. L’Assemblée a essayé d’attenter à l’autorité que je tiens de la nation entière ; elle- a cessé d’exister.

 

Je fais un loyal appel au Peuple et à l’armée, et je lui dis : Ou donnez-moi les moyens d’assurer votre prospérité, ou choisissez un autre à ma place.

 

En 1830 comme en 1848, on vous a traités en vaincus.

 

Après avoir flétri votre désintéressement héroïque, on a dédaigné de consulter vos sympathies et vos voeux, et cependant vous êtes l’élite de la nation. Aujourd’hui en ce moment solennel, je veux que l’armée fasse entendre sa voix.

 

Votez donc librement comme citoyens ; mais, comme soldats, n’oubliez pas que l’obéissance passive aux ordres du chef du gouvernement est le devoir rigoureux de l’armée, depuis le général jusqu’au soldat. C’est à moi, responsable de mes actions devant le Peuple et devant la postérité, de prendre les mesures qui me semblent indispensables pour le bien public.

 

Quant à vous, restez inébranlables dans les règles de la discipline et de l’honneur. Aidez, par votre attitude imposante, le pays à manifester sa volonté dans le calme et la réflexion. Soyez prêts à réprimer toute tentative contre le libre exercice de la souveraineté du Peuple.

 

Soldats, je ne vous parle pas des souvenirs que mon nom rappelle. Ils sont gravés dans vos coeurs. Nous sommes unis par des liens indissolubles. Votre histoire est la mienne ; il y a entre nous dans le passé communauté de gloire et de malheur. Il y aura dans l’avenir communauté de sentiments et de résolutions pour le repos et la grandeur de la France.

 

Fait au palais de l’Elysée, le 2 décembre 1851.

 

Louis-Napoléon Bonaparte.

 

 

COMPOSITION DU MINISTÈRE.

 

MM. de Morny, intérieur ;

 

Fould, finances;

 

Rouher, justice;

 

Magne, travaux publics ;

 

Lacrosse, marine ;

 

Casabianca, commerce ;

 

Saint-Arnaud, guerre ;

 

Fortoul, instruction publique ;

 

Turgot, affaires étrangères.

 

Pour le préfet de police,

 

Le secrétaire général,

 

Silvain Blot.

 

(Cette affiche, sans date, est du 2 décembre à midi.)

 

 

LE PRÉFET DE POLICE

 

Aux habitants de Paris.

 

Habitants de Paris,

 

Le Président de la République, par0 une courageuse initiative, vient de déjouer les machinations des partis et de mettre un terme aux angoisses du pays.

 

C’est au nom du Peuple, dans son intérêt et pour le maintien de la République, que l’événement s’est accompli.

 

C’est au jugement du Peuple que Louis-Napoléons Bonaparte soumet sa conduite.

 

La grandeur de l’acte vous fait assez comprendre avec quel calme imposant et solennel doit se manifester le libre exercice de la souveraineté populaire.

 

Aujourd’hui donc, comme hier, que l’ordre soit notre drapeau ; que tous les bons citoyens, animés comme moi de l’amour de la Patrie, me prêtent leur concours avec une inébranlable résolution.

 

Habitants de Paris,

 

Ayez confiance dans celui que six millions de suffrages ont élevé à la première magistrature du pays. Lorsqu’il appelle le Peuple entier à exprimer sa volonté, des factieux seuls pourraient vouloir y mettre obstacle.

 

Toute tentative de désordre sera donc promptement et inflexiblement réprimée.

 

Paris, le 2 décembre 1851.

 

Le Préfet de police,

 

De Maupas.

 

 

 

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS.

 

Le Président de la République,

 

Considérant que la souveraineté réside dans l’universalité des citoyens, et qu’aucune fraction du Peuple ne peut s’en attribuer l’exercice, vu les lois et arrêtés qui ont réglé jusqu’à ce jour le mode de l’appel au Peuple, et notamment les décrets du 5 fructidor an III, 24 et 25 frimaire an VIII, l’arrêté du 20 floréal an X, le sénatus-consulte du 28 floréal an XII,

 

Décrète :

 

Art. 1er Le Peuple français est solennellement convoqué dans ses comices, le 14 décembre présent mois, pour accepter ou rejeter le plébiscite suivant :

 

Le Peuple français veut le maintien de l’autorité de Louis-Napoléon Bonaparte, et lui délègue les pouvoirs nécessaires pour établir une Constitution sur les bases proposées dans sa proclamation du……

 

Art. 2. Sont appelés à voter tous les Français âgés de vingt et un ans jouissant de leurs droits civils et politiques.

 

Ils devront justifier soit de leur inscription sur les listes électorales en vertu de la loi du 15 mars 1849, soit de l’accomplissement, depuis la formation des listes, des conditions exigées par cette loi.

 

Art. 3. A la réception du présent décret, les maires de chaque commune ouvriront deux registres sur papier libre : l’un d’acceptation, l’autre de non-acceptation du plébiscite.

 

Dans les quarante-huit heures de la réception du présent décret, les juges de paix se transporteront dans les communes de leurs cantons pour surveiller et assurer l’ouverture et l’établissement de ces registres.

 

En cas de refus, d’abstention ou d’absence de la part des maires, les juges de paix délègueront soit un membre du conseil municipal, soit un notable du pays, pour la réception des votes.

 

Art. 4. Ces registres demeureront ouverts aux secrétariats de toutes les municipalités de France pendant huit jours, depuis huit heures du matin jusqu’à six heures du soir, et ce, à partir du dimanche 14 décembre jusqu’au dimanche soir suivant, 21 décembre[5].

 

Les citoyens consigneront ou feront consigner, dans le cas où ils ne sauraient pas écrire, leur vote sur l’un de ces registres, avec mention de leurs nom et prénoms.

 

Art. 5. A l’expiration du délai fixé par l’article précédent, et dans les vingt-quatre heures au plus tard, le nombre des suffrages exprimés sera constaté. Chaque registre sera clos et transmis par le fonctionnaire dépositaire au sous-préfet, qui le fera parvenir immédiatement au préfet du département.

 

Le dénombrement des votes, la clôture et la transmission des registres tenus par les maires, seront surveillés par les juges de paix.

 

Art. 6. Une commission composée de trois conseillers généraux désignés par le préfet fera aussitôt le recensement de tous les votes exprimés dans le département.

 

Le résultat de ce travail sera transmis par la voie la plus rapide au ministre de l’intérieur.

 

Art. 7. Le recensement général des votes exprimés par le Peuple français aura lieu à Paris, au sein d’une commission qui sera instituée par un décret ultérieur.

 

Le résultat sera promulgué par le pouvoir exécutif.

 

Art. 8. Les frais faits et avancés par l’administration centrale et communale, et les frais de déplacement des juges de paix pour l’établissement des registres, seront acquittés, sur la présentation des quittances ou sur la déclaration des fonctionnaires, par les receveurs de l’enregistrement ou les percepteurs des contributions directes.

 

Art. 9. Le ministre de l’intérieur est chargé d’activer et de régulariser la formation, l’ouverture, la tenue, la clôture et l’envoi des registres.

 

Fait au palais de l’Élysée, le 2 décembre 1851.

 

Louis-Napoléon Bonaparte

 

Le Ministre de l’intérieur,

 

De Morny.

 

 

En même temps la circulaire suivante, partie du ministère de l’intérieur, le 2 décembre, était adressée à tous les préfets :

 

« Monsieur le Préfet,

 

Les partis qui s’agitent dans l’Assemblée menaçaient la France de compromettre son repos en fomentant, contre le gouvernement, des complots dont le but était de le renverser. L’Assemblée a été dissoute aux applaudissements de toute la population de Paris.

 

A la réception de la présente, vous ferez afficher dans toutes les communes les proclamations du Président de la République, et vous enverrez aux maires, ainsi qu’aux juges de paix, les circulaires que je vous adresse, avec le modèle du registre des votes.

 

Vous veillerez à la stricte exécution des dispositions prescrites par ces circulaires. Vous remplacerez immédiatement les juges de paix, les maires et les autres fonctionnaires dont le concours ne vous serait pas assuré.

 

Dans ce but, vous demanderez à tous les fonctionnaires publics de vous donner par écrit leur adhésion à la grande mesure que le gouvernement vient d’adopter.

 

Vous ferez arrêter- immédiatement tout individu qui tenterait de troubler la tranquillité, et vous ferez suspendre tout journal dont la polémique pourrait y porter atteinte.

 

Je compte, Monsieur le Préfet, sur votre dévouement et sur votre zèle pour prendre toutes les précautions nécessaires au maintien de l’ordre public, et, à cet effet, vous vous concerterez tant avec le général commandant le département qu’avec les autorités judiciaires.

 

Vous m’accuserez réception de cette dépêche par voie télégraphique, et vous me ferez, jusqu’à nouvel ordre, un rapport quotidien sur l’état de votre département. Je n’ai pas besoin de vous recommander de me faire parvenir par le télégraphe toute nouvelle ayant quelque gravité.

 

Recevez, Monsieur le Préfet, l’assurance de ma considération distinguée.

 

Le Ministre de l’intérieur,

 

De Morny

 

 

 

Nous reviendrons plus tard sur l’effet que produisirent les proclamations du nouveau gouvernement, sur l’esprit de la population. Nous compléterons le récit des événements de la nuit, en rapportant comment se firent les arrestations : ici commence le rôle de M. Maupas.

 

« Il lui fallut surtout, dit M. Mayer, cette chaleur de coeur, cet enthousiasme de dévouement dont la jeunesse ne fait qu’exciter les élans. Quelle responsabilité de signer de son nom, sans hésitations aucune, et en temps de paix, l’ordre d’arrêter des généraux et des représentants que l’ont considérait comme les gloires militaires et parlementaires de la France[6].

 


[1] Véron, Mémoires d’un Bourgeois de Paris, p. 175 et 176.

 

[2] M. Bélouino, Histoire d’un coup d’Etat, p. 69 et 70

 

[3] Véron, Mémoires d’un Bourgeois de Paris, p. 175.

 

[4] M. Bélouino, Histoire d’un coup d’Etat, p. 70.

 

[5] Cette façon de voter, imitée du premier Empire, trouva peu d’adhérents, et fut remplacée quelques jours après par le vote secret.

 

[6] Histoire du 2 décembre, par Mayer, p. 53