Le monument aux morts pacifiste de Gentioux (Creuse)

Nous avons reçu de notre ami Denis Martin, dont on connaît l’action pour la commémoration de l’insurrection de 1851 dans l’Yonne, Parler Paix, bulletin du Mouvement de la Paix, 179, nov. 2003, 6 rue Anatole France, 89000 Auxerre (abonnement 14 euros), dont nous extrayons, entre autres articles intéressants, cette présentation du monument pacifiste de Gentioux.

 

Le monument aux morts pacifiste de Gentioux (Creuse)

 

Nous continuons notre présentation des monuments pacifistes de France. Le mois dernier nous avons parlé de celui de Château-Arnoux (Alpes de Haute-Provence). Dans le numéro 152 de Parler Paix nous avions traité de ceux de Gy-l’Evêque et de Chevillon (Yonne). Dans le n° 149 c’était celui de Saint-Martin d’Estreaux (Loire) qui était à l’honneur. Voici donc celui de Gentioux, dans la Creuse, le plus célèbre d’entre tous.

Il est le plus célèbre car il est le plus farouche. Pourtant en frontispice il porte les palmes de la victoire (ou de la paix ?) et l’inscription « Nos chers enfants » comme n’importe quel monument aux morts de l’époque. En dessous se lit la longue litanie des malheureux hommes qui sont morts dans cette guerre d’épouvante que fut celle de 1914-1918. En tout 63 noms sont inscrits, classés par hameaux de la commune de Gentioux (La Lézioux, Pallier, Joux, Sénoueix, etc, il y a 14 hameaux). Rien que du classique, direz-vous. C’est ensuite que cela se corse. En effet, sous les noms des morts est inscrite l’inscription “ MAUDITE SOIT LA GUERRE ”. Plus bas on lit : “ Commune de Gentioux – Guerre 1914-1918 ”. L’inscription “ Maudite soit la guerre” n’est pas un ajout “ après-coup ” (comme sur le monument de Gy-l’Evêque). Elle apparaît sur un bandeau de pierre en relief, à l’identique du bandeau qui porte l’inscription “ Nos chers enfants”. Dès la conception du monument, il a été décidé de stigmatiser la guerre. Pour se rendre compte de l’audace de cette inscription il suffit de savoir qu’à l’époque tous les monuments aux morts étaient sous le vocable patriotique. Ils exaltaient le courage (statue du Poilu, le fusil à la main, en train de courir à la bataille), la Patrie (le coq gaulois dressé sur ses ergots), la Victoire (statue d’une femme levant bien haut une couronne de lauriers). Ces monuments là ne remettent jamais en cause la guerre. Il y en a un (au moins) par commune, soit 36 000 dans toute la France qui exaltent le triptyque Patrie-Courage-Victoire. Ceux qui osent dire que la guerre est une saloperie se comptent malheureusement sur les doigts des deux mains.

Mais celui de Gentioux fait mieux ! Car devant le monument, a été ajouté une statue de bronze d’un enfant qui dresse un poing vengeur en direction de l’inscription “ Maudite soit la guerre ”. On le voit, les larmes aux yeux et la colère au coeur, brandissant le poing contre cette sale guerre qui lui a pris son père ou son frère (ou les deux). Il porte une blouse et des sabots. A la main il tient sa casquette. A l’évidence c’est un petit paysan. Il appartient à cette paysannerie encore si nombreuse au début du 20e siècle et qui fournit les gros bataillons de l’armée française et… la majorité des morts de la guerre. A lui tout seul il est le peuple.

Ce monument extraordinaire fut construit le 29 janvier 1922, sur la proposition du maire, Jules Coustaud, adoptée par le Conseil municipal et le Comité des Anciens Combattants. Cette inscription leur paraissait une évidence. Avec 63 tués, cette petite commune avait lourdement payé la facture de la guerre. Et puis le camp militaire de la Courtine est situé à côté. C’est là que furent enfermés les soldats russes qui refusèrent de combattre après la Révolution de 1917. Y a-t-il eu contact et développement des idées bolcheviques dans la région ?

Boudé par les pouvoir publics, ce monument est devenu, depuis, un symbole et un lieu de visite pour tous les pacifistes.

Pour les prochaines, vacances, allez à Gentioux ! C’est à 65 km au sud de Guéret, tout près du lac de Vassivière (où se trouve un centre d’art contemporain magique, sur une île), tout près d’Eymoutiers (fondation Rebeyrolle) et d’Aubusson (tapisseries de Lurçat). La région est magnifique.

Denis Martin